Les ALE signés avec 55 pays n'ont pas donné l'impact escompté au Maroc. En effet, la balance commerciale reste déficitaire de 50 %. La conclusion même de ces ALE a été trop précipitée en l'absence d'une loi sur la défense commerciale. Pour Jaouad Kardoudi, Président de l'Institut Marocain des Relations Internationales, les ALE ne sont qu'un moyen et non une fin en soi. - Finances News Hebdo : Beaucoup pensent que les accords de libre-échange signés par le Maroc n'ont pas eu l'impact escompté vu que la balance commerciale du pays reste largement déficitaire. Etes-vous de cet avis ? - Jaouad Kardoudi : En effet le Maroc a signé un grand nombre d'accords de libre-échange avec 55 pays dont 23 accords préférentiels. Pour le moment ces accords n'ont pas eu l'impact souhaité, puisque la balance commerciale du Maroc ne s'est pas améliorée et reste déficitaire à 50%. - F.N.H. : D'aucuns pensent que l'ouverture de l'économie marocaine était inévitable, mais ne pensez-vous pas qu'on est allé plus vite que la musique, notamment en l'absence d'une loi sur la défense commerciale et, surtout, en l'absence d'une mise à jour de la loi sur le commerce extérieur ? - J. K. : En effet, je pense que la signature de ces accords a été trop précipitée. Il fallait, avant la signature, prévoir une loi sur la défense commerciale, et surtout faire une étude préalable et exhaustive de l'impact de chaque accord de libre-échange sur l'économie marocaine. - F.N.H. : Dans le même sens, quel est le manque à gagner pour le Maroc avec la mise en place justement d'une loi sur la défense commerciale et, surtout de la réforme de la loi sur le commerce extérieur ? - J. K. : La loi de défense commerciale a pour but de protéger l'économie marocaine contre les importations à un prix de dumping, celles qui sont subventionnées par les pays fournisseurs, et contre les importations massives. Il n'y aura donc pas de manque à gagner, mais une protection justifiée de notre industrie locale. - F.N.H. : Beaucoup d'opérateurs marocains se plaignent de barrières non-tarifaires appliquées par certains pays signataires avec le Maroc. Pensez-vous que le Maroc a été trop «gentil» dans le traitement de pareilles doléances ? - J. K. : En effet, certains pays arabes, Tunisie et Egypte notamment, font jouer des barrières non-tarifaires pour limiter les importations en provenance du Maroc. Ce dernier a réagi énergétiquement et a permis de lever ces barrières, comme cela a été le cas des exportations de la voiture Logan vers l'Egypte. - F.N.H. : À votre avis, pourquoi les négociations Maroc–UEMOA traînent toujours ? - J. K. : L'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) est une organisation africaine qui comprend 8 pays de l'Afrique de l'Ouest : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo. L'objectif de l'UEMOA est très ambitieux et vise à l'intégration économique des Etats membres, dans le cadre d'un marché ouvert et concurrentiel. Cela pose des questions économiques et monétaires complexes, et c'est ce qui explique, à mon avis, la lenteur des négociations avec le Maroc, outre les difficultés politiques qui ont troublé la Côte d'Ivoire pendant plusieurs mois. - F.N.H. : Ne pensez-vous pas qu'avant d'enchaîner avec un ALE avec le Canada, il faudrait prendre le temps de faire un diagnostic sérieux de la situation du commerce extérieur marocain à la lumière des différents accords conclus ? - J. K. : En effet, je pense qu'avant de signer un nouvel accord avec le Canada, il faut faire un diagnostic sérieux du commerce extérieur marocain, et étudier en profondeur et au préalable l'impact qu'aura ce nouvel accord sur l'économie marocaine. - F.N.H. : Enfin, la multiplicité des intervenants dans ce secteur (ministère, Maroc Export, CNCL, …) est-elle bénéfique ? Ou bien l'organisation actuelle doit-elle être revue ? - J. K. : Il faut effectivement revoir l'organisation du commerce extérieur marocain qui souffre de plusieurs défaillances. Mais il faut bien dire que les accords de libre-échange ne sont qu'un moyen et non une fin en soi. Il ne faut pas oublier l'impact qu'ils peuvent avoir aussi sur l'attractivité des investissements vers le Maroc. Il est certain qu'un investisseur étranger peut être encouragé à investir au Maroc lorsque son propre pays a un accord de libre-échange avec le nôtre. Mais le vrai problème pour notre commerce extérieur est d'améliorer la compétitivité de nos biens et services, et surtout d'élargir la gamme exportable. La Chine inonde le marché mondial de ses produits, sans avoir besoin de signer un quelconque accord de libre-échange avec les pays acheteurs. De même, le meilleur moyen d'attirer les investissements étrangers est de promouvoir un climat des affaires suffisamment performant pour que l'investisseur choisisse notre pays. Dans ce cadre, la multiplicité des accords de libre-échange signé par le Maroc peut être un atout, dans la mesure où une entreprise étrangère installée au Maroc peut exporter ses produits vers un grand nombre de pays liés avec le Maroc par un accord de libre-échange. Pages réalisées par I. B. & S. E.