Malgré leur rareté, les crimes commis par des malades mentaux jettent l'effroi dans la population. On n'évoque presque jamais les agressions qu'ils commettent sur eux-mêmes, et la stigmatisation y est pour beaucoup. Le passage à l'acte ne survient que chez les malades ayant interrompu leur traitement ou bien qui se droguent. Malgré l'existence d'une loi protégeant les malades, celle-ci n'est malheureusement pas appliquée. Des homicides et des agressions, il y en a et il y en aura ! Mais certains faits divers ne passent pas inaperçus et inquiètent plus l'opinion publique. Il s'agit notamment des agressions perpétrées par des malades mentaux fraîchement sortis des centres psychiatriques. Automatiquement, la question se pose : pourquoi les a-t-on relâchés ? Comme si tout malade mental devait être interné à vie. Si cela était le cas, la moitié de la population marocaine serait internée ! En effet, selon l'enquête nationale réalisée en 2006 sur la prévalence des troubles mentaux pour les 15 ans et plus, 48,9 % de la population enquêtée, présentent au moins un signe relevant d'une mauvaise santé mentale, quel qu'en soit le degré de gravité, allant du simple tic nerveux ou de l'insomnie passagère, à des manifestations plus graves découlant d'un état d'anxiété plus profond ou d'une dépression. Ainsi, 5,6 % est la prévalence d'un trouble psychotique sur la vie entière. Comme le dit si bien Gad Elmaleh «L'autre c'est moi», toute personne doit revoir le problème autrement que s'il s'agissait de personnes à camisoler puisque personne n'est à l'abri. • Ce qu'on retient moins de ces faits divers c'est qu'ils dévoilent un vrai problème de santé publique mais également d'ordre public. Celui de la prise en charge de ces malades quel que soit le degré de gravité de leur maladie. En effet, les maladies mentales quelles qu'elles soient sont maîtrisables grâce à des traitements qui aident les patients à mener une vie quasi normale. «Or, l'arrêt de ce traitement dans le cas de schizophrénie, de troubles bipolaires ou autres, se traduit par des hallucinations, des idées délirantes ou par un comportement bizarre et désorganisé», explique un psychiatre de Rabat ayant requis l'anonymat. • Pratiquant d'abord dans un service public et par la suite dans son propre cabinet, ce praticien juge la différence entre le public et le privé énorme. «La principale différence qu'il faut souligner est que dans le cas du privé, la famille est fortement présente pour le patient et assure le suivi médical. Dans le cas du public, certains patients étaient accompagnés de personnes de leur entourage qui n'ont pas forcément la pleine mesure de ce que provoquerait l'arrêt d'un traitement psychiatrique», souligne-t-il. • «D'abord, il y a à craindre pour la vie du patient quand il s'agit de pathologies lourdes et, dans un deuxième temps, pour son entourage», assure ce psychiatre. En effet, le premier danger pour les malades gravement atteints et ayant interrompu leur traitement, ou qi se droguant, est d'intenter à leur vie. Ainsi, comme le souligne le Professeur Driss Moussaoui (voir entretien), 10 % des malades schizophrènes meurent par suicide. • Et puis le grand tabou de la société marocaine est le traitement réservé à ces malades. En effet, certains d'entre eux, vu leur état de trouble, sont sujets d'abus de tous genres. Cela va de la camisole à l'abus sexuel en passant par le châtiment corporel. Sans oublier le tort moral qu'est la stigmatisation de la société ! • Dans un second plan, ces patients peuvent éventuellement être un réel danger pour leur entourage. On se rappelle encore l'effroi qu'avait provoqué le matricide commis à Fès par un malade mental fraîchement sorti d'un centre psychiatrique. En effet, il y a un mois le jeune homme tuait sa mère à coups de hache. Un meurtre particulièrement barbare aux yeux de la société qui en arrive presque à oublier que son auteur est une personne souffrant de graves troubles mentaux, ayant probablement arrêté son traitement et s'est adonné à la drogue ! • Heureusement, tous les malades mentaux graves ne sont pas dangereux. Il n'en demeure pas moins qu'il leur est impératif de poursuivre le traitement. • Or, un malade mental, inévitablement, n'est pas en mesure d'assurer son traitement par lui-même. Et c'est là qu'entre en jeu le rôle déterminant de la famille et de l'entourage. Un Dahir non appliqué ! Sur le plan juridique, l'amélioration de la prise en charge des malades souffrant de troubles neuropsychiatriques est régie par deux importants Dahir : le Dahir n° 1-58-295 du 30 avril 1959 et le Dahir n° 1-73-282 du 21 mai 1974. Ces textes de loi stipulent le respect et la protection des patients selon les dispositions du Dahir. Le respect des droits des patients dans les structures de psychiatrie passe par un abolissement de toutes les méthodes de contention et les entraves à leur liberté en tant qu'individus, ainsi que la lutte contre l'exclusion et l'ostracisme à l'encontre des malades mentaux. Malheureusement, ces Dahirs ne sont pas appliqués une fois le malade à l'extérieur, notamment en matière de désignation d'une personne qui en sera responsable une fois le sujet libéré. Cette responsabilité implique également le suivi du traitement et de prise de médicaments. Dans ce sens, le praticien n'a aucune autorité pour désigner le tuteur ou parrain du malade. Une telle décision doit passer par la Justice, ce qui se traduit par une lourdeur administrative, donc par l'abandon de toute démarche dans ce sens. Les médecins ne peuvent se fier qu'à la bonne volonté et à la conscience de la famille du malade. Or, cette situation ne peut perdurer. En effet, selon les statistiques de l'Organisation mondiale de la santé, les troubles mentaux constituent près de 12% de la charge de morbidité mondiale et, d'ici 2020, ils seront près de 15%. C'est chez les jeunes adultes, tranche d'âge la plus vulnérable et la plus productive de la population, que cette charge est maximale. Dans le cadre de la politique de proximité et de décentralisation de la prise en charge psychiatrique adoptée par le Maroc, et conformément aux recommandations de l'OMS, les objectifs principaux à l'horizon 2015 sont l'extension de la couverture psychiatrique à l'ensemble des provinces dans un but d'augmenter l'offre de soins et l'amélioration de la qualité de prise en charge des personnes souffrant de troubles neuropsychiatriques et de toxicomanies. La révision du cadre juridique doit être également à l'ordre du jour pour mieux responsabiliser et les praticiens et les familles dans le suivi des malades. C'est au prix d'une prise en compte de tous ces facteurs que nous pourrons réussir une bonne politique de santé mentale.