Quelque 62,8 % de femmes âgées de 18 à 64 ans ont subi un acte de violence au Maroc. L'enquête du HCP montre également que 23% des femmes, ou 2,1 millions, ont subi un acte de violence sexuelle à un moment ou à un autre de leur vie. Les femmes violentées ne s'adressent pas toujours à la police. On n'est pas particulièrement surpris des résultats de l'Enquête nationale sur la Prévalence de la violence à l'égard des femmes (ENVF) ! Menée par le Haut Commissariat au Plan sur l'ensemble du territoire national entre juin 2009 et janvier 2010, et sur une population de 9,5 millions de femmes âgées de 18 à 64 ans, l'enquête révèle que près de 6 millions de femmes ont subi un acte de violence. Soit 62,8% des femmes marocaines à avoir subi un acte de violence, sous une forme ou une autre, durant les douze mois précédant l'enquête. Les résultats montrent que 3,8 millions des femmes violentées sont issues du milieu urbain et 2,2 millions du milieu rural. L'enquête a porté sur un échantillon de 8.300 femmes âgées de 18 à 65 ans et sur les actes de violence qu'elles ont dû subir au cours de l'année 2009. Elle s'est proposée pour objectif de mesurer la prévalence de la violence sous toutes ses formes à l'égard de cette catégorie de femmes et dans les différents cadres de vie où elle a été commise : public, social, familial, conjugal, extraconjugal, professionnel et éducatif. Concernant la violence physique, l'enquête révèle une prévalence de 35,3% des femmes, soit 3,4 millions, ayant subi un acte de violence physique depuis l'âge de 18 ans. Elles sont deux fois plus nombreuses en milieu urbain. Durant les douze mois précédant l'enquête, un peu plus de 15% des femmes ont déclaré avoir subi une violence physique. Ce phénomène s'avère plutôt urbain, le taux de prévalence étant 2 fois plus élevé dans les villes que dans les campagnes (19,4%, contre 9%). Et ce sont les femmes au chômage qui sont les plus concernées, avec un taux de prévalence de 23%, totalisant 80 mille femmes ; la catégorie des femmes portant habituellement des tenues modernes courtes enregistre une prévalence de 32%, soit 76 mille femmes (contre 7,5% parmi celles ayant l'habitude de porter des djellabas ou l'équivalent). Passées à tabac au sein de leur «nid d'amour» Dans le milieu conjugal, avec un taux de prévalence de 6,4%, ce sont 430 mille femmes mariées à déplorer cette violence, ce qui ne serait pas sans répercussions sur un peu plus de 925.000 enfants. Les plus touchées sont les femmes vivant dans la promiscuité : la prévalence passe de 12,6% parmi les ménages vivant à 5 personnes. Sur un autre volet, 23% des femmes, ou 2,1 millions, ont subi un acte de violence sexuelle à un moment ou à un autre de leur vie. Ces victimes sont trois fois plus nombreuses en milieu urbain (2,2 millions) qu'en milieu rural. Dans sa forme la plus grave (le rapport sexuel forcé), la violence sexuelle fait annuellement 38.000 victimes, soit un taux de prévalence de 0,4%. Dans le cadre conjugal, elles sont 6,6% soit 444.000 femmes mariées à subir des actes de violence sexuelle. Il s'agit dans la majorité des cas de pratiques sexuelles non désirées par la femme. Concernant la violence psychologique, tous contextes confondus, elle est la plus répandue, avec un taux de prévalence de 48,4%, 4,6 millions de femmes en sont victimes (3 millions en milieu urbain et 1,6 million en milieu rural). Les jeunes sont les plus exposées à ces violences, le taux de prévalence baisse de 48,4% pour les femmes âgées de 35 à 39 ans à 57,5% pour les jeunes de 18 à 24 ans. Dans les lieux publics, une femme sur quatre ou 2,4 millions de femmes sont victimes de violence psychologique (1,8 million en milieu urbain et 568.000 en milieu rural). Les autres formes de violence Près de trois millions de femmes, soit une proportion de 31,3%, sont victimes d'atteintes à leur liberté individuelle. Le taux de prévalence de cette forme de violence est particulièrement élevé dans le contexte conjugal où il dépasse 30% et fait plus de 2 millions de victimes. La violence économique, qui consiste notamment à nier à une femme le droit d'accéder aux ressources et d'en avoir la libre disposition, est subie par plus de 181.000 femmes (une proportion de 8,2%) et est relativement plus répandue en milieu rural (une prévalence de 13%) qu'en milieu urbain (6%). Dans le cadre conjugal, avec une prévalence de 9,3%, 126.000 femmes mariées se retrouvent victimes de cette violence et dans le contexte familial, elles sont 53.000 femmes à en déplorer un acte (2,4%). Les victimes de cette forme de violence sont principalement les femmes sans niveau scolaire dont le taux de prévalence atteint 11% (contre 2,3% parmi celles ayant un niveau supérieur). Les femmes ne portent pas automatiquement plainte Les violences survenues dans les lieux publics sont rapportées à une autorité compétente dans seulement 17,4% des cas. Les actes les plus rapportés sont les agressions avec un objet contondant ou produit dangereux (45% des cas), la menace avec un objet contondant ou produit dangereux (30,6%), les gifles, coups et autres violences physiques (26,4%), le vol avec brutalité (20,8%) et les insultes (7,1%). La violence conjugale n'est rapportée à une autorité compétente que dans 3% des cas globalement. Les actes les plus rapportés sont les agressions avec un objet contondant ou produit dangereux (41,7% des cas), la privation des enfants (21,2%) et l'expulsion du domicile conjugal (6,9%). Pour porter plainte contre les auteurs de la violence conjugale, les femmes s'adressent pour un peu moins de la moitié des cas à la police, pour un peu plus du tiers à la gendarmerie et pour un sixième des cas au parquet. Concernant les suites données aux plaintes contre la violence conjugale, hormis les affaires en cours (15% environ), la majorité des plaintes a fini par l'établissement d'un procès verbal (25%) ou par la conciliation entre les conjoints / renonciation à la poursuite (38%). Suite à ces plaintes, 1,3% des auteurs est arrêté et 1,8% inculpé. I. B. * Milieu professionnel : Les femmes divorcée, principales victimes Pour le Haut Commissaire au Plan, la violence à l'égard des femmes est d'abord urbaine. Elle est, en particulier, le fait de jeunes et sa prévalence augmente avec la précarité socio-économique. En milieu professionnel, le taux de prévalence des violences sexuelles parmi les femmes divorcées est 3 fois supérieur à celui des femmes célibataires. C'est cependant le chômage qui accroît en général, le risque de toutes les formes de violence. Le taux de prévalence de la violence physique parmi les femmes au chômage, par rapport aux femmes actives, est de 140%... «En conclusion, je voudrais dire que la richesse des résultats fournis par l'Enquête nationale sur la prévalence de la violence à l'égard des femmes est appelée à constituer une source d'inspiration pour d'intéressantes analyses et de très utiles enseignements. Ce qui me semble fondamental, à partir d'un rapide aperçu de la tabulation des données issues de cette enquête et de leurs multiples croisements, est moins leur signification immédiate que leur portée révélatrice de l'état de crise identitaire que connaît la jeunesse marocaine au stade actuel de la transition économique et sociétale que traverse notre pays . La dimension des brimades psychologiques ou des obstacles à leur liberté personnelle que ressentent les jeunes Marocaines comme des violences et qu'elles dénoncent comme telles, constitue une remise en cause fondamentale des rapports sociaux et culturels de la société traditionnelle en mutation», souligne Ahmed Lahlimi. En l'absence d'une appropriation collective d'un modèle de société assurant la cohérence entre le modèle de production et de consommation largement en voie de domination, et les valeurs culturelles et sociétales qu'ils infèrent, les violences que s'infligent les jeunes, agresseurs et victimes, peuvent devenir beaucoup plus préoccupantes. Ceci doit interpeller tous ceux à qui revient la vocation et la responsabilité de donner à notre jeunesse un nouvel idéal où, comme du temps de la lutte pour la libération, l'engagement collectif de toute une société ouvre, par delà les lois, us et coutumes, la voie à une égale promotion des hommes et des femmes.