La construction d'un nouveau paradigme économique a été l'objet de la première conférence de The Euromoney Morocco Conference, ce mardi 19 février. Pour Abdellatif Jouahri, le Wali de Bank Al-Maghrib, nul progrès n'est possible sans une perpétuelle remise en question. Pour le gouverneur de la Banque Centrale, la remise du pays sur un sentier de développement plus élevé et durable est tributaire du renforcement de la résilience et de la capacité d'adaptation de l'économie. Cela suppose, selon Abdellatif Jouahri, certes une poursuite des réformes mais avec une plus grande exigence en termes d'efficacité et de rendement et une meilleure prise en compte d'un environnement international volatil et incertain. Avant d'étayer les pistes à suivre dans l'élaboration du nouveau modèle de développement, le Wali de Bank Al-Maghrib a d'abord planté le décor. Bien assimiler le contexte D'autant plus que ce chantier intervient une décennie après la crise mondiale de 2008 dont les séquelles persistent toujours et le continueront certainement pendant quelques années encore. Notamment une aggravation de l'endettement des entreprises et des Etats à des niveaux proches de ceux des années 80, une accentuation des inégalités sociales avec pour conséquence plus de défiance vis-à-vis des politiques publiques et l'endémique question du chômage des jeunes. Ce qui alimente davantage la crise migratoire. Ce constat fait, Abdellatif Jouahri estime que la globalisation qui a permis un essor remarquable des chaines de valeur mondiales et une réduction sans précédent de la pauvreté, est supplantée par une nouvelle ère que certains qualifient de « slowbalisation ». Face à ces incertitudes, les banques centrales de certains pays avancés ont opté pour un ralentissement du rythme de normalisation de leurs politiques monétaires. « Nous entendons la BCE réitérer la formulation « aussi longtemps que nécessaire » et la Fed annoncer récemment que son comité sera patient dans l'ajustement de la fourchette cible de son taux », rappelle A. Jouahri. D'autres facteurs entrent également en ligne de compte notamment la révolution digitale qui bouscule les modèles traditionnels de production, de consommation et d'échange, particulièrement le secteur financier marqué par le développement des crypto-actifs, les réflexions autour de la création d'une monnaie digitale ... Autant d'éléments qui ont amené le FMI et la Banque Mondiale à lancer l'Agenda Fintech de Bali. Le wali de BAM ne manque pas de citer le réchauffement climatique pour compléter le tableau ! Juguler l'incertitude Ce constat fait, le « défi aujourd'hui pour le décideur public est d'intégrer cette donne de l'incertitude persistante et d'un environnement volatile et imprévisible dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques », poursuit Jouahri. Il explique que « C'est pour faire face à ce contexte que le Maroc a initié en janvier 2018, une transition vers un régime de change plus flexible qui vise le renforcement de la capacité de son économie à absorber les chocs externes et le soutien de sa compétitivité ». Le gouverneur de la banque centrale défend « une minutieuse préparation et un large processus de concertation » qui ont permis à cette flexibilité de se dérouler « dans de bonnes conditions, avec une appropriation par le système bancaire, une adaptation progressive des opérateurs et un approfondissement continu du marché ». Et d'annoncer que dans la perspective du passage aux phases suivantes, Bank Al-Maghrib poursuit le développement d'un cadre de ciblage d'inflation qui sera mis en place au stade approprié de la transition pour renforcer l'autonomie de la politique monétaire et lui permettre de mieux ancrer les anticipations et in fine améliorer la transmission de ses décisions. Citant les différentes réformes abouties notamment dans le cadre du renforcement de cadre macro prudentiel, A. Jouahri estime qu'aucune catégorie n'est laissée au bord de la route. « C'est dans cet esprit que nous avons finalisé conjointement avec le Ministère des finances la stratégie nationale d'inclusion financière, avec comme objectifs la résorption du déficit et la réduction des inégalités dans ce domaine. L'introduction récemment de la finance participative, des établissements de paiement, du paiement mobile, de la réforme du microcrédit ainsi que les nombreux chantiers en cours relatifs notamment à la microfinance et au crowdfunding devraient apporter leur contribution à la réalisation des objectifs visés dans ce cadre », précise-t-il. Veiller à l'équilibre et à la solidité des finances publiques est également un objectif qui semble obséder le Wali de BAM comme facteur essentiel à la résilience de l'économie. Autre élément et non des moindres est le capital humain sur lequel insiste Jouahri comme facteur déterminant du développement économique et social. « Notre pays a certes beaucoup de défis à relever dans ce domaine, mais il y a une forte volonté et une prise de conscience des parties prenantes de l'importance et de l'ampleur de ce chantier, comme en témoigne la mise en place du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique. Avec cette mobilisation, l'élaboration de la vision 2030 et sa déclinaison en loi cadre, le Maroc espère rattraper ses déficits et offrir de meilleures chances d'insertion à sa jeunesse », insiste-t-il. Une perpétuelle remise en question Pour Abdellatif Jouahri, il faut restaurer d'autres rendez-vous pour se remettre en question en dehors des exercices réguliers des lois de finances et des rendez-vous électoraux. Cette remise en question devrait être instaurée comme une exigence permanente dans le processus d'élaboration de la politique publique sur la base d'évaluations neutres et objectives. « C'est de cette manière que le pays pourra redonner crédibilité à l'action publique et aux institutions politiques », révèle-t-il. Avec le questionnement régulier de ses choix, la persévérance et le courage dans la poursuite des réformes structurelles, le renforcement de la bonne gouvernance aux différents échelons de l'Administration, la consolidation des équilibres fondamentaux et l'amélioration de la résilience de l'économie, le pays préserve toutes ses chances de pouvoir réaliser son ambition de l'émergence, note Jouahri. Et de conclure que l'objectif final est de pouvoir répondre aux aspirations de sa population et de sa jeunesse en particulier, de réduire les inégalités et de renforcer la cohésion sociale.