Réforme de l'enseignement supérieur, adéquation entre formation-emploi, mesures d'urgence pour palier au taux élevé du chômage, place de l'Université dans le chantier de la régionalisation avancée, autant de points abordés avec Houdaifa Ameziane, président de de l'Université Abdelmalek Essadi (UAE). EcoActu.ma : L'Université marocaine purge de plus en plus dans une crise structurelle et n'arrive pas à répondre aux nouvelles exigences du marché du travail ni aux défis que le Maroc est amené à relever. A quoi peut-on imputer ce constat ? Houdaifa Ameziane: Le diagnostic est beaucoup plus compliqué et ce constat n'est pas totalement vrai. Je m'explique. L'université nationale est confrontée aujourd'hui à un double objectif difficilement conciliable. D'une part, la mission d'assurer la formation d'un bon nombre de ressources humaines qualifiées dans les domaines qui intéressent le secteur productif et l'administration, et d'autre part, la mission de satisfaire les souhaits de carrières d'un nombre très important de jeunes. Ces derniers choisissent des filières de formation sur la base de leurs préférences personnelles, sur la base de leurs compétences pressenties et en fonction de conseils de proches et d'amis. L'université, non seulement n'intervient pas dans le processus de cette décision, elle est obligée d'assurer une place à ce jeune dans cette filière. C'est ainsi que nous nous retrouvons en face d'effectifs importants d'étudiants inscrits dans des filières dont les débouchés professionnels sont largement saturés. Bref, un véritable gâchis humain. Pour remédier à ce problème, nous sommes convaincus qu'il est urgent d'adopter une orientation active des étudiants. Le jeune a le droit à une place à l'université certes, mais pas n'importe quelle place. Offrons des places en fonction des débouchés professionnels, en fonction des intérêts de la Nation et en respectant dans la mesure du possible, le choix du jeune étudiant. Nous devons offrir un large éventail de formations dans tous les champs disciplinaires et c'est ce que nous faisons, parce qu'elles sont toutes importantes et nécessaires, il revient à l'Etat d'en décider les proportions en fonction de l'intérêt général. D'autre part, sachez que nous ne pouvons pas former uniquement en fonction des besoins de l'entreprise. La plus prévoyante des entreprises ne peut se projeter au-delà de trois ans en termes de besoins en ressources humaines. Nous devons former également pour des métiers du futur, parfois pour des métiers qui n'ont pas encore été inventés, mais que l'Université doit anticiper par des formations hautement technologiques où l'innovation et la créativité sont très encouragées. Où en est la réforme de l'enseignement supérieur et quelles sont les priorités majeures de cette réforme pour une adéquation formation-emploi ? L'adéquation formation-emploi est plus qu'une inquiétude, c'est une priorité pour nous à l'Université Abdelmalek Essaâdi et ce depuis 2010. Sachez que nous avons depuis triplé le nombre de formations professionnalisantes. Ces dernières couvrent aujourd'hui un large spectre de domaines qui vont depuis l'ingénierie jusqu'aux métiers du journalisme ou du cinéma en passant par les métiers de l'entreprise. Nous avons également mis en place un observatoire de l'emploi qui nous permet de suivre le devenir de nos diplômes et leurs performances sur le marché. Les enquêtes menées nous permettent aujourd'hui de confirmer ce que nous avons pressenti depuis quelques années déjà. Nos lauréats sont très bons sur le plan technique, les entreprises en sont satisfaites, mais elles demandent davantage de compétences douces ou « soft Skills ». Il est prioritaire pour nous aujourd'hui de travailler sur tout ce qui est en relation avec les compétences communicationnelles, les capacités d'observation et d'analyse, la prédisposition à travailler en équipe, les outils numériques, le multilinguisme, etc. C'est des aspects sur lesquels nous travaillons aujourd'hui. D'ailleurs, nous avons créé dans ce sens à Tanger un Centre des carrières en partenariat avec l'USAID qui s'occupe entre autres de ces aspects. La création aussi de l'institut Confucius pour l'apprentissage de la langue et la culture Chinoise vont aussi dans ce sens-là. Le taux de chômage des diplômés est 3 à 4 fois supérieur aux non-diplômés. Quelles sont les solutions urgentes à mettre en place pour remédier à cette situation ? C'est assez paradoxal et inquiétant. Je peux vous assurer également qu'un des problèmes des entreprises actuellement au Maroc, est le manque de ressources humaines qualifiées. Les profils préférés en masse actuellement par les entreprises sont de niveau Bac+2 et Bac+ 3. Par contre, nous avons au Maroc, une culture de fonctionnariat, qui pousse les étudiants à se lancer dans des carrières de longues durées, niveau Master ou doctorat. Dans le secteur public, il est évident que le niveau du diplôme détermine la fonction et le salaire. Ce n'est pas le cas dans le secteur privé où ces derniers dépendent surtout des compétences développées. Doit-on former uniquement des bac+2 ou bac+3 ? Non, ça serait un désastre pour l'avenir du pays. Il nous faut aujourd'hui trouver des moyens pour encourager ces lauréats hautement qualifiés à tenter l'option entrepreneuriale et l'auto-emploi. Ce n'est pas du tout facile, j'en conviens mais nous n'avons pas vraiment le choix si nous voulons garantir un avenir prospère pour un grand nombre de diplômés qualifiés et créer de la richesse. Pour réussir ce challenge, nous travaillons d'ores et déjà sur la promotion de la culture entrepreneuriale parmi nos étudiants et nous avons créé dans le cadre de la coopération, plusieurs incubateurs pour accompagner les projets de création d'entreprise. C'est un bon début, mais ce n'est pas suffisant. Il manque actuellement des mesures d'incitation fiscales, mais aussi des fonds de financement nationaux pour aider ces lauréats à démarrer leur entreprise. Rappelons que ces jeunes s'ils ne disposent pas généralement de garanties leur permettant d'obtenir des financements bancaires, ils abandonnent l'idée de créer une entreprise. Avec le chantier de la régionalisation avancée, le développement de l'Université est censé figurer dans le PDR. Où en sommes-nous aujourd'hui ? L'université est une composante essentielle de toute région et doit s'inscrire nécessairement dans toute stratégie visant son développement. Les chiffres de l'université sont systématiquement reportés dans les PDR, mais ce n'est pas suffisant. Avec le chantier de la régionalisation avancée et ses objectifs ambitieux en termes d'implication des forces vives de la région dans la planification des actions, il devient impératif que l'université, de part ses compétences, puisse devenir une force de propositions. D'un autre côté, nous avons la conviction également, que le plan de développement de l'université doit être absolument construit en fonction des objectifs régionaux en matière de développement économique et social et pourquoi pas dans le cadre d'un contrat-programme tripartite université-ministère-région.