La pratique de ciblage souffre de plusieurs dysfonctionnements. La pandémie Covid-19 a mis à nu les fragilités de notre système de protection sociale et dans le feu de l'action des voix se sont élevées pour dénoncer l'absence de filets sociaux notamment le retard pris dans la mise en place du Registre Social Unifié (RSU). Dans un récent écrit, Larabi Jaidi– Economiste, membre de la CSMD & Senior Fellow au Policy Center s'est attelé sur les leçons à tirer de la crise sanitaire liée au Covid-19 essentiellement en matière de ciblage des pauvres et des vulnérables au Maroc. D'après ses propos, la pratique du ciblage donne lieu à des controverses sur les méthodes appropriées pour atteindre les populations cibles ou les territoires prioritaires des politiques et programmes sociaux. La problématique du ciblage, rappelle-t-il, ne date pas d'aujourd'hui mais figure dans l'agenda des réformes des politiques publiques depuis des dizaines d'années, motivée par le fait que les ressources affectées par l'Etat pour venir en aide à des catégories démunies profitent, dans une certaine mesure à des ménages à niveau moyen ou aisé. Les dysfonctionnements des filets sociaux (Ramed, Caisse de Compensation, Tayssir, Développement humain...) sont justement liés aux difficultés de cibler les ménages vulnérables. « Etant donné qu'il est difficile d'identifier chaque ménage pauvre, l'expérience a montré que le ciblage géographique pouvait, dans une certaine limite, s'avérer une approche d'importance dans les initiatives visant à atteindre les pauvres », explique l'auteur. Le ciblage géographique a gagné en précision dans la procédure de localisation des personnes éligibles à des programmes sociaux mais il n'est pas exempt d'erreur. Le problème des cartes de pauvreté, quelles que soient les difficultés de leur mise en œuvre est moins dans la technique de rapprochement des données provenant de sources différentes Les cartes de la pauvreté ont, donc, permis d'identifier les zones où se concentre la population pauvre, offrant ainsi aux pouvoirs publics la possibilité de cibler les politiques sociales et de développement sur les quartiers ou communes en difficulté. Toutefois, pour aider les pouvoirs publics à combattre la concentration de la pauvreté, il ne suffit pas de localiser les zones où se concentre la pauvreté. En effet, il est également nécessaire de comprendre comment ces zones se forment. « Or, au Maroc, peu d'études ont cherché à expliquer la concentration de la population pauvre au sein de certaines communes ou quartiers. De ce fait, les questions de la pauvreté, de l'exclusion ou encore de la précarité, sont à la fois trop et trop peu abordées d'un point de vue territorial », précise Jaïdi. Et d'enchaîner : « Trop, parce que, souvent, on a tendance à rattacher la pauvreté et l'exclusion aux « communes » ou « quartiers » répertoriés par la cartographie de la pauvreté. Or, la pauvreté et l'exclusion se rencontrent pourtant, aussi, et même, parfois, plus encore hors de ces communes et quartiers. Trop peu, parce que l'on ne mesure encore pas bien la contribution des caractéristiques territoriales aux formes et aux dynamiques de la pauvreté ». L'auteur rappelle à juste titre le contexte actuel marqué par la crise sanitaire. En vue d'affecter les transferts monétaires à une population vulnérable touchée par les effets de la pandémie, l'Etat a eu recours aux mécanismes de ciblage. « Les leçons tirées des différents mécanismes de ciblage mis en œuvre sur la longue période peuvent s'avérer pleins d'enseignements sur la complexité de l'identification des catégories et des territoires-cibles, sur la mise en place d'un dispositif de scoring approprié, sur la construction d'un système d'information désagrégé, sur les procédés d'enquêtes pour l'appréciation des sources des revenus, des actifs ou des ressources des ménages... etc », annonce L. Jaïdi. Mais, les techniques de ciblage, quelle que soit leur pertinence, ne peuvent être d'un réel apport à l'efficacité des programmes des filets sociaux que si elles s'appuient sur une définition rigoureuse des phénomènes qu'elles sont censées saisir (pauvreté, vulnérabilité), et si un système de sui-évaluation des programmes est établi et appliqué. La mise en place du Registre social unifié sera confrontée à la nécessité d'apporter des réponses à ces questions. Lire également : Le Modèle Social post-Covid-19 : de la nécessité de repenser nos filets sociaux face à l'ampleur de nos vulnérabilités sociales