La problématique de la retraite au Maroc continue à cristalliser les débats. Le dernier en date est celui de CDG Prévoyance qui a organisé le 24 juin une nouvelle édition de son Forum Prévoyance, sous le thème « Notre rapport à notre retraite et à nos aînés ». Le choix de la thématique n'est pas fortuit et dénote de l'importance des dispositions à prendre pour faire face aux grands défis liés à la retraite dans un pays où le taux de croissance économique reste faible voire irrégulier et où le taux de chômage est important (10% selon la dernière estimation du HCP). Comme rappelé par le Directeur général de la Caisse de Dépôt et de Gestion, Abdellatif Zaghnoun, la thématique débattue aujourd'hui rompt quelque peu avec les problématiques traitées habituellement consacrées à la prévoyance, à savoir les déséquilibres financiers des caisses de retraites, les réformes systémiques ou paramétriques... L'enjeu aujourd'hui est de mettre l'humain au cœur des débats. Les intervenants présents à cette importante rencontre en l'occurrence Abdellatif Zahgnoun, le numéro 1 de la CDG, Réda Chami, Président du CESE ou Hassan Boubrik, président de l'ACAPS ont tous fait le focus sur la sensibilisation des jeunes à la nécessité de préparer leur future retraite et l'apport de la société à nos aînés afin de préserver leur indépendance et leur dignité. Bien qu'ils soient distincts, les deux axes sont complémentaires. Le premier axe a pour objectif de sensibiliser les jeunes pour qu'ils se préparent dès leur jeune âge à leurs vieux jours et le second de permettre à nos aînés de vivre leur retraite sereinement et dignement. Les intervenants sont unanimes que le passage de l'activité professionnelle à la retraite engendre un bouleversement des habitudes et du rythme de vie. Il est vécu différemment d'une personne à une autre. Pour certaines franges de la population, ce changement peut être ressenti comme le début du déclin social. D'où l'impérieuse nécessité d'accompagner la jeunesse et la sensibiliser aux avantages d'une pension de retraite. Cette responsabilité relève du devoir de l'Etat, des organismes de prévoyance,… et des éducateurs qui sont amenés, à l'instar d'autres pays, à intégrer les enjeux de la retraite dans leurs cursus. C'est ce qui est appelé communément l'éducation financière. Le leitmotiv est que le départ à la retraite soit considéré par tous comme le commencement d'une nouvelle vie. S'organiser et se préparer à l'avance sont la clé de succès pour vivre sa retraite avec sérénité. Le second volet concernant les aînés se veut également un enjeu de taille si l'on prend en considération les projections démographiques effectuées par le Haut-Commissariat au Plan rappelées par Abdellatif Zaghnoun et qui font froid au dos. A l'horizon 2050, le Maroc comptera 43,6 millions habitants au lieu de 33,8 millions en 2014 ; L'espérance de vie atteindrait plus de 80 ans en 2050, au lieu de plus de 75 ans en 2014, soit un gain d'environ 5 ans qui devrait s'accompagner par l'allongement de l'espérance de vie en bonne santé, lié notamment à l'amélioration générale de l'hygiène de vie et des avancées de la médecine curative et préventive ; La population des 18-24 ans, c'est-à-dire la population qui rentre sur le marché du travail, serait de près de 4 millions en 2050, soit une baisse de 10% par rapport à son niveau de 2014 ; L'effectif des personnes âgées de 60 ans et plus, quant à lui, passerait à 10 millions en 2050, au lieu de 3 millions en 2014. En termes relatifs, cette proportion de la population représenterait 23% de la population en 2050, au lieu de 9% en 2014 et de 7% seulement en 1994. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et le constat est sans appel. Le Maroc fait face à un risque inéluctable de vieillissement de la population. A l'horizon 2050, près d'une personne sur quatre serait âgée de 60 ans ou plus. « Une part importante de cette tranche de la population ne disposerait probablement pas d'une pension de retraite », alerte A. Zaghnoun. Il corrobore ses propos par les dernières estimations de l'ACAPS qui font ressortir un taux de couverture retraite qui ne dépasse pas 42% en 2017. Un taux jugé trop faible. En ce qui concerne le vieillissement de la population, si auparavant les retraités à faible pension sont pris en charge par les membres de la famille, force est de constater que les faits ont foncièrement changé aujourd'hui avec la nucléarisation des familles. La taille moyenne des ménages est passée de 6 en 1982 à 4,61 en 2014, elle est projetée à 3,18 en 2050. Réda Chami préconise un revenu minimum vieillesse Vaille que vaille, ces évolutions en cours vont mener à un éclatement des structures familiales traditionnelles desquelles les personnes âgées risquent d'être exclues. A ce titre, il s'avère judicieux de mobiliser les énergies afin de préserver les valeurs ancestrales de la société marocaine et de proposer les politiques à mettre en œuvre pour que toutes les tranches de la population puissent être couvertes. Cette approche, la CDG en fait chaque jour un levier à travers la mobilisation de l'ensemble de ses leviers en matière de collecte et de protection de l'épargne, de retraite et d'extension de la prévoyance sociale, de financement de l'économie, de conduite de grands projets d'infrastructures... A son tour Réda Chami, président du CESE tout en reconnaissant les réformes menées par les pouvoirs publics, il insiste qu'elles doivent être complétées par l'instauration d'un revenu minimum vieillesse au profit de personnes âgées ne bénéficiant d'aucune pension de retraite. Aussi, les pouvoirs publics sont-ils appelés à accompagner la transition épidémiologique et ce en déployant les infrastructures hospitalières importantes et de plateaux techniques lourds ainsi que le développement de certaines spécialités médicales telles que la gériatrie (qui s'adresse aux maladies de la vieillesse). Pour sa part, Hassan Boubrik est conscient de l'injustice fiscale qui règne et appelle de tous ses vœux à faire régner la justice sociale au profit des personnes qui souffrent d'un absence de couverture. En 2017, seulement 1 marocain sur 5 parmi la population âgée de plus de 60 ans bénéficie d'une pension de retraite. C'est dire que le Maroc est très loin du compte et risque de l'être encore plus si rien n'y est fait. Le débat d'aujourd'hui est de lancer la réflexion sur la mise en place d'une politique destinée à concilier les impératifs et les besoins de deux catégories sociales liées par le pacte intergénérationnel qui forme l'essence même du système de la retraite. Des objectifs qui paraissent ambitieux et nécessitent un vrai courage politique eu égard à la situation actuelle de nos finances publiques largement sous pression.