L'artiste peintre Benhila Regraguia n'est plus. Elle s'est éteinte à Essaouira à l'age de 69 ans, suite à une longue maladie qui a eu prise sur son âme. C'est dans son atelier à Hrarta à la région d'Essaouira que la mort l'a happée. Sur son parcours artistique, Abdelkader Manan anthropologue a écrit : « Artiste autodidacte, elle est née à Essaouira en 1940. Et ce n'est que tardivement, en 1988 qu'elle a commencé à produire ses premières esquisses si caractéristiques par leur univers labyrinthique et tourmenté aux thématiques extravagantes et aux couleurs chatoyantes où s'expriment son imaginaire, sa féminité et sa forte personnalité. Elle la première femme peintre d'Essaouira. Ses œuvres ont été présentées pour la première fois, à la galerie Frederic Damgaard le 3 mars 1989, à l'occasion de la fête du Trône. Elle a ensuite exposé place de l'horloge et à Beit Allatif face aux batteries de la Scala de la mer.. Par la suite, elle s'est liée d'amitié à l'écrivain Fatima Mernissi et à un groupe de femmes Allemandes qui exposèrent ses œuvres à Cologne, francfort et ailleurs. C'est une figure emblématique des femmes d'Essaouira, dont elle portait le haîk, qui disparaît aujourd'hui. Et c'est en 1989, que je l'avais rencontré au cœur de la médina où elle résidait ». Et ajouter : « La peinture de Benhila est d'une générosité exubérante. D'une grande fraîcheur. La fraîcheur du ciel et de la mer. Elle peint l'aube à la fois étrange et belle lorsque les brouillards de la nuit font danser la lumière du jour. C'est le monde qui renaît au bout du rêve. Elle peint le ciel de la fertilité quand le jour enfante la nuit :« Au moment où la nuit pénètre dans le jour, dit-elle, je te jure au nom d'Allah tout puissant que je vois défiler tout l'univers. J'adore le ciel quand le soleil décline. Je vois les nuages qui se meuvent et j'imagine un autre monde au dessus de nous. Je vois dans le ciel comme des arbres, des oueds, des oiseaux, des animaux. Les labyrinthes que je peins sont comme les ruelles de la vieille médina : tu vas dans une direction mais tu aboutis à une autre. Je peins les chats qui rodent sur les terrasses. Les enfants qui jouent dans les ruelles étroites, les femmes voilées au haïk, leurs yeux qui sont les miroirs des hommes et notre « mère – poisson » qui est une nymphe très belle, une gazelle qui mugit de beauté avec ses cheveux balayant la terre. Je n ‘oublie pas l'île et les monuments, symboles d'une histoire révolue. Tout cela m'apparaît dans les nuages ou me revient dans les rêves. » .Ses tableaux, elle les voit d'abord dans le spectre des couleurs qui illuminent le crépuscule au dessus de l'île et de la mer. Elle fixe ces projections poétiques dès qu'elles réapparaissent sur la toile blanche, dès qu'elle en saisit le bout du fil. Ce sont souvent des représentations symboliques du rêve, aux connotations très freudiennes. » (« Artistes d'Essaouira » paru en 1990, article sous le titre : « La quête de la fertilité »). Ahmed Harrouz, artiste plasticien et chercheur universitaire nous révèle : « ...la défunte Regraguia Benhila était une authentique artiste peintre, mais pas seulement peintre dans le sens de l'utilisation des couleurs ou des formes; peintre dans le sens de la perception à travers l'autre langage de la saisie visuelle et spirituelle de la nature, du sort de l'être humain et des histoires qu'il porte ou fait exprimer.., c'est à dire qu'elle n'était pas une « analphabète ou une ignorante qui peint », mais une autre intellectuelle qui fait exprimer le monde à sa manière, comme elle faisait exprimer le patrimoine culturel, ou l'échange interculturel, ou le joie de l'art, ou la fraternité et l'amour universel..; elle était aussi une artiste engagée, qui ne fait pas de cadeau aux circonstances formelles ou de complaisance, quand ça ne va pas elle proteste d'une manière très forte, et quand elle observe une défaillance ou négligence concernant la condition des artistes ou des associatifs elle la condamne ouvertement, tout comme elle a aimé chanter toute sa vie pour la liberté, individuelle ou collective... qu'elle repose en paix.. », De son coté, Abdelmajid Zouitina, vice -président du Syndicat l des Plasticiens Marocains, nous a souligné: « Regraguia , Figure de prou de la création au féminin , a marqué l'histoire de l'art marocain d'une empreinte profonde grâce à ses œuvres inédites. Il a bien voulu s'installer dans la compagne, dans la région d'Essaouira, où il passe la plus grande partie de son temps, pour se consacrer à sa peinture lyrique. Ses oeuvres récentes sont placées sous le signe de la continuité et de l'éparpillement dans la forme et la couleur plus vive moins sombre, en donnant libre cours à ses fantasmes. Son empreinte est toujours omniprésente. » . Pour sa part, Raiss Abdessalam , président de l'Association Marocaine des passionnés des Arts Plastiques, nous révèle : « Regraguia nous a légué un immense travail, bien recherché et très créatif. Elle est parmi les grandes figures de la peinture marocaine. Son œuvre est partie intégrante du patrimoine national non seulement dans le domaine de la peinture, des arts plastiques mais du point de vue de notre culture visuelle en général également. Je souviens d'une femme généreuse, discrète, toujours vivante. Elle avait lutté courageusement contre la maladie jusqu'au dernier jour. Elle n'était pas seulement une artiste peintre mais un a acteur associatif confirmé et une militante de la culture et de la promotion des arts plastiques au Maroc. ».