La branche non-Vie (automobile, santé collective, etc.) souffre d'un problème de rentabilité qui n'est plus tenable sur le long-terme. Allianz Maroc veut désormais privilégier la profitabilité à la course aux parts de marché. Le patron d'Allianz Maroc livre un diagnostic lucide du secteur marocain des assurances.
Propos recueillis par A. Elkadiri
Finances News Hebdo : Comment s'est comportée l'activité d'Allianz Maroc durant l'exercice 2018 ? Joerg Weber : Pour nous, en 2018, il y a eu à la fois du soleil et de l'ombre. Côté soleil, nous avons bien développé notre chiffre d'affaires, avec une croissance qui, je pense, est au-dessus de celle du marché (les résultats des compagnies d'assurances au titre de l'exercice 2018 ne seront connus que dans les prochaines semaines, ndlr). Contrairement à ce que nous avions pu dire avant, cette surperformance du marché n'était pas un objectif en soi, mais étant donné que nous avions déjà ouvert un certain nombre de nouvelles agences et de nouveaux bureaux directs, c'est un effet auquel il fallait s'attendre. Et je suis satisfait qu'il y ait eu une réussite à ce niveau. Le côté «ombre» est qu'en termes de profitabilité, l'année était extrêmement difficile. Je n'ai pas encore vu les résultats des autres sociétés du marché, mais quand je discute avec des confrères, je pense que c'est une évolution qui est généralement partagée par tous. Les raisons derrière cette situation sont connues et concernent essentiellement la non Vie. Les problèmes de rentabilité concernent particulièrement certaines branches du côté des entreprises, comme la «Santé Groupe» qui est extrêmement déficitaire. J'ai appelé mes équipes à être encore plus vigilantes que par le passé. Nous étudions deux fois plus les propositions ou les demandes de souscription portant sur des affaires réputées non profitables. Nous avons dû laisser partir plusieurs comptes qui ne l'étaient clairement pas et avons constaté que beaucoup d'entre eux n'ont eu aucune difficulté à retrouver un nouvel assureur, avec parfois même des réductions de taux. Il semble aujourd'hui que la course au chiffre d'affaires continue de primer sur la solidité d'un pricing technique au niveau du marché. Ce dernier n'est pas encore complètement rationnel sur cette branche.
F.N.H. : C'est le cas aussi sur la branche automobile, visiblement, qui connaît une hausse importante de la sinistralité. Comment vous positionnez-vous sur ce segment ? J. W. : L'assurance automobile est notre marché principal, puisque la branche auto représente plus de 50% de notre chiffre d'affaires. De ce fait, si le marché automobile ne va pas bien, nous en souffrons aussi. C'est la raison pour laquelle j'ai avancé que 2018 fut une année difficile. Il y a bien sûr les raisons que vous évoquez, avec une augmentation très nette de la fréquence des accidents. Cette tendance s'explique en partie par l'augmentation des véhicules en circulation au Maroc, le rajeunissement du parc, mais c'est surtout dû à une combinaison entre la facilité de consommer des sinistres et la recrudescence de la fraude. Par ailleurs, étant donné que la plus grande partie de ce marché est représentée par la Responsabilité civile (RC) où il n'y a pas de compétition sur les prix - formellement les prix sont libéralisés, mais dans la réalité, ils ne le sont toujours pas; – la différenciation se fait par le marketing des offres, mais aussi par des garanties annexes de plus en plus généreuses et qui coûtent très cher aux compagnies. La différenciation se fait également par la rapidité du règlement des sinistres et par l'assistance. Aujourd'hui, la moindre petite bosse sur la voiture amène l'assuré à se tourner vers son assureur, alors qu'il y a dix ans, ce n'était pas le cas, au vu des démarches plus fastidieuses de l'époque. Ce sont tous ces facteurs qui ont contribué à cette augmentation de la sinistralité, qui est une problématique générale sur la place.
F.N.H. : Quelles sont les solutions à vos yeux ? J. W. : La Fédération (FMSAR) a entrepris beaucoup d'efforts pour comprendre les raisons derrière cette hausse de la sinistralité. Il y a eu l'étude de Roland Berger parue l'année dernière, qui a confirmé ce que tout le monde soupçonnait déjà. La Fédération prépare des propositions, et œuvre aussi à mettre en place une infrastructure, avec une nouvelle base de données, qui doit permettre de mieux identifier les personnes impliquées dans des fraudes en déclarant les mêmes sinistres à plusieurs compagnies. Ces efforts pour combattre la fraude vont se poursuivre, et c'est une bonne chose. Parce qu'à court terme, les compagnies vont continuer à perdre de l'argent à cause de la fraude, mais à un moment donné, les coûts induits par ces fraudeurs, qui sont une minorité, devront être répercutés sur les primes, et donc ce sont tous les autres assurés qui en paieront la facture.
F.N.H. : Une hausse des primes n'est donc pas impossible ? J. W. : Je pense qu'une hausse des primes est inévitable parce que nous perdons de l'argent. Il y a quelques années, nous perdions de l'argent sur la tierce ou la dommage collision. Aujourd'hui, nous commençons à perdre de l'argent sur la RC également, dans certains domaines. Si cette tendance se poursuit, la hausse des primes sera inévitable. Nous ne sommes pas prêts à perdre de l'argent sur le long terme. Il vaut mieux faire un peu moins de chiffre d'affaires avec des primes au juste prix. Il faut donc agir contre la fraude et la fréquence des sinistres, et je suis particulièrement content que la FMSAR ait pris les choses en main. Une autre action qu'il faudra aussi très sérieusement regarder, c'est de faire un vrai pas vers la libéralisation effective des prix. Est-ce normal qu'un jeune de 18 ans qui roule en voiture de sport paye la même prime qu'une dame de 50 ans dans une ville secondaire ? Je ne le pense pas. La dame paie la facture pour le jeune. Il faut qu'il y ait une réelle différenciation.
F.N.H. : Les objectifs annoncés il y a deux ans à l'occasion de la présentation du plan stratégique 2021, qui s'est fixé notamment un doublement de parts de marché d'Allianz Maroc, sont-ils remis en cause ? J. W. : Faire de la croissance est une bonne chose : croître permet d'étaler les frais fixes sur plus de volumes et donc de baisser nos ratios de frais. Mais contrairement à ce qui était le cas avant, réaliser de la croissance n'est pas l'objectif principal. Il faut d'abord éliminer les pertes et après rehausser la profitabilité des affaires, de sorte à avoir un rendement raisonnable, dont nous sommes encore loin aujourd'hui.
F.N.H. : Et sur le réseau ? J. W. : Nous étions à 150 agences, aujourd'hui nous allons vers les 200. Nous avons profité de la dernière vague d'agents qui sont arrivés sur le marché, et nous avons ouvert quelques bureaux directs. Mais, là aussi, nous sommes très sélectifs pour ne pas ouvrir des bureaux directs qui feraient concurrence à nos propres agents. Toujours est-il qu'Allianz Maroc étant un acteur de taille modeste sur le marché marocain; il y a encore plein d'endroits «blancs» sur la carte du Maroc où les gens n'ont pas encore le privilège d'acheter des produits Allianz (rire, ndlr).
F.N.H. : Vous investissez aujourd'hui la branche Vie à travers le lancement d'un produit retraite aux caractéristiques assez spectaculaires en termes d'avantages et de rendements. Vous promettez un rendement de 4,5%. Comment y parvenir dans le contexte de marché actuel très peu porteur ? J. W. : Nous avons servi 4,5% l'année dernière sur notre ancien portefeuille. Nous disposons d'un certain matelas de sécurité de plus-values latentes pour amortir des risques, de sorte que l'on pourra être plus agressif sur notre allocation d'actifs. Nous sommes assez confiants sur le fait que nous pourrons servir un tel rendement cette année, grâce à la combinaison entre une stratégie de placement relativement agressive et une haute performance pour dégager les 4,5%. Nous allons essayer de dégager ce rendement sur la plus longue période possible, sans toucher aux matelas.
F.N.H. : Vos perspectives pour 2019 ? J. W. : Nous allons préparer le lancement de nouveaux produits Vie, mais cela sera probablement durant le second semestre. Notre deuxième chantier important pour cette année concerne notre système d'information, qui nous permettra de moderniser toute notre interface client. Ce chantier interne va permettre d'améliorer nos produits et services aux clients. Par exemple, rendre nettement plus facile de consulter son contrat sur Internet, déclarer son sinistre ou suivre ce dernier en ligne, etc. Il s'agit de toutes ces petites choses qui font encore la différence aux yeux des assurés. ◆