Lenvironnement urbanistique au Maroc est-il prêt à changer de manière radicale ? À en croire Toufiq Hjira, ministre de lHabitat, le projet de loi sur lurbanisme aurait cette prétention : bouleverser les vieux schémas urbanistiques et rompre avec les pesanteurs passées. Dans un récent exposé fait devant la commission parlementaire de lIntérieur, de la Décentralisation et des Infrastructures, Toufiq Hjira, ministre en charge de lHabitat, a donné son sentiment sur la vocation attendue du nouveau projet de loi sur lurbanisme. Ce texte, a précisé le ministre, a été «élaboré sur la base dune opération dévaluation du système juridique en vigueur en matière durbanisme, et à laquelle ont pris part notamment les administrations publiques, les élus et les organismes professionnels». Cela revient à dire que les carences constatées jusquà présent vont probablement trouver une issue dans le moyen terme. Lambition du projet de loi de Toufiq Hjira existe. Les moyens de sa mise en uvre font malheureusement défaut. La première remarque que lon pourrait faire concerne cette étroitesse de la définition proposée par les pouvoirs publics pour le nouveau projet de loi. Inutile de rappeler que le droit de lurbanisme est un domaine à la fois «plus large et plus étroit» que le droit de construction. En fait, ces deux domaines ne coïncident que concernant les règles daffectation du sol. Le domaine du droit de la construction recouvre partiellement le domaine de lurbanisme. À ce titre donc, lhabitat nest pas le souci premier du droit de lurbanisme. Ce dernier embrasse en principe ce qui est complémentaire, cest-à-dire laspect esthétique de la ville. La législation marocaine en la matière sest souvent contentée de corriger, rectifier ou dajuster les diverses anomalies constatées dans ce contexte. On a limpression que les pouvoirs publics agissent sous la pression des difficultés et des événements. Il nest pas nécessaire dêtre urbaniste pour réaliser que la quasi-totalité de nos villes, sans parler du monde rural, souffre dune crise urbaine patente. Certes, lurbanisation accélérée et la moyenne de 4.000 logements insalubres annuellement reconstruits révèlent un malaise socio-économique sous-jacent, mais ceci ne doit point «déresponsabiliser» lEtat. Ce projet de loi présenté par Toufiq Hjira nest, par conséquent, pas unique dans le genre. Lancien dahir, qui datait du 30 juillet 1952, a en effet été remplacé par un autre dahir, jugé «révolutionnaire», celui du 17 juin 1992 en loccurrence. Ledit dahir avait pour objet de définir les différents documents officiels afférents à lurbanisme, les règlements de construction ainsi que linstitution des sanctions pénales. Composée de 93 articles, cette loi a été jugée comme un texte qui ne répondait plus aux exigences de la nouvelle stratégie urbanistique. Lavènement du gouvernement dalternance et le regroupement de lurbanisme, de lenvironnement, de laménagement du territoire et de lhabitat en un seul ministère avaient pour but de dépasser la vieille vision sécuritaire. Faiblesse des réserves foncières Il ne faut pas oublier, en effet, que les attentats du 16 mai 2003 de Casablanca ont été à lorigine du renouvellement des débats. Cest le même problème qui est souvent invoqué : labsence de détermination de la part de ladministration de tutelle pour faire respecter la loi. La question aurait dû être plus simple sil sagissait dun seul intervenant. De même, la logique actuelle ne permet plus de confondre «urbanisme» et «aménagement interne de la ville». Dans beaucoup de villes marocaines multicommunales, laménagement de chacune dentre elles ne peut plus se faire de manière isolée. Cest désormais dautant plus évident que la «négociation», longtemps absente des décisions durbanisme, commence à devenir une pratique courante. Cette «négociation» a atteint des actes qui, en principe, devraient être exempts de tout marchandage. Ainsi, le permis de construire ne peut plus sobtenir sans les tractations (devenues normales) préalables à sa délivrance. Le développement anarchique des villes a, dun autre côté, limité la réforme apportée par la loi de 1992. La faiblesse des réserves foncières publiques, la spéculation et le faible coût de lhabitat clandestin sont autant déléments qui pourraient vider le projet de loi actuel de toute sa substance. Rehausser la qualité hygiénique et architecturale de la ville ne pourrait pas être le fait uniquement dun texte légal, aussi efficace soit-il. Faire le bilan des 50 dernières années est certes malaisé, mais la réalité dun espace dhabitat rural autonome est la première conclusion à faire. Cest pourquoi Toufiq Hjira a indiqué que «le projet actuel vient dajouter deux documents relatifs au monde rural, à savoir le plan dorientation et de développement (POD) et le plan dorientation et durbanisme (POU); des documents nécessaires pour orienter le monde rural». Laire urbaine semble aujourdhui produire une sorte de «puzzle» dhabitat de plus en plus multicolore. Cet enchevêtrement est certes explicable, mais incompréhensible, cest-à-dire illégitime au regard du droit de lurbanisme. Quel urbanisme, en effet, attendre de ces décompositions-recompositions opérées par les règles juridiques nouvellement adoptées ? Question cardinale : où est la ville ? Le fait urbain est la forme territoriale des rapports sociaux. Loin dêtre un simple sol-support, le territoire est un instrument et surtout un enjeu. Parfois, si ce nest souvent, on a envie de poser la question suivante : où est la ville ? Même les notions de centre et de périphérie tendent à samalgamer, sinon à disparaître. Les villes et les villages «se fabriquent» comme disait Philippe Penarai, professeur de renom à lEcole dArchitecture de Versailles. Autrement dit, elle nest pas exclusivement «théorique» ou «légale». Lambition du projet de loi de Toufiq Hjira existe. Les moyens de sa mise en uvre font malheureusement défaut. Les communes, pilier de toute politique urbanistique, sont toujours en mal de considération. Autrement dit, la «voix» des citoyens est toujours marginalisée concernant lélaboration et lapplication dune loi. Seules les autorités de tutelle ont le pouvoir de légiférer et dexécuter. Heureusement que le règlement des conflits demeure de la compétence des juges.