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«Une digitalisation réussie améliore de 15 à 30% les profits des banques»
Publié dans Finances news le 24 - 12 - 2019

François Jurd de Girancourt, Partner at McKinsey & Company, Head of Banking and Insurance for Africa

Suite à la publication de son rapport sur le secteur bancaire intitulé «L'heure de la dernière chance ?», le cabinet McKinsey revient pour Finances News sur les principales tendances du secteur, avec un focus sur le marché marocain.

Finances News Hebdo : Le dernier rapport de McKinsey sur le secteur bancaire évoque dans son titre «L'heure de la dernière chance ?». Pourquoi cet ultimatum ? Sommes-nous sur le point de basculer dans quelque chose de complètement nouveau et irréversible ?
François Jurd de Girancourt : Les huit dernières années, depuis la sortie de crise financière, ont été plutôt favorables d'un point de vue économique : croissance, bien que faible, et hausse des marchés boursiers. Or, force est de constater que de nombreuses banques n'ont pas profité du cycle pour améliorer leur performance économique : sur 1.000 banques mondiales étudiées, 60% d'entre elles présentent un ROE (Return on equity, rentabilité des capitaux propres, ndlr) qui est en dessous du coût des fonds propres.
Ces banques risquent donc d'aborder la fin possible du cycle actuel, avec peu de marges de manœuvre.

F.N.H. : L'irruption des GAFA dans le champ bancaire est-elle inéluctable ? Les acteurs traditionnels du secteur doivent-ils commencer à s'en inquiéter ?
F. J. G. : Les GAFA ont toutes des projets dans le paiement et souvent dans les prêts. Il y a un réel risque de désintermédiation pour les banques, d'autant que les GAFA peuvent s'appuyer sur des bases de clients considérables.
En revanche, les banques gardent de réels avantages : une confiance des clients, une capillarité grâce aux réseaux physiques et digitaux, un savoir-faire important dans la gestion des risques et des paiements.
Si les banques se refocalisent sur les besoins des clients et adaptent leurs services, elles peuvent se défendre par rapport aux GAFA.
Pour de nombreuses banques, cela nécessite de casser des silos organisationnels et un changement de mentalité.

F.N.H. : Concernant le marché marocain, la concurrence que peuvent exercer les nouveaux acteurs sur le marché bancaire est limitée par les aspects réglementaires et par le faible sponsoring des acteurs traditionnels (marché du paiement mobile par exemple). Partagez-vous cette lecture et, si oui, comment faire évoluer cette situation ?
F. J. G. : La création du statut d'établissement de paiement (EDP) en 2018 ouvre le jeu à de nouveaux acteurs non-bancaires, notamment les opérateurs télécoms. Si les acteurs, banques et EDP mettent en place une réelle interopérabilité, c'est-à-dire la possibilité de faire des virements et des paiements entre comptes en banque et wallets mobiles de différents EDP/Banques, comme c'est prévu par le régulateur, cela est de nature à stimuler l'innovation et l'inclusion financière.

F.N.H. : Dans votre diagnostic sur le marché marocain, vous expliquez la baisse de la rentabilité par les pressions sur les marges et la hausse des charges d'exploitation. Quels peuvent-être les impacts de la transformation digitale sur les marges ?
F. J. G. : Notre expérience montre qu'une digitalisation réussie permet une amélioration de 15-30% des profits des banques.
Par exemple, la data permet d'augmenter les ventes grâce à une meilleure personnalisation des offres bancaires, ainsi qu'une amélioration de la gestion des risques. Les canaux digitaux permettent aussi de baisser les coûts de distribution (réseau, call centers) et de back-office, tout en améliorant la satisfaction client.
Il reste une grande marge d'opportunité pour les banques marocaines sur le digital.

F.N.H. : Selon votre rapport, le ralentissement du secteur a commencé au Maroc. Quels sont les leviers à actionner pour se relancer ?
F. J. G. : Il y a plusieurs leviers pour adresser la baisse des ROE sur le secteur bancaire marocain. Par exemple, trouver des moyens efficaces et efficients, souvent grâce à la technologie, d'augmenter la bancarisation des particuliers et des PME.
Le paiement mobile et le micro crédit digital, dans un marché dominé par les transactions cash, sont des pistes sérieuses qui méritent d'être explorées.
Il faut aussi continuer le développement en Afrique où les ROE sont souvent supérieurs; travailler sur les couloirs commerciaux en pleine croissance, par exemple avec la Chine; améliorer la productivité. Encore une fois, les leviers sont nombreux : le digital, l'utilisation des méthodologies agiles, l'automatisation des process, l'optimisation des achats, l'utilisation du cloud et la modernisation de l'infrastructure, l'optimisation des canaux de distribution, pour n'en citer que quelques-uns.

F.N.H. : Enfin, le réseau bancaire au Maroc a atteint 7.000 agences. Mais une bonne partie de la population reste exclue du système. Comment y remédier ?
F. J. G. : La capillarité du réseau bancaire au Maroc est plus élevée que celle de nombreux pays au PIB/habitant comparable.
Elle est notamment 1,5 fois celle de l'Inde et de l'Indonésie et 4 fois supérieure à celle de l'Egypte !
L'enjeu aujourd'hui réside dans la constitution par les EDP de réseaux d'agents de paiement mobiles, en enrôlant par exemple des épiciers ou des commerces, avec un coût bien moindre que celui des agences bancaires ou des GAB.
Ceux-ci pourront effectuer des services basiques comme l'acceptation et le paiement de cash.
Nous estimons qu'il faudrait au minimum 15.000 agents au Maroc. ◆


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