Pendant que les partis politiques au Maroc préfèrent garder le silence sur les questions qui fâchent, relatives aux libertés individuelles et civiles, le tissu associatif se mobilise pour demander une réforme profonde de plusieurs dispositions jugées équivoques et passéistes. Dans le cadre d'un travail commun réalisé sur le thème « réforme de la justice », plusieurs associations de la société civile, telles que « Adala », l'OMDH, l'AMDH et le collectif associatif « Printemps de la dignité », ont présenté aujourd'hui, lors d'une conférence de presse à Rabat, une batterie de recommandations basée sur une lecture critique du projet actuel de réforme du Code pénal bloqué depuis 2016 au niveau de la Chambre des représentants et dont les discussions seront relancées en décembre prochain. S'exprimant lors de cette rencontre, Me Jamila Sayouri, avocate, membre du CNDH et présidente de l'association Adala (justice), a mis l'accent sur la nécessité d'une réforme en profondeur et globale du Code pénal aussi bien au niveau de la forme que du contenu. Elle a fait savoir qu'il est aujourd'hui primordial pour le Maroc de procéder à la réforme du Code pénal en réajustant certaines dispositions qui touchent à la dignité humaine et au concept de la justice pénale. Pour ce faire, il faut procéder à l'harmonisation de la législation marocaine avec le droit international des droits de l'Homme ce qui implique la conformité de la législation nationale avec les conventions internationales. Il est ainsi important pour le législateur de prendre en considération l'évolution de la société marocaine pour réviser les mesures liées à l'incrimination et à la sanction. Dans une déclaration à Barlamane.com/fr, Me Jamila Sayouri a indiqué que le Maroc travaille d'arrache-pied pour procéder à une bonne réforme du Code pénal. « Le projet de loi n°10.16 comporte plusieurs avancées telles que l'instauration de peines alternatives ou l'introduction de nouvelles catégories de crime. Concernant la procédure pénale, il s'agira de limiter le cas des recours à la détention préventive. A ce titre, toutes les décisions de détention devront être motivées, et seront susceptibles d'appel devant une chambre de libertés. L'usage du bracelet électronique fera son entrée dans le quotidien des juridictions marocaines. Toutefois, nous considérons que le Maroc doit aujourd'hui procéder à l'harmonisation du Code pénal et du Code de la procédure pénale avec la Constitution et le droit international des droits de l'Homme du fait que la définition des priorités pénales a été faite à partir des remarques finales de plusieurs conventions internationales« , a-t-elle expliqué. Pour Me Sayouri, « il est important d'adopter l'approche genre, de manière horizontale, lors de la reformulation globale du Code pénal. Il faut également penser à réviser le système de l'assistance juridique et judiciaire de manière à satisfaire les besoins des couches vivant dans la précarité tout en révisant le statut juridique des enfants en situation de conflit avec la justice ». Dans leurs allocutions, Brahim Missour, vice-président de l'Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) et Boubker Largou, président de l'Organisation Marocaine des Droits Humains (OMDH), ont appelé à la mise en oeuvre des dispositions de la Constitution de 2011 et ont, également, rappelé l'importance de l'harmonisation de la législation marocaine avec le droit international des droits de l'Homme. Les intervenants ont aussi appelé à l'élimination de la peine de mort et ce, selon l'article 20 de la Constitution qui énonce le droit de la vie, la promulgation d'une loi protégeant les femmes contre le viol conjugal, la révision de la procédure d'extradition ainsi que la révision des dispositions du Code pénal relatives à l'interruption de la grossesse. Ils ont également appelé au développement du Droit pénal selon une vision internationale avec la prise en compte des spécificités nationales. Par ailleurs, les intervenants ont souligné avec force que toutes lois, constituant le Code pénal, doivent assurer la primauté de la personne tout en interdisant toute atteinte à la dignité de celle-ci et en garantissant le respect de l'être humain. Ainsi, les principes de l'égalité, de la dignité et la justice pénale doivent être au centre de ces lois. Pour sa part, Hayat Ndichi, coordinatrice du collectif associatif « Printemps de la dignité », a abordé la question spécifique de la justice pénale pour les femmes. Elle a fait savoir, au début de son allocution, que le tissu associatif a demandé à ce que plusieurs dispositions de loi concernant les femmes soient modifiées. Ce qui n'était pas le cas dans les projets de loi modifiant le Code pénal. En effet, Mme Ndichi a affirmé qu'il n'y avait pas de standardisation de la terminologie dans tous les textes juridiques, telle que le concept du viol. Tout comme les autres intervenants, Mme Ndichi a appelé à l'introduction d'amendements au Code pénal en matière des libertés civiles et individuelles étant donné que plusieurs libertés telles que l'interruption de la grossesse et relations sexuelles hors mariage sont toujours passibles d'emprisonnement. Pour rappel, les discussions sur les libertés individuelles ont été lancées depuis quelques semaines en raison de plusieurs affaires judiciaires qui ont remis en surface le caractère dépassé de certaines lois du Code pénal, dont la réforme est toujours bloquée au niveau de la Chambre des représentants étant donné que les projets de loi qui instaurent cette réforme, déposés depuis 2016, n'ont pas encore été approuvés. En partenariat avec l'association Adala, et avec ses membres marocains que sont l'OMDH et l'AMDH et l'espace associatif, le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits Humains a lancé un projet appelé « Appui à la Société Civile Marocaine et Suivi des Relations entre le Maroc et l'Union Européenne ». Ce projet s'articule autour de trois thématiques prioritaires : la réforme de la justice, les droits des personnes migrantes et réfugiées et les droits des femmes et égalité hommes-femmes, et s'inscrit dans une dynamique d'accompagnement du processus de reformes actuelles et de réforme de la justice en particulier. Dans le cadre du travail réalisé sur le thème « réforme de la justice », a été mise en place une commission comprenant des experts, des acteurs de la société civile ainsi que des juges et des avocats pour travailler sur une lecture critique du projet actuel de réforme du code pénal.