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«Pour les années à venir, il faut un système fiscal ad hoc»
Publié dans Finances news le 15 - 09 - 2011

Face à un tarissement des recettes, il est temps de prévoir un élargissement du champ d'application de l'impôt à
l'échelle internationale.
Le monde est appelé à se réorganiser sur la base de régions plus cohérentes.
Michel Bouvier, président de Fondafip, fournit des pistes de réflexion pour sortir des crises répétitives.
-Finances News Hebdo : Quel bilan peut-on faire aujourd'hui des réformes entamées au cours des dernières années en matière de modernisation des finances publiques, et jusqu'à quel degré tiennent-elles compte des aléas conjoncturels internationaux ?
-Michel Bouvier : D'abord, ce que l'on constate un peu partout dans le monde, c'est une réaction par rapport à la maîtrise de la dépense publique. C'est-à-dire que nous avons essayé de trouver le moyen de mieux gérer la dépense publique sans pour autant que les services publics s'en ressentent. Nous avons essayé de trouver des moyens de gestion ailleurs, par exemple de voir dans les entreprises comment ça marche, de développer une plus grande transparence de la gestion publique… Cela n'a pas suffi parce que depuis la fin des années 70 les crises se sont répétées, toujours plus fortes les unes que les autres… Et maintenant on arrive au top et j'espère qu'on n'ira pas plus loin. Donc, par conséquent, la maîtrise de la dépense publique ne suffit pas et l'on considère qu'il faut s'intéresser aux ressources. La principale d'entre elles qui reste est la fiscalité parce qu'on a beaucoup privatisé. Il faut ainsi trouver un système comptable ad hoc. Que faut-il faire ?
première chose est de travailler sur la fiscalité existante ou, plus précisément, essayer de mobiliser les recettes publiques de la fiscalité existante, et lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Il faut aussi supprimer ce que l'on appelle les niches fiscales, voire les allégements fiscaux. Le problème est que cela ne suffit pas et ça ne suffira pas parce que les impôts que l'on utilise actuellement sont ce que l'on appelle les impôts modernes (IR, IS, TVA). Il s'agit d'impôts qui ont été créés pour la plupart au 19ème et au début du 20ème siècle. Ce sont des impôts qui ont été établis dans des Etats fermés.
• Mais, avec la mondialisation on se retrouve avec un territoire de l'économie qui est immense et des administrations qui n'ont pas changé. Par conséquent, nous avons des difficultés pour maîtriser cette fiscalité. Je suis absolument certain que dans les années à venir, nous allons observer une baisse tendancielle des grands impôts.
• Il est donc temps de changer le territoire de l'impôt. Il faut prévoir une taxe sur les activités financières ou, comme ce qui a été arrêté, la taxe sur les billets d'avion.
• Globalement, il faut que les administrations élargissent leurs territoires et que les impôts aient un territoire beaucoup plus large. Le problème qui va se poser dans les prochaines années est celui de l'impôt parce qu'il faut une réforme fiscale ou bien limiter toutes les dépenses.
-F.N.H. : Lors de la dernière édition, on a beaucoup parlé d'un début de sortie de crise. Aujourd'hui, il est question d'un redémarrage de la crise. Quelle est votre appréciation sur la crédibilité de tels scénarios ?
-M. B. : On n'est jamais sorti des crises depuis les années 70. Vous verrez qu'il y a une période très faste des trente glorieuses : les années qui ont subi la Seconde Guerre mondiale. A partir des deux chocs pétroliers, il y a eu des crises sans arrêt. Au début, on pouvait s'en sortir parce qu'il y avait des moyens de financement comme les privatisations qui ont permis de répondre à un certain nombre de problèmes. Maintenant, on n'a plus que la fiscalité. C'est pour cela que je vous assure que le problème de demain est d'ordre fiscal parce que pour la maîtrise des dépenses publiques, on sait comment faire. Mais ce n'est pas suffisant, il faut des ressources suffisantes et donc c'est l'impôt.
-F.N.H. : La globalisation pose le problème de la régulation au-delà des frontières. Mais si on regarde par exemple du côté des Etats-Unis, une puissance qui n'apprécie pas qu'on jette un
coup d'œil dans sa cuisine interne, en
l'absence d'un gendarme, la situation actuelle ne risque-t-elle pas de perdurer ?
-M. B. : La question qui se pose, à mon sens, est celle de la réorganisation des territoires au niveau international. Nous sommes organisés sous la forme de l'Union européenne, je pense qu'il faut aller plus loin dans le cadre du fédéralisme financier. Les pays de l'Afrique de l'Ouest sont organisés de la même manière. Ensuite, il y a des zones de libre-échange qui sont extrêmement souples comme le Mercosur pour l'Amérique latine, l'ASEAN pour l'Asie… mais qui ne sont pas des zones aussi structurées que l'Union européenne ou l'UEMOA. Donc, par conséquent, je crois qu'il faut que le monde se réorganise sur la base de régions cohérentes pour qu'elles puissent constituer elles-mêmes un ensemble cohérent sans pour autant qu'il y ait un chef suprême pour diriger le monde. Je veux dire qu'il faut une gestion globale pour une meilleure répartition des richesses.
-F.N.H. : La crise qui prédomine aujourd'hui est celle d'un modèle économique et politique et la question qui se pose est : quel rôle l'Etat est-t-il appelé à jouer ?
-M. B. : Je pense que nous avons toujours pensé à l'Etat comme un acteur économique. Si on regarde la période la plus récente, l'Etat keynesien est pensé à travers son rôle économique, son intervention dans la régulation du système, mais pas comme acteur politique. Ensuite, lorsque l'on a critiqué le rôle de l'Etat avec le retour de la pensée libérale, on l'a fait aussi pour des raisons économiques. L'Etat doit être le reflet de la volonté générale des citoyens. Pour cela, il faut lui donner un vrai rôle politique.
-F.N.H. : Nous avons applaudi à la résilience du système financier marocain face à la crise mondiale, sachant que cela est dû en partie à sa position fermée sur le reste du monde. Quelles sont les limites d'un tel modèle pour un pays qui prône le choix irréversible de l'économie de marché ?
-M. B. : La question qui se pose est la suivante : est-ce que le Maroc va s'inscrire dans la dynamique générale ? Je crois que l'on peut être optimiste sur ce plan-là. Mais c'est votre rôle aussi de débattre de l'intérêt de ces questions, de les vulgariser. Il faut aussi montrer qu'au fond, c'est un problème plus politique et d'organisation de société.
Dossier réalisé par S. Es-Siari, I. Bouhrara & I. Benchanna


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