L'Association marocaine des sciences économiques (AMSE) en partenariat avec l'institut CDG a organisé un débat sur l'ouvrage collectif « L'économie post-keynésienne, histoire, théories et politiques », paru aux éditions Seuil en septembre 2018 pour analyser quelle nouvelle grille de lecture, cette économie offre-t-elle et si elle balise le terrain d'un nouveau paradigme. Surtout dix années après la crise économique et financière mondiale survenue en 2008 qui a fait perdre leur latin à nos courants et théories économiques, qui ne l'ont pas vu venir et à l'aune d'une prochaine crise liée à la dette dont on prévoit la survenue en 2020. Un débat d'autant plus important dans un pays comme le Maroc qui est en train de revoir ses choix économiques et les mettre en cohérence dans le cadre d'un nouveau modèle de développement, toujours au stade de l'étude. La rencontre animée par Professeur Noureddine El Aoufi, président de l'AMSE, a été marquée par la participation de professeur Jean-François Ponsot, professeur de sciences économiques à l'Université de Grenoble et coordonnateur de l'ouvrage, considéré comme la première grande synthèse en français de cette école de pensée que représente l'économiste britannique John Maynard Keynes. Ainsi que par l'intervention de professeur Saïd Hanchane, professeur d'économie et directeur du master d'études économiques internationales à l'Ecole de gouvernance et d'économie (EGE). D'emblée Noureddine El Aoufi plante le décor en posant la question suivante : La macroéconomie post-keynésienne, pouvons-nous parler d'un nouveau paradigme ? « En tout cas, il y a un changement de paradigme, dans ce sens je voudrai rappeler qu'il y a eu une rupture opérée par l'économiste Robert Lucas et qui a donné lieu à la macroéconomie néoclassique qui reste largement dominante aujourd'hui et qui est fondée sur l'équilibre des marchés, sur les anticipations rationnelles des agents. Dans la même optique de Lucas, Edward Christian Prescott et Finn Erling Kydland ont mis en garde contre les risques que font composer les politiques interventionnistes sur la crédibilité des politiques économiques. On a parlé d'ailleurs d'un coup d'Etat contre la macroéconomie Keynésienne. « Dans les années 80, la critique de Robert Lucas qui porte sur l'hypothèse que les comportements des agents sont exogènes semble avoir été assez largement validée par le fait, comme ce qui concerne par exemple le Maroc, que le programme d'ajustement structurel (PAS) et l'austérité budgétaires n'ont pas débouché sur une dépression », analyse El Aoufi. Par la suite, il y a eu la crise de 2008 d'origine financière et là nous avons le post-keynésien Hyman Minsky qui défend dans un ouvrage que la règle c'est l'instabilité financière et non pas la stabilité financière. Parlant de crise, certains évoquent une future crise liée à la dette, elle n'a en tout cas pas crédité les prédictions de Keynes et la macroéconomie post-keynésienne. Pour Minsky, la stabilité de l'économie exige aujourd'hui, la présence d'un Etat fort et la mise en place d'un mécanisme institutionnel stabilisateur dans lequel la Banque centrale va jouer un rôle essentiel. L'économie post-keynésienne est restée par rapport à la macroéconomie dominante, dans une position hétérodoxe. Elle est peut-être aujourd'hui en train de reprendre du pouvoir. Noureddine El Aoufi évoque même une stratégie de reconquête qui a commencé dans le forum économique avant de passer par les forums politique, économique... Pour revenir au cas du Maroc, Professeur El Aoufi soutient que l'économie post-keynésienne comporte des principes qui de son point de vue semblent beaucoup plus en phase avec le cycle dans lequel se retrouve l'économie internationale aujourd'hui. Avec la réflexion au Maroc sur le nouveau modèle de développement, on peut retrouver dans cette économie post-keynésienne quelques éléments à introduire dans le débat. Professeur El Aoufi plaide même pour une macroéconomie de développement à partir de la macroéconomie post-keynésienne « augmentée » en établissant bien entendu des passerelles avec l'économétrie. Les questions que posent le nouveau modèle de développement sont beaucoup plus présentes dans la macroéconomie post-keynésienne que dans la macroéconomie néoclassique : La demande effective, l'incertitude radicale, le temps historique, l'économie monétaire de production, l'endogénéité de la monnaie, la lutte des classes autour de la répartition (certains post-keynésiens largement influencés par la pensée de Karl Marx)... El Aoufi soutient que la problématique du développement implique une mise en perspective historique des processus économiques que l'économie post-keynésienne prend en compte. « Au Maroc, certains pensent que nouveau modèle rime avec table rase de l'existence et inventer un nouveau modèle de développement, cela équivaut à ne pas tenir compte de l'histoire... », insiste El Aoufi. Aussi, développe-t-il deux idées : la réitère est que la macroéconomie ne peut pas être dérivée de la microéconomie, un point par lequel pèche la macroéconomie néoclassique qui puise et utilise les mêmes codes, les mêmes catégories, les mêmes principes que la microéconomie. En substance, on ne peut pas donner un fondement microéconomique aux politiques publiques, ce qui peut être encore plus problématique pour un pays comme le Maroc à économie composite, à marché hétérogène... La deuxième idée est d'éviter le réductionnisme du développement à la croissance, qu'implique le processus de Washington par le concept de la microéconomie du développement. Autrement dit, la réflexion sur le modèle de développement ne doit pas être réduite à la croissance. Autant d'éléments qui sont présents dans cet ouvrage collectif « L'économie post-keynésienne », pourvu que l'on puisse modéliser une macroéconomie de développement ou une économétrie politique du développement à partir de l'économie post-keynésienne ?