L'ordre mondial est en train d'être refaçonné au gré des intérêts économiques et géopolitiques. A l'instar de ce qui a été fait au lendemain de la crise internationale de 2008, des remises en cause de la théorie macroéconomique, des modèles de prévisions qui en sont basés, des systèmes de régulations, des dispositifs statistiques devraient être opérées. Bank Al-Maghrib organise, en partenariat avec le FMI et la Revue Economique du FMI, les 23 et 24 juin 2022, à Rabat, une conférence de haut niveau sous le thème: « Une reprise transformationnelle: Saisir les opportunités de la crise ». L'évènement réunit des dirigeants du secteur public issus des banques centrales et des ministères des finances, de hauts responsables d'organisations internationales ainsi que des experts issus des milieux universitaires. La rencontre devait se tenir initialement en juin 2020 dans le cadre des préparatifs aux assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI qui se tiendront à Marrakech, mais à l'instar des événements prévus dans ce cadre, elle a été reportée pour les raisons connues par tous. « Voilà plus de deux ans aujourd'hui que le monde est aux prises avec une conjoncture d'une rare difficulté et complexité. Les décideurs, aussi bien publics que privés, se sont retrouvés à naviguer dans un environnement marqué par l'incertitude et des chocs d'une amplitude jamais observée depuis des décennies », annonce le Wali de BAM, Abdellatif Jouahri dans son discours d'ouverture. Et d'ajouter : « Malgré des mesures budgétaires et monétaires d'une ampleur exceptionnelle, la crise sanitaire a plongé l'économie mondiale dans une récession, la plus profonde depuis la deuxième guerre mondiale. Le FMI, lui, a évalué en avril dernier les pertes cumulées en termes de PIB par rapport à la tendance pré-pandémie à 13,8 trillions de dollars à l'horizon 2024 ». L'espoir d'un retour à la normalité s'est par ailleurs dissipé avec le déclenchement du conflit en Ukraine, venu assombrir les perspectives de l'économie mondiale. La reprise se retrouve ainsi fortement compromise et de plus en plus incertaine. Pire encore, si cette guerre venait à perdurer, ce qui semble être le cas jusqu'à présent, le monde ne serait pas à l'abri d'une crise alimentaire mondiale, sachant d'ores et déjà, selon les dernières évaluations de la Banque mondiale, qu'entre 75 millions et 95 millions de personnes additionnelles vivent dans l'extrême pauvreté en 2022 comparativement aux projections prépandémie. « Face à une accélération de l'inflation à des niveaux jamais observés depuis des décennies, les banques centrales font face à un dilemme délicat, resserrer la politique monétaire et freiner davantage l'économie, ou privilégier une orientation accommodante avec le risque d'une accentuation de la flambée des prix », rappelle à juste titre A. Jouahri. Si la tendance est clairement vers la première option, certaines banques centrales appellent à plus de finesse et d'agilité au regard des niveaux élevés d'incertitudes qui entourent les perspectives de croissance et d'inflation. Outre le ralentissement de l'économie, les gouvernements sont confrontés à des besoins sociaux accrus et des pressions pour apporter leur soutien au pouvoir d'achat, sachant que leurs marges budgétaires ressortent largement réduites par la crise sanitaire, avec des niveaux d'endettement très élevés et des conditions de financement de plus en plus difficiles. A cela s'ajoutent de nombreux autres défis liés en particulier à la persistance des perturbations des chaines d'approvisionnement et aux mutations profondes qui étaient à l'œuvre bien avant la crise sanitaire et que celle-ci a accélérées. Il s'agit en particulier de la digitalisation, de la montée du souverainisme économique, de la remise en cause du multilatéralisme et des exigences en matière de lutte contre le changement climatique. C'est pour dire que l'ordre mondial est en train d'être refaçonné au gré des intérêts économiques et géopolitiques. Ici au Maroc, nous ne sommes évidemment pas à l'abri des effets de cet environnement international difficile. « Au niveau de Bank Al-Maghrib, nous continuons de maintenir les mesures exceptionnelles que nous avons déployées lors de la crise sanitaire pour ne pas freiner la reprise mais en même temps nous restons très vigilants quant à l'évolution des prix », explique le Wali. Et d'enchaîner ; « Comme je l'ai indiqué lors de la conférence de presse que j'ai tenue à l'issue de la réunion du Conseil il y a deux jours, nous tablons sur un taux d'inflation légèrement au-dessus de 5% cette année, mais qui devrait revenir à un niveau modéré l'année prochaine ». Après son analyse de l'ensemble des données disponibles sur l'environnement national et international ainsi que des projections macroéconomiques à moyen terme, le Conseil a décidé lors de cette réunion de maintenir le taux directeur inchangé. La rencontre d'aujourd'hui revêt une grande importance parce qu'elle permettrait de définir les contours d'un véritable changement de paradigmes qui s'impose en matière d'élaboration et de mise en œuvre de la politique publique. Au-delà de simples ajustements des choix et des politiques, ce sont bien leurs fondements, selon le Wali, qu'il faudrait requestionner à l'instar de ce qui a été fait au lendemain de la crise internationale de 2008 quand nous avons assisté à des remises en cause de la théorie macroéconomique, des modèles de prévisions qui en sont basés, de nos systèmes de régulations, de nos dispositifs statistiques... Il est clair que cela demande du recul, des efforts continus et des délais longs. Il est à rappeler à titre d'illustration, que ce n'est que le 9 de ce mois que le FMI et le Conseil de Stabilité Financière ont annoncé l'achèvement de l'initiative du G20 pour combler le déficit en matière de données identifié lors de la crise de 2008. L'environnement économique est difficile à maîtriser. Néanmoins, ces difficultés ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité d'adapter les économies aux nombreuses transformations structurelles qui sont déjà en cours et qui ne feront que s'intensifier dans les années à venir. Comme l'a si bien dit Gita Gopinath, Directrice générale adjointe du FMI, « Derrière chaque nuage se cache un rayon de soleil. De la même manière, les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui peuvent aussi fournir des opportunités de nous adapter aux défis de l'avenir, et il nous incombe de saisir ces opportunités afin de construire un monde plus vert, une économie plus robuste, et une société où chacun et chacune aura toutes ses chances ».