C'est dans son atelier que l'artiste peintre Abdelkrim Belamine nous accueille. L'endroit est calme, bien que situé en plein cœur de Casablanca. Meubles Art Déco, matériel de dessin, toiles suspendues, d'autres par terre… Le seul bruit qu'on entend est le gazouillement d'un oiseau de compagnie. Si aujourd'hui le peintre, l'un des plus cotés au Maroc, mène la belle vie, il faut savoir qu'il a bataillé pour. Il nous ouvre son atelier, mais également son cœur… Né à Casablanca un 23 octobre 64, Abdelkrim Belamine a été fortement influencé par son père, Maalem en sculpture de plâtre, et par ses trois frères artistes-artisans. «Je suis né dans une famille d'artistes, donc, depuis mon jeune âge, j'avais pris le crayon dans mes mains et me suis mis à dessiner». Très tôt, il est à l'aise avec le monde de l'art et de la création et donne libre cours à son imagination. Une créativité qui lui vaudra un prix alors qu'il n'avait que 14 ans. En effet, à l'époque, une banque de la place organisait le concours du Don de sang. Plusieurs artistes présentent leurs tableaux et, au final, le premier prix revient à Abdelkrim. L'assistance est surprise lors de la cérémonie de remise du prix, puisqu'elle découvre un jeune garçon de 14 ans. «C'était un moment fort et à ce moment-là, les artistes et beaucoup d'autres personnes m'ont conseillé de suivre des études en Beaux-Arts». Il ne faut pas pour autant croire que concrétiser ce rêve fut chose facile. En effet, issu d'un quartier populaire, Aïn Chock, Abdelkrim Belamine doit emprunter la même voie que tous les autres jeunes qui veulent s'en sortir, celle du travail. En effet, très jeune, il refuse de demander de l'argent de poche à ses parents et préfère se débrouiller tout seul. Et une fois le Bac en poche, il s'inscrit à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Tétouan sans bourse ni soutien financier de la famille. Il doit alors travailler dur pour financer ses trois années d'études. Il est vrai qu'en terminale il avait reçu un chèque pour un tableau qui avait remporté pour la deuxième fois un concours. Mais dans l'ensemble, il devait lutter pour survivre «Je ne suis pas né avec une cuillère d'or dans la bouche. J'ai trimé pour réaliser tout ce que j'ai fait dans la vie. Et en arrivant à Tétouan, j'ai compris que l'art ne pouvait faire vivre son homme que si l'on y met du cœur et qu'on travaille sérieusement». Ainsi, il a dû faire face à de grandes difficultés financières, sans jamais baisser les bras. «La première année surtout, on allait parfois dans des restaurants où l'on vendait des tableaux contre des repas. Mais, en deuxième année, la vie a été un peu plus facile. En effet, nous avions loué une maison pour 1.000 DH que nous payions avec 10 aquarelles par mois. La troisième année, c'était carrément la bourgeoisie puisqu'on avait un argent de poche plus conséquent». Les étudiants sont même lorgnés par les écoles espagnoles et françaises qui leur proposent de poursuivre leurs études à l'étranger contre des bourses estudiantines en 1990. Abdelkrim Belamine s'inscrira d'ailleurs à l'Académie des Beaux-Arts de Tournai juste après avoir obtenu son diplôme d'études académiques des arts graphiques et décoration. Mais, il n'y restera finalement que trois mois avant de revenir au Maroc. À son retour, il prépare une série de tableaux pour sa première exposition à Venise Cadre, l'une des plus anciennes galeries du Maroc. Il va à la rencontre de Fortunato Lombardini, ce dernier lui explique qu'il ne peut exposer ses œuvres que s'il a une certaine expérience et s'il a déjà exposé ailleurs. Mais, il changera vite d'avis quand il verra le travail d'Abdelkrim Belamine. «Il était tellement subjugué qu'il m'a acheté le premier tableau de la collection. Et comme le calendrier de la galerie était bouclé pour l'année, il m'a proposé d'exposer dans un grand hôtel de la place. L'exposition a tout simplement été un succès puisqu'en plus des tableaux qui ont tous été vendus, j'ai eu un nombre important de commandes». L'année suivante, Abdelkrim Belamine expose à Venise Cadre ; autant dire qu'il est entré dans le monde de l'art par la grande porte. Si l'ancienne génération de peintres était quelque peu réticente au figuratif, la nouvelle génération, dont Abdelkrim Belamine faisait partie, a su finalement s'imposer. Le choix de ce courant artistique s'est imposé à l'artiste peintre par la formation qu'il a eue à Tétouan. «Nos professeurs ont cultivé en nous l'amour de l'art figuratif. Ils sont pour moi un modèle de vie, surtout qu'ils avaient galéré avant nous. Je pense particulièrement à Ben Yessef qui a écrit un livre où il a décrit cette bataille de tous les jours pour survivre et poursuivre sa passion, ou encore Mekki Mgahra et Saad Ben Cheffaje». Même le choix des sujets de ses toiles n'était pas fortuit. En effet, à l'époque où il était célibataire, il prenait son sac à dos pour sillonner les endroits les plus reculés du Maroc. «Pour ma première exposition, je suis parti à Assoul, dans la région d'Errachidia, où j'ai vécu quelque temps auprès des habitants du village. Je me suis imprégné de leur vie, us et coutumes… de la beauté du paysage… Et c'est tout leur univers que j'ai retracé avec ma palette». Il fera par la suite plusieurs immersions dans des régions du Maroc pour s'inspirer et le résultat est tout simplement magnifique. Père de famille et artiste, Abdelkrim Belamine conjugue les deux facilement. «Quand je suis à la maison avec ma femme et mes enfants, je suis entièrement avec eux. Je mène une vie ordinaire. Mais quand j'entre dans mon atelier, je pénètre dans un autre univers !». Souvent, en travaillant, il se laisse emporter par la musique rock, notamment les groupes Skorpion ou Pink Floyd. «Peindre est un combat entre moi et la toile, soit je gagne, soit elle gagne. Certains tableaux m'ont tellement épuisé que je ne les ai jamais terminés». Le peintre a choisi de dédier son œuvre à la beauté du Maroc qui est au coeur de son travail, et pour cause ! «Quand j'ai commencé à peindre, j'ai remarqué que seuls les peintres étrangers, surtout français, consacraient des toiles au Maroc, à ses paysages et à ses gens». Ainsi, dans toutes ses toiles, Abdelkrim Belamine mettait de manière subtile un détail qui montrait que tel tableau reprenait un thème marocain. On retrouve dans ses œuvres des couleurs qui lui sont chères, à savoir les tons rougeâtres, les ombres brûlées … Et puis vers le bas, les toiles ne sont presque pas achevées, une sorte de fin ouverte qui laisse prévoir une continuité du paysage. Peintre, Abdelkrim Belamine s'est également essayé au métier de galeriste. «Il y a quelques années, on souffrait du problème du nombre limité de galeries d'art. Alors, j'ai décidé d'ouvrir la mienne, ce que beaucoup ont tenté de m'en dissuader. Je l'ai ouverte avec comme idée d'aider les jeunes talents qui peinaient à exposer dans les grandes galeries. Maintenant, à Casablanca, on compte 20 à 30 galeries. Malheureusement, le problème persiste puisque certains galeristes ne prennent pas ce risque d'accompagner de jeunes talents, et ça c'est dommage !». Une expérience qui ne durera pas longtemps avant qu'on ne décide de se concentrer sur ses amours premières. Dans la vie, la seule devise qui vaille aux yeux d'Abdelkrim Belamine est le travail. Pour lui, c'est le moteur de la vie. Et malgré toutes les épreuves difficiles qu'il a dû subir à ses débuts, Abdelkrim Belamine ne changera rien à sa vie, ni à son attachement à son pays.