Ecrit par Imane Bouhrara | Les réunions en commission de la Justice à la première chambre du Parlement se succèdent autour du projet de loi 12.18 modifiant et complétant le Code pénal marocain qui sera soumis à la discussion à la première chambre. Mohamed Ben Abdelkader, ministre de la Justice explique pourquoi ce délai de discussion est normal dans le cas d'une loi normative et ses enjeux pour la société marocaine en général, les libertés individuelles en particulier. L'actualisation des législations est un impératif pour accompagner les développements de la société, c'est d'ailleurs l'une des recommandations de la Réunion internationale de la Justice tenue en octobre 2019 à Marrakech. Et elle est d'autant plus importante face à un nouveau texte suprême d'un pays qu'est la Constitution. Depuis 2011, avènement de la nouvelle Constitution, plusieurs textes de lois sont en désuétude voire même en opposition avec l'esprit d'une constitution moderne qui consacre la garantie des droits et libertés des citoyens comme priorité suprême. Dans ce cadre, le Code pénal, vieux de plus d'un demi-siècle, se trouvait en porte-à-faux avec la Constitution qui prône une approche plus à l'ère du temps qu'une approche sécuritaire et de préservation de l'ordre public comme c'est le cas du Code pénal. Cette révision donc capte l'attention par ses enjeux et suscite également l'impatience de voir le projet de loi 12.18 adopté, ce qui n'est pas toujours le cas. Interpellé sur la question lors de la 2ème édition des Tables rondes de l'ISPJS de l'Université Mundiapolis, Mohamed Ben Abdelkader, Ministre de la Justice, explique l'importance de prendre le temps nécessaire pour ce chantier de réforme. « Il faut expliquer qu'il y a deux types de lois, celles techniques que l'on peut modifier dans un délai relativement court mais il y a des lois normatives à la transversalité générale qu'on ne peut pas réviser chaque année. Dans cette deuxième catégorie il y a le Code pénal qui faut-il rappeler est le deuxième plus important texte après la Constitution du pays », explique d'emblée Mohamed Ben Abdelkader. La délicatesse de l'exercice réside ainsi dans le fait que le Code pénal renferme la peine capitale, l'ordre public, les libertés individuelles, les sanctions, des dimensions doctrinaires qui influent sur la société dans son ensemble... un tel projet ne peut qu'être basé sur un consensus de la société dans cette dynamique d'Etat de droit. « Et lorsqu'on me propose une révision de 80 articles sur les 600 qui composent le Code pénal, j'ai le droit de me poser la question sur les critères de sélection de ces 80 articles dans lesquels aucune disposition ne concerne les libertés individuelles pourtant consacrées dans la Constitution de 2011. Est-ce prématuré ? N'est-ce pas le moment opportun ? Avec ce type de texte, il faut ouvrir le débat avec la société... », soutient le ministre de la Justice. Il faut d'ailleurs rappeler qu'il a pris le train en marche en arrivant à la tête du ministère en octobre 2019, d'où la nécessité pour lui d'inscrire cette réforme du Code pénal dans un cadre plus large de la pose des jalons d'une véritable politique pénale. Il rappelle d'ailleurs que la première fois qu'il avait intervenu en tant que ministre de la Justice c'était au sujet de la politique pénale au Maroc. « Quels paradigmes, quels mécanismes et quels enjeux de la politique pénale au Maroc ? Disposons-nous d'une réelle politique pénale ou juste de l'action publique ? Comment l'articuler avec d'autres politiques publiques ? Quels en sont les acteurs ? C'est à partir de cette vision plus globale qu'on révise le code pénal », relève Mohamed Ben Abdelkader. En effet, le Code pénal dessine en quelque sorte les contours du projet de société voulu et dans ce sens autant dire que la Constitution est avant-gardiste puisqu'elle protège la liberté d'exercice de la vie privée des citoyens, alors que le Code pénal demeure restrictif. Mais cette aspiration de réforme ne peut hâter un tel processus aussi bien de la part du pouvoir exécutif que législatif, d'autant qu'elle implique le projet de société et qu'une fois le texte adopté, sa révision ne peut intervenir sous peu justement parce que c'est la loi normative. « Il faut un débat, le Marocain le mérite. Il ne s'agit pas de bricoler mais de doter le pays d'un Code pénal protecteur des libertés et pas uniquement de l'ordre public, car la Constitution est protectrice de ces libertés. Et cela n'existe pas dans la mouture du projet de Code pénal déposé en 2015. Cette réforme doit également s'accompagner d'un débat sur la procédure pénale », alerte Mohamed Ben Abdelkader. La problématique qui peut se poser est que cette réforme qui est passée de main en main n'aboutisse pas durant ce mandat (lors de la dernière session parlementaire du printemps), année de législatives et que le processus s'éternise pendant que les justiciables tombent sous le coup d'une loi pour le moins rétrograde.