Dans une perspective plus large et à l'heure de la data, il y a urgence de revoir le cadre légal du système statistique national. Celui-ci reste régi par des textes qui remontent à 1968, soit plus d'un demi-siècle. Prenant part au séminaire dédié au système national d'information et à la modélisation économique organisé par l'Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Abdellatif Jouahri, gouverneur de BAM a partagé avec l'assistance son expérience en tant qu'institution à la fois productrice et grande utilisatrice de données, mais aussi une institution qui recourt de manière intensive à la modélisation économique. D'emblée, Jouahri rappelle que BAM, à l'instar de beaucoup de banques centrales, a développé au fil des ans un ensemble de modèles et d'outils statistiques lui permettant de répondre à ses besoins en matière d'élaboration de prévisions, de simulations et d'analyses d'impact des politiques publiques, de stress tests... Bien qu'il y ait un consensus sur l'apport de la valeur ajoutée de ces outils, ils exigent un certain nombre de prérequis qui sont essentiels. « D'abord, comme nous le savons tous, la modélisation consiste à formaliser sous forme d'équations mathématiques des relations économiques dans le but de mesurer la corrélation ou la causalité entre les variables considérées », explique A. Jouahri. Et d'enchaîner : « Cela suppose que ces relations sont régies par des mécanismes de marché avec une certaine profondeur ou par des dynamiques qui s'apprêtent à l'identification et à la quantification ». Il corrobore ses propos par des cas notamment lorsque l'économie manque de profondeur ou lorsque les variables considérées sont sujettes à des chocs récurrents et importants. La formalisation peut perdre de sa pertinence et ne pas permettre d'appréhender les comportements et les interactions des agents et des marchés. « A un niveau plus global, quel crédit accorder aux prévisions des cours du pétrole publiées par les institutions internationales ? Les révisions fréquentes et parfois de grande ampleur rappellent la nécessité de la prudence dans leur utilisation », s'interroge le Wali de BAM. En deuxième lieu, il est évoqué un point souvent négligé à savoir la mesure des variables. A titre d'exemple, quel est le degré de fiabilité des données microéconomiques sur les revenus des ménages même dans les pays qui disposent de systèmes développés de collecte d'impôts ? Le PIB, l'un des agrégats économiques les plus connus, souffre dans sa mesure de plusieurs limites notamment en termes de couverture et ce, aussi bien dans les économies en développement que dans les pays avancés. Une autre illustration particulièrement pertinente pour les banques centrales est celle de la mesure de l'inflation. C'est une problématique qui reste complexe comme en témoigne le débat récurrent sur ce qu'il faut considérer comme inflation (déflateur du PIB, prix à la consommation, inflation sous-jacente…). Plus édifiant encore, il y a un large consensus que les mesures dont nous disposons aujourd'hui surestiment l'inflation et ce, contrairement à la perception générale de la population. Les raisons sont connues et largement documentées dans la littérature. Il s'agit notamment de l'effet substitution de plus en plus important, de la non prise en compte de l'amélioration de la qualité de nombreux produits… C'est pour dire que lesdites variables font référence à des concepts théoriques qui peuvent être difficiles à appréhender en pratique. Le troisième point est celui de la disponibilité des données. « La statistique officielle n'est obtenue qu'à l'issue d'un processus rigoureux de collecte, de traitement et de fiabilisation selon des méthodologies connues et reconnues. Une fois disponible, elle est alors utilisée pour la détermination des besoins, le suivi et l'évaluation des politiques publiques et la prévision des évolutions économiques et sociales, souvent par le biais de modèles sophistiqués », explique Jouahri. A ce titre, il rassure qu'en comparaison avec ses pairs, le Maroc jouit d'une position en matière de développement de son système statistique. « Le Maroc est parmi les premiers pays des régions Afrique et MENA à adhérer à la Norme Spéciale de Diffusion des Données du FMI », tient-il à rappeler. A réformer… « Si je dois évoquer un axe de réforme, je prioriserai en tant que banque centrale l'amélioration de la production des données économiques quantitatives infra-annuelles », explique A.Jouahri. Par contre, dans une perspective plus large, il pense qu'il y a urgence de revoir le cadre légal du système statistique national. Celui-ci reste en effet régi par des textes qui remontent à 1968, soit plus d'un demi-siècle. Pour un système aussi décentralisé que le nôtre, il est nécessaire de mettre en place un cadre et des instances à même d'assurer une plus forte coordination de ses différentes composantes, d'établir les priorités en matière d'opérations à réaliser et d'instaurer des règles et des politiques claires en termes de, production, de diffusion et d'accessibilité. En bref, il s'agit d'assurer pour les utilisateurs le service le plus fiable en matière de statistique publique. Une chose est sûre : Eu égard aux mutations profondes que connait l'écosystème de la statistique officielle, la remise en question des approches et des modes d'organisation est primordiale. Avant de conclure, A. Jouahri rappelle la remise en cause des modèles utilisés pour la prévision et les interrogations sur la disponibilité des données et ce au lendemain de la crise mondiale de 2008. Ce sont ces questions qui, informe-t-il, ont amené des institutions comme le FMI à entamer une réflexion sur comment repenser la politique macroéconomique. C'est également ce qui a poussé les pays membres du G20 à lancer en 2009 le projet Data GAPS Initiative avec un focus particulier sur le secteur financier, paradoxalement le domaine le plus fourni en données à haute fréquence.