Les Assemblées annuelles 2021 du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) ouvertes mercredi, ont consacré les premières discussions sur la gestion de la dette africaine. Plusieurs participants ont insisté sur la nécessité de réformes internes, de restructuration de la dette et d'un soutien international efficient pour relancer les économies africaines et éviter le surendettement du continent. L'Afrique a enregistré en 2020, sa pire récession économique des 50 dernières années à cause de la pandémie de Covid-19. Cette pandémie a provoqué des besoins de financements énormes des Etats, creusé les déficits budgétaires et poussé à l'endettement. Afin d'éviter le surendettement qui pourrait pousser les économies africaines dans le gouffre, la Banque africaine de développement consacre la première journée des discussions à la question de la dette africaine. Intitulée « De la résolution de la dette à la croissance : la voie à suivre pour l'Afrique », cette rencontre des Assemblées annuelles axées sur le savoir est la première d'une série de trois réunions consacrées à la dette, au climat et à l'adaptation climatique ainsi qu'à la lutte contre la pandémie de Covid-19. Selon le président de la Banque africaine de développement, Dr Akinwumi A. Adesina « les cicatrices profondes laissées par la pandémie de Covid-19 (en Afrique) prendront du temps à être remontées ». Du fait de la pandémie, le Pib du continent a diminué de 2,1% en 2020 (mais la croissance devrait remonter à 3,4% en 2021) et la pauvreté et les inégalités vont croissant. Au moins 30 millions d'Africains sont tombés dans l'extrême pauvreté en 2020 et 39 millions d'autres pourraient connaître la pauvreté en 2021. Le ratio dette/PIB devrait augmenter de 10 à 15% en passant de 60% en 2020 à 75% en 2021 et la question de la dette est omniprésente. La réalité sur la dette africaine En mai 2021, 17 pays africains sur 38, pour lesquels une analyse de la viabilité était disponible, étaient en situation de surendettement, douze pays faisaient face à un risque modéré de surendettement et six pays étaient déjà en situation de surendettement. La structure de la composition de la dette africaine a connu des mutations importantes au fil du temps passant de source traditionnelle tels que les prêteurs multilatéraux et le Club de Paris à celle de créanciers privés et non membres du Club de Paris. En 2000, les créanciers bilatéraux, notamment les membres du Club de Paris détenaient 57% de la dette des pays africains. Cette part a chuté à 27% en 2019. D'autre part, la part de la dette détenue par les créanciers privés a été plus que multipliée par deux passant de 17% à 40% en 2019. L'encours total de la dette africaine de 841,9 milliards de dollars à fin 2019 représente aujourd'hui plus de deux fois les recettes annuelles des gouvernements africains de 501 milliards de dollars. L'année dernière, les paiements d'intérêts de la dette du continent ont atteint 20% des recettes fiscales des pays africains et dépassé le tiers des recettes dans certains pays. De même, la dette publique en Afrique du Nord a augmenté d'environ 12 points de pourcentage pour atteindre une moyenne de 88 % du PIB l'année dernière. La Banque africaine de développement estime que l'Afrique aura besoin d'un financement additionnel de 485 milliards de dollars entre 2021 et 2023 : « Il apparaît manifestement que sans restructuration de la dette bien plus de pays africains feront face à une situation de surendettement, prévient le président Adesina. Le plus grand défi pour nous est de trouver les ressources et de réduire le niveau d'endettement ». Le but étant d'éviter absolument que l'Afrique ne perde une autre décennie comme cela été le cas lors des restructurations antérieures de la dette qui a pris huit à dix ans et n'ont pas produit de désendettement conséquent. Les solutions à mettre en œuvre L'une des solutions immédiates est de mettre en œuvre, le plus rapidement à la disposition des pays africains les 33 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) annoncés lors du Sommet sur les économies africaines de Paris ainsi que les 100 milliards de dollars des DTS que les pays industrialisés souhaitent mettre à la disposition des pays africains via la Banque africaine de développement. Cela viendrait renforcer l'Initiative de suspension du service de la dette du G20 et le Cadre commun pour la résolution de la dette du Fonds monétaire international (FMI), portant sur un allégement de la dette des pays les plus vulnérables. Il est également important de mettre en place un mécanisme africain de stabilité afin d'aider les économies africaines à se protéger des chocs exogènes, a insisté le président de la Banque africaine de développement. Pour Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, « de toute évidence, la meilleure façon de gérer la dette est que les économies se développent. Ce n'est pas une tâche facile pendant la pandémie, car les gouvernements sont confrontés à des revenus réduits et à une augmentation des dépenses consacrées aux mesures de crise. Mais cette crise est l'occasion de réformes transformatrices pour améliorer la fonction publique ». Expliquant que le FMI envisageait d'augmenter ses capacités de prêts à taux zéro, Kristalina Georgieva, a annoncé que « l'Afrique peut compter sur le FMI » pour mettre en œuvre ses efforts de redressement et de réformes transformatrices. Kristalina Georgieva et Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont toutes deux insisté sur la nécessité pour l'Afrique de bénéficier des vaccins pour sortir de la crise sanitaire pour mieux reconstruire après le Covid-19. « Les stratégies de gestion de la dette africaine devraient prendre en compte les chocs extérieurs car, ils limitent l'espace budgétaire et ont un important impact sur l'endettement. Enfin de compte, on ne va pas aller dans des cycles de dette, de restructuration et de redressement, ceci est mauvais pour la croissance à long terme et les conditions de vie », a affirmé Ngozi Okonjo-Iweala. Dans deux panels distincts animés par des ministres en charge des Finances et du Plan, des gouverneurs de banques centrales et des gouverneurs à la Banque africaine de développement, les participants ont estimé qu'il était nécessaire pour les pays africains de renforcer la mobilisation des ressources domestiques, de gérer les finances publiques et la dette de manière transparente et productive. Mais surtout d'assurer une transparence totale sur la dette détenue par les entreprises publiques non-membres du Club de Paris, notamment les prêts garantis auprès des créanciers bilatéraux. Il faudrait aussi lutter davantage contre la corruption, travailler à l'efficacité de la dépense, avoir une discipline budgétaire, mettre en place des institutions fortes pour les dépenses publiques, freiner les flux financiers illicites, avoir une meilleure gestion financière et renforcer les liens entre dette, croissance, et gouvernance. Il faudrait aussi développer la numérisation du circuit de la collecte et de la dépense afin de réduire les déperditions. Les pays doivent faire un meilleur usage de la dette en mettant l'accent sur le financement d'infrastructures sociales et économiques productives. Grâce à des capacités institutionnelles plus fortes, il est possible de renforcer l'efficacité des investissements publics financés par la dette. Rappelant que la gestion de la dette dépend aussi de la santé des banques centrales, Tarek Amer, gouverneur de Banque d'Egypte et gouverneur de son pays à la Banque africaine de développement, a rappelé que « la politique monétaire, de change, la politique budgétaire, de taux de change, tout cela doit rester indépendant » et les pouvoirs publics doivent veiller à créer les emplois, assurer la stabilité des prix, grâce à des réformes structurelle afin que la croissance économique et le développement du secteur privé puissent aider à réduire la dette.