La crise financière a fragilisé le capital-investissement : 230 Mds $ ont été levés en 2010 contre 660 Mds $ en 2008 et 300 Mds $ en 2009. La migration du capital-investissement des pays développés vers ceux émergents se fait lentement mais sûrement. 17 fonds en activité sont recensés à ce jour au Maroc par l'AMIC. Partner du holding de participations familial Casa Invest, O.Younès a une expérience d'investisseur en capital de 10 ans chez Siparex, où il a financé près de 20 sociétés technologiques et accompagné la création puis la gestion de nouveaux fonds dans les pays émergents (Egypte, Algérie, Koweit, Ukraine). Il enseigne le capital-investissement à HEC, à Dauphine et au Conservatoire National des Arts et Métiers. Tour d'horizon. - Finances News Hebdo : Pouvez-vous nous décrire comment a évolué le capital-investissement au cours des dernières années et quel a été l'impact de la crise financière sur la création de fonds? - Olivier Younès : Entre 1990 et 2010, l'industrie du Private Equity mondiale a vu se créer 12.000 fonds de capital-investissement, qui ont levé en 20 ans 4.000 milliards de dollars US. Cela représente des actifs sous gestion moyens de 350 millions de dollars US par fonds (soit 230 millions d'euros). Au cours de cette période de 20 ans, le rythme des levées de fonds s'est accéléré régulièrement à mesure que l'industrie du capital-investissement était mieux comprise et plus accessible du point de vue des bailleurs de fonds. On peut noter deux pics dans ces levées de fonds : en 2000, avec l'engouement pour le Venture Capital destiné à financer les start-ups Internet, puis en 2007, avec la montée en puissance des fonds LBO destinés au rachat d'entreprises matures par effet de levier bancaire. La crise financière a fragilisé la profession : 660 milliards de dollars US ont été levés en 2008 ; 300 milliards de dollars US ont été levés en 2009. Enfin, 230 milliards de dollars US ont été levés en 2010, soit une attrition des 2/3 des montants levés par le capital-investissement en l'espace de 24 mois. (source : Prequin) - F.N.H. : Dans votre intervention, vous avez signalé que cette classe d'actifs particuliers a suscité un intérêt dans les pays émergents qui ont vu leur part évoluer de 11% en 2009 à 18% en 2010. Quelles sont les raisons sous-jacentes à ce regain d'intérêt ? - O. Y. : C'est en effet une tendance très marquante : ces chiffres suggèrent que l'économie financière accompagne le potentiel de l'économie réelle, tel qu'il est perçu par les bailleurs de fonds. Il s'agit donc de comparer l'attrait des pays émergents (essentiellement les BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine) et celui des pays développés. Je voudrais donner deux chiffres à ce propos : tout d'abord, le basculement du monde. De quoi s'agit-il ? De la contribution des pays développés dans le PIB mondial, qui devrait s'équilibrer avec la contribution des émergents en 2013, puis être supplantée par cette dernière. (source : Alpinvest). Ensuite, la dynamique de cette croissance : entre 2000 et 2010, la croissance annuelle du PIB des émergents (+6% en moyenne) a été supérieure de 4 points par an à la croissance du PIB des pays développés. Et le consensus est identique pour les 5 prochaines années (source : Boston Consulting Group). Bien entendu, la composition et la dynamique des PIB n'expliquent pas tout. Mais elles constituent des éléments de réponse tangibles, capables de fonder certains arbitrages des gestionnaires de fonds internationaux. - F.N.H. : Quelle appréciation peut-on faire de la réglementation des OPCR dans les pays émergents en général, et au Maroc en particulier ? Est-ce que lesdits pays disposent aujourd'hui d'un arsenal juridique encourageant ? - O. Y. : La réglementation des OPCR (organismes de placement en capital-risque) est une amélioration saillante du cadre juridique du capital-investissement au Maroc. Cette démarche, qui retrouve des équivalents dans de nombreux pays, intervient généralement à l'âge de la maturité industrielle, ce qui est le cas au Maroc : 17 fonds en activité sont ainsi recensés à ce jour par l'AMIC l'Association Marocaine des Investisseurs en Capital. La question de la qualité de l'«arsenal juridique» n'a, quant à elle, pas de réponse finie. Il s'agit d'une mutation et d'une amélioration permanente, qui a pour objectifs ultimes la transparence et la diffusion des bonnes pratiques. Cette amélioration passe par les usages qui sont ensuite formalisés par des guidelines professionnels, notamment avec le support de l'AMIC. Les «bonnes pratiques» évoluent ainsi en permanence, partout dans le monde, pour prendre en considération les attentes des opérateurs, des entreprises et des souscripteurs ; cela contribue grandement à améliorer le fonctionnement de l'industrie locale, et donc son attractivité pour les investisseurs. - F.N.H. : Au Maroc plusieurs chantiers ont été lancés au cours des dernières années et qui ont pour leitmotiv l'amélioration du climat des affaires (programme Emergence, Conseil de la concurrence, modification de la loi sur la SARL…). Est-ce qu'on peut considérer ces chantiers comme étant un tremplin pour le développement du capital-risque en matière de partenariat public-privé ? - O. Y. : Ces chantiers sont essentiels et peuvent être considérés, dans la sphère réelle, comme l'équivalent de la réglementation des OPCR qui concerne la sphère financière. Lorsqu'un investisseur international souhaite diversifier son portefeuille d'actifs dans le non-coté en pays émergents, il va analyser ces deux dimensions de politique macro-économique : la réglementation de l'industrie locale du Private Equity (standards internationaux, transparence fiscale…) et le «climat des affaires». Une tendance récente et complémentaire est celle de la prise en compte, par les institutions financières bilatérales et multilatérales (IFC Banque mondiale, BEI, FMO…), des critères non financiers pour sélectionner les fonds d'investissement dans les pays émergents. Ces critères, dits ESG (Environnement, Social et Gouvernance), tendent à s'imposer dans les fonds nouvellement levés. Dans ce contexte, les pays émergents ont probablement une carte à jouer, en prenant en compte ces nouvelles exigences, et ainsi tordre le coup à l'idée qu'il faut choisir entre croissance et soutenabilité. Dossier réalisé par S. Es-siari