Pour le DG de CFC, la normalisation fiscale exigée par Bruxelles n'altérera en rien l'attractivité de la place financière casablancaise. La force de la place réside dans sa proposition de valeur. Explications.
Par A.E Casablanca Finance City - Saïd Ibrahimi minimise la question fiscale Comme à l'accoutumée à pareille période de l'année, le management de Casablanca Finance City (CFC) donne rendez-vous à la presse pour présenter le bilan annuel de son activité. C'est évidemment l'épineuse question fiscale qui a dominé les débats, la place casablancaise étant, comme chacun le sait, dans le collimateur de l'Union européenne, et plus particulièrement de Pierre Moscovici, le monsieur fiscalité de la Commission de Bruxelles. Souvenez-vous. Le 3 mai dernier, à l'occasion de l'ouverture des troisièmes Assises de la fiscalité, et devant un parterre d'officiels marocains, le commissaire européen prononçait un discours dans lequel il pressait les autorités marocaines de «normaliser» certains régimes fiscaux jugés «dommageables» pour Bruxelles. Dans la ligne de mire des Européens, les zones franches et Casablanca Finance City. En clair, le Maroc est invité à réduire les avantages fiscaux offerts par ces entités. Un message reçu 5/5 par Rabat, qui s'est engagé à répondre positivement à cette «demande». La normalisation du régime préférentiel de CFC figure même dans le peloton de tête des recommandations émises par le ministère des Finances à l'issue des Assises. Depuis lors, beaucoup de choses ont été dites sur cet épisode. Mais, l'avis du principal intéressé, Said Ibrahimi, Directeur général de CFC, manquait toujours à l'appel. C'est désormais chose faite, puisqu'il a eu tout le loisir, devant la presse, de s'exprimer sur le sujet et, surtout, de distiller quelques messages importants sur l'avenir de la jeune place financière. Une place qui monte, se taillant rapidement une solide réputation au niveau mondial et qui, visiblement, dérange de l'autre côté de la Méditerranée.
Casablanca Finance City - Paradis fiscal ? Le premier message est d'ordre sémantique. Il concerne le choix des mots. Said Ibrahimi est catégorique : «Non, CFC n'est pas un paradis fiscal», a-t-il martelé. Un paradis fiscal se caractérise par 3 éléments : 0 transparence, 0 substance, 0 fiscalité. CFC ne coche aucune de ces cases. «Nos entreprises membres ne sont pas déconnectées de l'économie nationale. Elles recrutent, ont accès au marché marocain, créent de la valeur ajoutée, etc. En 2018, les sociétés labellisées CFC ont généré un chiffre d'affaires de 5,8 Mds de DH et ont contribué fiscalement pour 800 MDH. Tout est transparent, disponible à la DGI, au SGG», argumente-t-il. Et de prévenir : «Attention aux fausses informations qui peuvent nuire à la réputation du pays». CFC n'est donc pas un paradis fiscal. Ce n'est d'ailleurs pas ce que lui reproche la Commission européenne. Ce que Bruxelles juge «dommageables» dans le régime fiscal de CFC, ce sont deux points bien précis : le calcul de la base d'imposition des sièges régionaux, d'une part, et le différentiel de taux entre l'IS à l'export et l'IS local, d'autre part. Dans le premier cas, l'UE veut une fiscalité uniquement basée sur le résultat. «Tant mieux», lance Ibrahimi. Dans le deuxième, Bruxelles veut une convergence entre les deux taux d'IS (pour les entreprises CFC le taux d'IS à l'export est de 8,5% après 5 années d'exonération). Le gouvernement marocain s'est d'ores et déjà engagé à répondre à cette exigence. «La loi-cadre, qui sera élaborée durant les prochaines semaines, fixera un taux cible à atteindre d'ici 2024», expliquait lors des Assises de la fiscalité le ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun. Un taux cible qu'Ibrahimi dit ne pas connaître pour le moment.
Casablanca Finance City - CFC affaibli ? On l'aura compris. La carotte fiscale jouera moins à l'avenir pour attirer les entreprises. De quoi affaiblir la place financière casablancaise et son attractivité, la freiner dans son élan ? Le board de CFC estime que non, et affiche confiance et sérénité. Car, à en croire Ibrahimi, l'argument fiscal n'a jamais été déterminant dans la décision des entreprises de choisir Casablanca pour solliciter le statut CFC. «On ne vient pas à CFC pour sa fiscalité. Comparée à celles de Dublin, Luxembourg, l'île Maurice, et je ne parle même pas de Dubaï, la nôtre est même quelconque. Les entreprises ne viennent pas chez nous pour faire de l'optimisation fiscale», insiste le responsable. Ce qui à ses yeux a permis d'attirer quelque 180 entreprises à vocation africaine pour piloter depuis Casablanca leurs activités sur le continent, c'est la proposition de valeur que leur offre CFC. Celle-ci repose sur 3 piliers : Doing business, Community et Insights. Trois piliers sur lesquels s'est longuement attardé le management de la place financière. Il est vrai que le volet Doing business est l'un des points forts de CFC. Les facilités administratives accélérées (constitution de sociétés en 48h), les procédures simplifiées permettant une fluidité des personnes et des capitaux (procédures simplifiées pour les demandes de visas «Business», les contrats de travail étrangers et les permis de résidence), ou encore l'existence de modes alternatifs de résolution des litiges (à travers le Centre international de médiation et d'arbitrage de Casablanca), sont des aspects particulièrement appréciés des membres de CFC. Sur le plan «Community», CFC met en œuvre une démarche visant à faire émerger une intelligence collective entre les membres de la communauté. A ce propos, les premiers chantiers concrets portent sur la création d'un Business Club, le lancement d'une plateforme digitale et la mise en route de groupes d'intérêt thématiques. Le volet «Insights» enfin concerne le renforcement de l'engagement de CFC en faveur d'un meilleur partage des connaissances en vue de mieux appréhender l'environnement africain des affaires, par le biais d'élaboration et de publication de rapports. Trois ont déjà vu le jour, en partenariat avec des cabinets de conseil de premier plan, portant sur les tendances RH, la finance islamique et les fintechs en Afrique. Pour Ibrahimi, c'est donc tout ce package et cette proposition de valeur à ses membres qui font qu'aujourd'hui CFC est la première place financière du continent et la 28ème au monde, selon le classement de référence du GFCI. Alors convaincant Ibrahimi ? L'avenir nous le dira. En tout cas, l'ambition est toujours là. Preuve en est, les objectifs fixés en termes de «recrutement» de nouvelles sociétés. D'ici fin 2020, CFC espère atteindre 250 entreprises labellisées. Quant à Moscovici, le DG de CFC a pris un malin plaisir à le tacler : «Je me demande encore pourquoi on l'a invité aux Assises de la fiscalité. Il n'y avait pas sa place»… ◆