Selon le site de suivi des prix du gasoil dans 169 pays[1] (parmi lesquels 143 n'ont pas d'autosuffisance de production pétrolière), le Maroc : * avait le 82ème prix le moins cher avec ses 11,20 Dh/litre rapportés pour le 07/03/2022, * avait le 107ème prix le moins cher avec ses 16,57 Dh/litre rapportés pour le 18/07/2022, * s'est maintenu au 105ème prix le moins cher avec ses 16,14 Dh/litre rapportés pour le 21/11/2022. La vingtaine de places perdues depuis le pic des prix du pétrole (07/03/2022) est sans doute un des signes que le gouvernement marocain, même avec un Aziz Akhennouch à sa tête, a pris moins de mesures que d'autres pour freiner la hausse des prix locaux des combustibles. Le citoyen lambda ne bâtit son opinion que sur de simples faits affectés par une part de subjectivité car la douleur de la hausse des prix se ressent plus que le bénéfice d'une baisse : * on semble plus prompt à imputer les hausses que les baisses de prix, * les amplitudes des hausses sont toujours plus élevées que les baisses. Face à cette subjectivité commune somme toute légitime, nous avions tenté dans un article précédent[2] d'expliquer en quoi les prix des combustibles à la pompe au Maroc ne pouvaient être en phase avec les cours mondiaux du pétrole. Ce même article2 avait permis d'anticiper la relative stagnation des prix qui a eu lieu durant la fin de l'été 2022 mais maintenant, une nouvelle question se pose : pourquoi ne retrouve-t-on pas, à la pompe, un impact de la baisse tendancielle des cours du pétrole amorcée depuis mai 2022 et que la décision de l'OPEP de limiter la production n'a fait que ralentir ? POURQUOI Y A-T-IL DIFFERE ENTRE LES PRIX DU PETROLE ET CEUX À LA POMPE ? Décrite simplement, la séquence causant le différé est la suivante : * Les raffineries étrangères qui produisent les combustibles destinés au Maroc nécessitent un délai entre le moment où elles achètent, reçoivent et stockent leur matière première (pétrole) et le moment où, après fabrication, elles stockent leurs produits raffinés (flèches noire et bleue de la Figure 1). * Les réseaux de transport internationaux nécessitent eux aussi un délai entre le moment où ils prennent en charge les produits raffinés dans les réservoirs des raffineurs et le moment où ils livrent nos distributeurs locaux dans les ports marocains (flèche rouge de la Figure 1). * Quant aux distributeurs marocains, ils nécessitent eux aussi un délai entre le moment où ils stockent les produits raffinés dans leurs réservoirs et le moment où ils livrent les pompes à essence avec un prix donné. Ce délai, est montré par la flèche verte de la Figure 1. Figure 1 Schéma simplifié des étapes encadrant les différentes phases en amont des détaillants de combustibles pétroliers Par ailleurs, les distributeurs marocains de combustibles ont une politique d'approvisionnement basée : * sur une très large majorité d'achats sous contrat signés à l'avance, dont les fluctuations de prix sont faibles et décalées dans le temps, * sur une minorité d'achats dont les fluctuations de prix sont soumises aux cours mondiaux et dont le décalage dans le temps est plus faible. Les prix à la pompe résultent donc d'un mécanisme d'autant plus complexe qu'il inclut aussi la diversité des acteurs de la distribution de combustibles. Ceci n'empêche qu'il peut sembler utile d'expliquer, le plus simplement possible, les tendances d'évolution à court terme. EVOLUTION DES COURS MONDIAUX ET EROSION DU DIRHAM FACE AU DOLLAR US La Figure 2 montre l'évolution : * des différents cours moyens hebdomadaires internationaux de pétrole en dollars US (échelle bleue de gauche), tels qu'ils sont rapportés par un site de statistiques internationales[3]: o Brent (bleu) : prix moyen de pétroles extraits de la Mer du Nord, o OPEC (vert) : prix moyen de pétroles provenant des différents pays de l'OPEP, o WTI (noir) : prix moyen de pétroles légers américains (West Texas Intermediate). La même Figure 2 montre l'évolution du cours du Dirham marocain (échelle rouge de droite) face à la monnaie américaine[4]. Figure 2 Evolution des cours moyens internationaux du pétrole et du cours du Dirham face à l'US$ La Figure 2 met bien en évidence : * la lente reprise des cours mondiaux du pétrole induite par la hausse de la demande après la reprise de l'économie « après » COVID (Octobre 2020), * la brutale hausse générée par la crise en Ukraine (Janvier 2022), * l'érosion régulière de la valeur du Dirham face au Dollar américain. Dans notre dernier article2, nous avions volontairement négligé celle-ci que nous allons, cette fois-ci, prendre en considération « ab initio » puisque le Dh a quand même perdu près de 18% depuis le printemps 2021. QUE RETENIR DE L'EVOLUTION RECENTE DES PRIX DU GASOIL ? La moyenne des trois prix du pétrole (Brent, pétroles OPEC et WTI) est d'abord convertie en Dirhams avant d'être utilisée pour calculer, par ajustement et décalage, ce que serait le prix moyen du gasoil à Casablanca. Figure 3 Evolution du cours moyen du pétrole en Dh (bleu) et des prix observés et calculés à Casablanca (rouge) C'est ainsi que la Figure 3 montre les évolutions : * de la moyenne des trois prix du pétrole en Dh (ronds bleus se rapportant à l'échelle de gauche), * du prix moyen constaté chez 5 pompistes de Casablanca[5], [6] jusqu'au 18 juillet 2022, les prix ultérieurs ayant été obtenus par d'autres communiqués récents dans la presse marocaine (carrés rouges pleins se rapportant à l'échelle de droite), * du même prix calculé par ajustement et décalage (triangles rouges se rapportant à l'échelle de droite). La Figure 3 montre clairement que : * durant la phase ascensionnelle des cours mondiaux (fin décembre 2021 à fin mai 2022), il y a un parallélisme décalé entre les cours mondiaux (bleus) et les prix à la pompe au Maroc (rouges), * jusqu'à fin août 2022, les prix à la pompe calculés (triangles rouges) ont suivi les prix réels (carrés rouges) en restant toujours à l'intérieur d'une barre d'erreur de ±8% cet accord inclut autant la période de prix « basse » du cours moyen du pétrole (de fin juin à fin décembre 2021) ainsi qu'une phase « ascensionnelle et haute » des prix (de fin décembre 2021 à fin septembre 2022), * durant les deux derniers mois d'octobre et de novembre, les prix réels se sont excessivement écartés des prix calculés, alors que le cours moyen du pétrole s'érode lentement depuis fin mai 2022, quoique de façon erratique. Abstraction faite de la simplicité, ou de la complexité, du modèle de calcul représenté par les triangles rouges, il n'en reste pas moins que celui-ci a correctement fonctionné pendant près de 15 mois et que les « règles du jeu » qui prévalaient deviennent caduques par l'écart excessif constaté pendant les mois d'octobre et novembre. Pour ma part, je ne vois que deux explications à cet écart : 1. Les distributeurs pourraient avoir profité de l'opportunité d'une augmentation de leurs marges, ce qui est tout à fait légal dans un marché libre. Toutefois, dans un contexte de libre concurrence entre plusieurs opérateurs, la synchronisation parfaite des hausses ne peut se produire sans entente, ce qui violerait les Lois de la concurrence de ce pays et, à défaut d'Autorité spécialisée dans le domaine[7], le Conseil de la Concurrence n'aurait alors plus qu'à remettre au travail l'Instance qui a instruit le récent Avis du Conseil sur le sujet[8] afin de nous dire s'il y a effectivement entente. 2. La politique d'approvisionnement des distributeurs pourrait avoir changé par rapport à la phase ascensionnelle des prix. Dans ce cas, il faudra que le Conseil de la Concurrence nous explique le fonctionnement de ce « marché libre » dans lequel 85% des importations de combustibles sont faits par 8 opérateurs différents6 mais qui changent simultanément leur politique d'approvisionnement menant à une synchronisation systématique des tendances des prix. Car, au sens commun d'un marché concurrentiel, les étiquettes ne devraient pas valser de façon synchrone, n'est-ce pas ? Du simple fait que nous vivions sur une planète qui n'est pas infinie, le réchauffement climatique et l'épidémie de COVID ont fait que les fondements du capitalisme sont en train de changer puisqu'on ne compte plus le nombre d'économistes jadis chantres du libre marché qui ont modéré leur position aujourd'hui. Il en aura certes fallu pour qu'Anton BRENDER, chef économiste chez Candriam, déclare qu'il faut « que les états exercent une pression sur le capitalisme« [9] ou bien qu'un Bruno COLMAN, membre de l'Académie Royale de Belgique, envisage de « repenser la comptabilité financière dans une logique écologique » tout en déclarant : « C'était le monde de l'argent. Le monde du capitalisme spéculatif. Ce monde anglo-saxon qui serait animé et sera annihilé par cette soif insatiable d'amour du capital.« [10]. Chapeau bas messieurs ! Alors souhaite-t-on laisser encore longtemps les marocains entre les mains de cette image locale du capitalisme débridé qu'est la distribution des produits pétroliers ? Références [1] Base de données « Global Petrol Prices » consultée le 07 mars 2022 et encore le 24 juillet 2022, https://fr.globalpetrolprices.com/Morocco/diesel_prices/ [2] A. Bennouna, « Sommes-nous à l'aube d'un palier des prix du gasoil au Maroc pendant le troisième trimestre 2022 ?« , EcoActu, 25 Juillet 2022, https://www.ecoactu.ma/sommes-nous-a-laube-dun-palier-des-prix-du-gasoil-au-maroc-pendant-le-troisieme-trimestre-2022/ [3] Base de données « Statista« , https://www.statista.com/statistics/326017/weekly-crude-oil-prices/ [4] Site web de Bank Almaghrib, https://www.bkam.ma/Marches/Principaux-indicateurs/Marche-des-changes/Cours-de-change/Cours-de-reference [5] Webmagazine « Médias 24« , 08 novembre 2021, https://medias24.com/content/uploads/2021/11/08/Le%CC%81volution-des-prix-moyens-a%CC%80-la-Pompe-du-gasoil-v2-01-3.svg?x98526 [7] Important plus de 90% de ses besoins énergétiques, le Maroc n'a plus aucune institution spécialisée pour réguler ou contrôler les prix des combustibles liquides depuis leur libéralisation décidée par le gouvernement de Abdelilah Benkirane en 2015. Avec du recul, il est difficile de ne pas opposer : – l'intelligence avec laquelle on avait alors choisi la date précise de la libéralisation des prix pour que le consommateur n'en ressente pas l'effet, – au machiavélisme avec lequel on l'a laissé sans aucune Autorité spécialisée et indépendante qui, à l'instar de l'ANRT, l'aurait protégé de tous abus ultérieurs. [8] Avis du Conseil de la Concurrence N°A/3/22, https://conseil-concurrence.ma/cc/wp-content/uploads/2022/09/Avis-A.3.22-du-Conseil-de-la-concurrence-version-FR.pdf [9] Anton Brender, Interview sur Xerfi Canal, 24 février 2020, https://www.xerficanal.com/economie/emission/Anton-Brender-Le-capitalisme-ne-s-adaptera-au-defi-climatique-que-par-la-contrainte_3748380.html [10] Bruno Colman, Activité sur LinkedIn, https://www.linkedin.com/in/brunocolmant/recent-activity/