Bien que la crise de la Covid-19 ait contribué à l'exacerbation des inégalités, il est important de considérer la perspective où les inégalités, à leur tour, aggravent la pandémie. Le Policy Center for the New South et la Banque mondiale ont organisé récemment un webinaire sur le thème : « Les inégalités à l'heure de la Covid-19 : l'impact de la pandémie sur la marche vers la réalisation des Objectifs du Développement Durable (ODD) ». Modéré par Nouzha Chekrouni, Senior Fellow au Policy Center for the New South, le webinaire a connu la participation d'intervenants académiques et institutionnels, dont Ayache Khellaf, Secrétaire général du Haut-Commissariat au Plan, Larabi Jaïdi et Uri Dadush, respectivement Seniors Fellows au Policy Center for the New South et Vasco Molini et Federica Alfani, économistes à la Banque mondiale. Vasco Molini a traité de l'accès aux données statistiques et l'importance de celles-ci dans l'efficacité d'un pays à gérer la crise. L'économiste a comparé l'impact de la crise de la Covid-19 au niveau de deux pays maghrébins : le Maroc et la Tunisie, notamment les retombées économiques de la pandémie sur le marché du travail et sur l'exacerbation des inégalités, dont les conséquences étaient plus tangibles sur les catégories vulnérables : les travailleurs du secteur informel, les jeunes et les femmes. Selon lui, l'une des raisons qui ont fait que le Maroc a réussi à mieux gérer la crise est qu'il a assuré la couverture de ses travailleurs dans les secteurs formels et informels, en plus de la protection des vulnérables. V. Molini mettra l'accent sur l'importance des instituts de statistiques au Maghreb, en expliquant que l'accès à l'information et son utilisation pour les politiques publiques sont fondamentaux et que l'une des forces du Maroc et de la Tunisie a été l'utilisation des données pour cibler leurs interventions pour faire face à la crise. De son côté, Federica Alfani a affirmé que la pandémie a eu un impact dévastateur infligeant une exacerbation des disparités et des conséquences plus graves sur les individus en situation précaire. Elle a affirmé que pour la région MENA, la Covid-19 a amplifié les conséquences des trois dernières crises qu'a subies la région : les soulèvements du Printemps arabe, les retombées économiques de la baisse des prix du pétrole et, enfin, la deuxième vague de soulèvements. L'économiste F. Alfani explique que pour les pays du Maghreb, les catégories sociales les plus vulnérables restent les plus exposées au risque d'infection par le virus, notamment à cause du non-respect des gestes barrières, de l'absence d'alternatives de télétravail pour les secteurs de manufacture ou de construction, l'absence des conditions du télétravail et, enfin, la difficulté de l'accès à la protection sociale pour la majorité des travailleurs, surtout dans le secteur informel. Federica Alfani a soulevé également l'exacerbation des inégalités hommes-femmes à la lumière de la pandémie, avec des taux d'exposition plus élevés pour les femmes. Cette question a notamment été abordée par Nihal Aicha El Mquirmi, chercheuse au Policy Center for the New South, dans un papier Opinion où elle met en lumière les conséquences économiques, politiques et sociales de la crise sur les femmes et l'importance de leur inclusion dans la prise de décision. Pour Uri Dadush, bien que la crise de la Covid-19 ait contribué à l'exacerbation des inégalités, il est important de considérer la perspective où les inégalités, à leur tour, aggravent la pandémie comme pour les cas du Brésil et des Etats-Unis. Pour remédier aux inégalités au Maroc, Uri Dadush souligne que les solutions n'impliquent pas que les mesures fiscales et l'augmentation de la dette, mais il existe des réformes non coûteuses comme l'amélioration du système d'éducation, la lutte contre la corruption et la création des emplois pour les jeunes et les femmes… Ces solutions font notamment suite à des constats mis en avant dans le papier de Uri Dadush sur les inégalités au Maroc, co-écrit avec l'économiste Hamza Saoudi. Pour Ayache Khellaf, le Maroc a maintenu une performance économique avancée depuis les années 2000, avec un ralentissement suite à la crise de 2008, avec de majeurs investissements dans le capital humain avec des objectifs prioritaires de réduction de la pauvreté. Bien que la crise sanitaire ait touché le secteur des services en grande partie, le taux d'activité a largement baissé et la pauvreté a connu une augmentation avec une exacerbation des inégalités. Il affirme que l'Etat marocain a focalisé ses efforts durant cette crise sur la stabilisation de ces écarts qui ralentissent ses réalisations dans le cadre des ODD. Pour y remédier, le Secrétaire général du HCP précise qu'une révision du modèle de développement marocain est nécessaire, en incluant la création des emplois qualifiés, la diversification de l'économie et la prise de mesures capables de traiter les multiples dimensions de la pauvreté, notamment sur les volets de la non-scolarisation des adultes/enfants ainsi que l'accès aux infrastructures sociales. (Avec PCNS)