Le vieillissement de la population est en train de devenir l'une des plus importantes transformations sociales du 21ème siècle avec des conséquences multisectorielles. A l'horizon 2050, une personne sur 4 serait âgée de 60 ans ou plus. En marge de la conférence organisée par CDG prévoyance sur les grandes tendances de la société du vieillissement, l'expert en retraite Abderrahim Oulidi explique comment le Maroc peut-il profiter aujourd'hui de ce qu'il appelle le bonus démographique. EcoActu.ma : Le vieillissement de la population est un phénomène planétaire qui touche quasiment tous les pays du monde. Quid du Maroc et comment devons-nous l'appréhender ? Abderrahim Oulidi : Dans les statistiques démographiques présentées de 1960 à 2050 et selon les projections du HCP de 2018 à 2050, nous notons un vieillissement démographique qui est de plus en plus rapide. Autrement dit, nous sommes rentrés dans cette transition démographique beaucoup plus vite que d'autres pays occidentaux. Cela est dû à la baisse de la mortalité qui constitue la première phase, à la baisse de la natalité dans la seconde phase suite à l'émancipation de la femme (libéralisation, contraception...). Le taux de natalité est ainsi passé en moyenne de 7 enfants/ femme dans les années 60 à 2.1 aujourd'hui et va baisser encore à 1.8 c'est-à-dire au-dessous du seuil du renouvellement. Après avoir fait le focus sur les tranches d'âge : les moins de 15 ans, la tranche des 15-59 ans et 60 ans et plus, on remarque qu'effectivement pour les 60 ans et plus, leur nombre par rapport à la population totale augmente passant de 7% à 23% (1 personne sur 4 aura un âge de 60 ans et plus à l'horizon 2050). Aussi, le fait que le taux de natalité se dégrade, les moins de 15 ans est une tranche d'âge qui va encore rétrécir. Avec l'inertie que nous sommes en train de connaître ou la fenêtre démographique (bonus démographique), c'est la tranche des 15-59 qui va produire de la richesse dans le pays. Cela fait une vingtaine d'années que nous sommes entrés dans cette fenêtre démographique, nous pouvons, selon les statistiques, y rester encore une vingtaine d'années. Mais une fois sortis de cette fenêtre démographique, ça sera trop tard. Il faut profiter coûte que coûte de cette aubaine démographique. Pourquoi une aubaine ? Parce que le ratio inactifs/actifs est correct se situant, selon les démographes, entre 0.4 et 0.65. Cela signifie que relativement il y a moins de pression sur les dépenses d'éducation et sur celles de la santé conjuguée à une production des richesses par les actifs. Du moment où l'on remarque que nous n'en profitons pas assez depuis une vingtaine d'années, les questions se posent d'emblée en matière d'emploi, de la qualité de l'emploi, du taux d'emploi des femmes, de celui des jeunes diplômés... D'où la nécessité de se pencher sur ces questions. Le focus a été également fait sur les retraites parce qu'aujourd'hui une réforme est en train d'arriver. Justement le Maroc travaille actuellement sur un nouveau modèle de développement. Comment toute cette réalité démographique devra-t-elle se traduire en politiques économiques pour remédier à la problématique de l'emploi, de la retraite... ? Cette fenêtre démographique reste encore ouverte pendant les 20 prochaines années et donc il faut en profiter tant qu'il n'y a pas de pression sur les dépenses évoquées précédemment. Autrement dit, tant qu'il y a plus d'actifs que d'inactifs, il faut mettre en face des politiques économiques adéquates. Il faut penser aux personnes âgées avec leurs maladies chroniques et au bien-être de la population. Qui va s'occuper des personnes âgées sachant que la taille des ménages sera de plus en plus réduite ? En guise de réponses : il faut préparer une éducation forte, réformer la retraite, l'emploi... avoir une politique pour les seigneurs et mener des politiques sur le long terme. Il est souhaitable d'introduire dans le système éducatif et dès le jeune âge des manuels de formation renforçant la sensibilisation à la protection sociale, à la solidarité familiale et à la citoyenneté et de restaurer la confiance entre l'Etat et les jeunes. Avant de basculer vers un régime universel, le Maroc va entamer une réforme systémique en deux pôles privé et public qui malheureusement tarde à venir... Le passage vers une réforme en deux pôles est démographiquement parlant une erreur parce que la CMR et le RCAR se ressemblent. Je pense qu'il faut anticiper l'harmonisation, la convergence entre l'ensemble des caisses de retraite en termes de paramètres : âge de départ à la retraite, taux de cotisation, assiette... et aller directement dans les cinq ans à venir vers le système universel sans passer par les deux pôles public et privé. Il faut profiter sans perdre du temps du bonus démographique national et mettre en place directement une réforme structurelle du système de retraite : un système universel, soutenable, progressif, participatif et pilotable. Les politiques de placement des réserves pourraient-elles pallier aux déficits techniques qui guettent les caisses de retraite ? Aujourd'hui, dans certaines caisses de retraite telles que la CMR, les cotisations ne suffisent pas et donc nous faisons appel aux réserves et aux rendements de ces réserves. Les projections actuarielles montrent que d'ici 2027, les rendements ne vont plus suffire. Pis encore, les réserves, les rendements, les cotisations ne pourraient faire face aux dépenses. Qui est Abderrahim Oulidi ? Abderrahim Oulidi est actuellement consultant indépendant, expert en retraite, actuariat et risk management. Il a été auparavant directeur et fondateur de l'Ecole d'Actuariat de Rabat (UIR), directeur scientifique de la Chaire Prévoyance &Retraite et Co-fondateur et vice-président de l'Institut africain du Risk-management. Il est aussi responsable de la filière d'actuariat au sein de l'institut National de Statistique et d'Economie Appliquée (INSEA) de Rabat. Il est expert du système de retraite marocain et auteur de nombreux travaux traitant des réformes et pilotage des systèmes de retraite. Il a par ailleurs dirigé une enquête nationale sur la prévoyance sociale qui a concerné 5.500 ménages marocains. Voir également : [WEBTV] CMR : LA GESTION FINANCIÈRE DES FONDS DE RESERVES AU CŒUR DES RENCONTRES SCIENTIFIQUES