Interviewé par Imane Bouhrara | Le PLF 2022 qui doit tenir compte de l'entrée en vigueur de la Loi-cadre relative à la réforme fiscale, laisse dubitatifs les professionnels du chiffre. Le point avec Abdelaziz Arji, Expert-comptable, Auditeur Commissaire aux comptes, Fondateur du cabinet EURODEFI-AUDIT et Président de la Commission appui aux entreprises de la CFCIM. EcoActu.ma : Quelles appréciations faites-vous de manière générale du PLF 2022 ? Abdelaziz Arji : Le PLF 2022 sort au milieu d'une crise sanitaire qui en est à sa deuxième année et dans une période de transition politique. Autant de facteurs qui en font un des projets de lois le moins fournis des dix dernières années en termes de mesures fiscales. Le timing de la campagne électorale a inhibé la réflexion pour produire un programme innovant pour l'année prochaine. En revanche, le PLF adopte une démarche keynésienne en tablant sur la dépense et l'investissement de l'Etat pour relancer la croissance économique ; avec toutefois un risque de déboucher en 2022 sur un déficit record. En effet, il est prévu la création de 26.860 postes budgétaires et près de 92 milliards de dirhams pour le programme d'investissement des établissements et entreprises publics. Quelles mesures principales viennent répondre aux attentes des professionnels du chiffre ? * Une mesure a largement déçu les experts comptables à savoir le retour à la proportionnalité du barème de l'IS alors que son caractère progressif semblait acquis. Nous risquons d'assister au recours encore une fois au morcellement des entreprises afin de bénéficier des premiers paliers de l'IS. * Une mesure timide a concerné la baisse du taux d'IS pour les sociétés industrielles de 28 à 27% que j'espère s'inscrit dans la convergence progressive vers un taux unifié en matière d'IS ; * Un effort a été consenti pour baisser la cotisation minimale de 0,75% à 0,5%, sous conditions ; * La contribution sociale de solidarité a été enlevée pour les particuliers et maintenue pour les sociétés. Je trouve que cette mesure est nécessaire en raison de la situation de crise engendrée par la pandémie ; * Nous saluons également les aménagements opérés sur la contribution professionnelle unique, qui n'a pas eu l'adhésion des professionnels opérant dans l'informel comme on l'espérait ; * Mais la grande attente est bien entendu la baisse de la pression fiscale sur les entreprises transparentes et l'élargissement de l'impôts aux contribuables non conformes ou opérant dans l'informel. Quelles doléances demeurent en attente dans le sillage de la loi-cadre relative à la réforme fiscale ? Je pense que le timing des élections n'a pas permis au nouveau gouvernement de tirer parti des recommandations contenues dans le projet de loi-cadre n°69-19 relatif à la réforme fiscale. C'est ainsi que nous déplorons la non prise en compte des améliorations suivantes qui sont nécessaires pour moderniser notre système fiscal : * La consécration de la neutralité fiscale, en matière de TVA : Ce PLF devait à mon avis amorcer l'élargissement du champ d'application et la réduction du nombre de taux. Nous avons noté une seule mesure qui concerne le matériel photovoltaïque et solaire ; * Pas d'effort de généralisation du droit au remboursement de la TVA ; * Le PLF n'a pas non plus essayé d'améliorer la contribution à l'IS des organismes publics ou des sociétés bénéficiant des activités régulées ou de monopoles ; * Le PLF n'a pas abordé La fiscalité internationale dont la conformité au Maroc n'est qu'à ses débuts ; * Nous n'avons pas noté de mesures pour encourager les startups ni la recherche et développement ; * Nous nous attendions à un effort vers l'unification du taux d'IS pour les zones d'accélération industrielle et de services. Je m'attendais par exemple à ramener le taux d'IS des sociétés d'offshoring de services à 15% au lieu de 20% ; * Le PLF aurait pu également attaquer la problématique du barème progressif de l'impôt sur le revenu qui pénalise les salariés et la compétitivité des entreprises ; * Enfin, le PLF ne s'est pas attardé sur le renforcement des droits des contribuables et ceux de l'administration ; en dehors de la création des Commissions régionales de recours fiscal. Quid des mesures relatives au recours fiscal ? Le PLF 2022 prévoit l'institution d'une nouvelle commission dite « Commission régionale du recours fiscal » (CRRF) à laquelle seront adressés les recours suivants : * Ceux portant sur la vérification de comptabilité des contribuables dont le chiffre d'affaires déclaré est inférieur à dix (10) millions de dirhams, * Ceux relatifs aux rectifications en matière de revenus et profits de capitaux mobiliers. Par conséquent, les compétences des commissions locales de taxation existantes (« CLT ») seront limitées aux rectifications en matière de : * Revenus professionnels déterminés selon le régime de la contribution professionnelle unique, * Revenus et profits fonciers, * Droits d'enregistrement et de timbre. Quel serait l'apport de l'institution de ces commissions régionales de recours fiscal ? Je trouve louable le dispositif des CRRF dans la mesure où il permet une meilleure défense des contribuables en se délestant de certains litiges mineurs laissés aux CLT, et surtout il consacre un équilibre dans les pouvoirs au sein des commissions de recours fiscal. Nous le notons facilement dans la composition de cette Commission régionale puisqu'elle prévoit un magistrat président et donc neutre, deux représentants de l'administration, et deux représentants du contribuable. Toutefois, j'aurais vu d'un meilleur œil le remplacement de la Commission nationale du recours fiscal par les Commissions régionales du recours fiscal. En effet, on assiste actuellement à des contribuables qui sont obligés de venir d'Oujda ou de Dakhla pour assister aux auditions de la seule CNRF localisée à Rabat. Dans quelle mesure le PLF peut-il contribuer au renforcement de la confiance administration fiscale-contribuables ? Les contribuables attendent une application claire et loyale des lois votées. La tergiversation ou bien une interprétation abusive risque d'ébranler cette confiance. Mais dans l'ensemble, les professionnels du chiffre et du droit notent une nette amélioration des rapports avec l'administration fiscale qui se concrétise dans : * La programmation des contrôles fiscaux est de plus en plus dénuée de subjectivité humaine grâce à la digitalisation des process et au système SAR de recoupements fiscaux ; * Les contrôles sont conduits par des inspecteurs très bien formés et jouissant d'une honorabilité et font preuve d'une pédagogie exemplaire.