Pour l'essentiel, nous nous référons à des sources officielles pour les données énergétiques[1], [2], [3], [4], [5]. CONFIRMATION DES RECENTES MAUVAISES NOUVELLES DU SOLAIRE AU MAROC Les grandes centrales solaires qui alimentent le réseau électrique marocain continuent[6] à montrer des chiffres inquiétants en ce début d'année 2022. Le Tableau 1 permet de s'en convaincre. Tableau 1 Comparatif de la production d'électricité du premier trimestre de 2022 avec celui de 2021 Sur le premier trimestre 2022 (seuls chiffres disponibles à date), pour satisfaire une croissance de la demande en électricité nette appelée de +3,4% par rapport à 2021 (+321 GWh), la production nette locale aurait augmenté de 2,6% (+251 GWh) mais cette augmentation aurait été réalisée : * grâce à une augmentation de la production thermique à partir de combustibles fossiles (charbons, fuel et gasoil) de +7,3% (+558 GWh) dont surtout celles des centrales l'ONEE de +48,2% (+688 GWh), * malgré une baisse de la production hydraulique de -32,0% (‐94 GWh) à cause de la pluviométrie insuffisante en ce début d'année 2022 et du très faible taux de remplissage de l'ensemble des barrages, hydroélectriques ou non, * malgré une dégringolade de 39,7% de la production solaire (-166 GWh) dont l'explication par une fluctuation interannuelle est hautement improbable et ne devrait s'expliquer que par l'arrêt de la production d'une des quatre Centrales du complexe NOOR Ouarzazate. Ce phénomène est d'autant plus grave qu'il se produit au moment même où, avec les cours actuels des produits énergétiques, le prix de sortie de la production des centrales solaires thermodynamiques de Ouarzazate (cylindro-parabolique et tour) est enfin compétitif face à celui produit par les centrales à combustibles fossiles. Cette baisse de 39.7% de la production solaire mérite une brève explication par un organisme autorisé. LES CHIFFRES REELS A FIN 2021 En décembre 2021, la Ministre de la Transition Energétique et du Développement Durable (MTEDD) affirmait encore que « nous avons atteint l'objectif de 40% de notre mix énergétique à base d'énergies renouvelables« [7]. Il est d'autant plus désolant de devoir, hélas, revenir sur ces affirmations qui s'avèrent encore inexactes en ce début de 2022 et que, Madame Leila Benali n'occupant ce poste que depuis le 8 octobre 2021, n'est nullement tenue de défendre le bilan de ses prédécesseurs par des affirmations inexactes. En effet, il est utile de rappeler à qui voudrait l'entendre qu'aucun chiffre de 40% n'a figuré comme objectif dans la Stratégie Energétique Nationale. Un objectif d'étape de 42% existait bien pour 2020 mais se référait à la capacité de production électrique : * Cet objectif d'étape de 42% ne se référait pas au mix énergétique, qui contient d'autres éléments de l'énergie finale que l'électricité, dont les détails sont montrés pour 2021 dans la Figure 1. Cette Figure 1, où les pourcentages en rouge indiquent la variation relative annuelle de chaque poste de consommation, aboutit à montrer que la consommation finale d'énergie au Maroc en 2021 a été composée d'un peu plus de 58% de combustibles qui n'ont pas été utilisés pour la production d'électricité : produits pétroliers liquides (gasoil, essence terrestre et d'aviation, fuel) et gazeux (butane et propane), charbon et gaz naturel local (l'importé d'Algérie via le GME, fermé depuis novembre 2021, était destiné aux centrales électriques de Tahaddart et Aïn Beni Mathar). Figure 1 Consommation totale d'énergie au Maroc en 2021[8] (ktep = 1'000 tep) * Cet objectif d'étape de 42% ne se référait pas non plus au mix électrique dont les détails sont montrés pour 2021 dans la Figure 2. Après sa visite au MTEDD, même le patron d'une multinationale a très justement parlé d'un Maroc où les renouvelables occupent un tiers de la capacité électrique installée[9] (32,2% réels calculés sur la base de 3'547 MW divisés par 10'986). Figure 2 Schéma simplifié des flux d'électricité au Maroc en 2021 * Dans la Stratégie Energétique Nationale, cet pourcentage de 42% en 2020 se référait aux capacités de production d'électricité renouvelable. Avec seulement 32,2% réels à fin 2021, le Maroc n'a pas encore atteint (à fin 2021) : o avec 1'413 MW réels à fin 2021, les 2'000 MW de parcs éoliennes ne sont pas atteints, o avec 828 MW réels à fin 2021, les 2'000 MW de fermes solaires ne sont pas atteints, o avec toujours 1'306 MW réels à fin 2021, les 2'000 MW d'hydroélectricité ne sont pas atteints. Et même en y intégrant indûment la STEP d'Afourer, comme le font maladroitement nos ingénieux électriciens, on n'atteindrait que 1'770 MW[10]. Ainsi donc, les chiffres erronés, les tournures des phrases mal interprétées et la « redéfinition » de certains concepts techniques n'induisent en erreur que les moins avertis mais ne changent rien à une double réalité : * Le commerce international finira par pénaliser nos exportations parce que l'énergie électrique du Maroc est si loin d'être « verte » que les véhicules électriques, qui déferlent déjà sur le Maroc, continueront encore longtemps (jusqu'à au moins 2044), à polluer plus que ceux d'aujourd'hui[11]. On devrait être exact dans les affirmations adressées aux interfaces que sont les médias marocains. Finalement, nous sommes déjà certains d'avoir au moins un an de retard à l'égard de cet objectif de 42% des capacités électriques pour 2020 et il est fort probable que nous ne le dépasserons pas avant 2023 puisque ce qui va se passer en 2022 est déjà connu. Ceci n'empêche que, grâce au ralentissement de la ralentissement de la croissance de la consommation électrique[12], [13], il est encore parfaitement possible d'atteindre les 52% prévus avant même 2030. La Figure 3 montre le schéma simplifié des flux d'énergie au Maroc pour l'année 2021. Une partie de ces chiffres n'est pas encore officielle. Figure 3 Schéma simplifié des flux d'énergie au Maroc en 2021 Cette Figure 3 synthétise et agrège les informations de la Figure 1 et démontre la domination à 92,2% du caractère renouvelable, dominé par l'éolien, de la production locale d'énergie (2,310 Mtep) puisqu'une toute petite part (0,0966 Mtep) est due aux combustibles fossiles locaux. Mais cette figure révèle aussi le taux de dépendance énergétique de 90,9% qui est obtenu après avoir déduit la production nette de 2,158 Mtep de la consommation nette de 23,852 Mtep. Certes, le Maroc a mérité la reconnaissance internationale qui lui a été dévolue[14] mais il n'est pas inutile de répéter certains fondamentaux : il va falloir se retrousser les manches pour mettre en œuvre le plan gaz naturel afin que tout soit prêt à la substitution du charbon en 2044, d'opérationnaliser le plan hydrogène, d'installer au plus vite les capacités renouvelables nécessaires ainsi que celles du stockage approprié pour aujourd'hui (STEP) et se préparer aux futures techniques de stockage (hydrogène ou autre) pour répondre à une demande en puissance appelée supposée pouvoir augmenter en moyenne de 175 MW par an. L'accélération nécessaire doit prendre en compte le déploiement progressif des véhicules électriques qui ne doivent plus se contenter de déplacer la pollution des lieux de circulation automobile vers les lieux de production d'électricité et le seul moyen est de baisser très fortement le facteur d'émission de l'électricité prélevée sur notre réseau électrique. Les futures STEP de Ifahsa et de Menzel 2 (300 MW chacune) ne doivent pas souffrir d'un retard excessif tel que celui de Abdelmoumen (plus de 8 ans !). En attendant les « grands virages de 2044 », on pourrait aussi contribuer quelque peu à la décarbonation progressive par l'amélioration des rendements des réseaux électriques[15] ainsi que par l'autoproduction d'électricité solaire[16]... à condition qu'on l'encourage au lieu d'en dissuader les acteurs[17]. Dès que la conjoncture le permettra, il faudra aussi aider les plus démunis à faire face à la suppression des subventions de gaz butane en redéployant la Caisse de Compensation, ce qui devrait ralentir quelque peu la croissance de la consommation de butane tout en donnant un coup de fouet à la substitution d'une partie du butane par le chauffage solaire de l'eau. Références [1] Royaume du Maroc, Ministère de l'Energie, des Mines et de l'Environnement, Portail des statistiques de l'Observatoire Marocain de l'Energie (OME), https://www.observatoirenergie.ma/data/ [2] Royaume du Maroc, Ministère de l'Economie, des Finances, et de la Réforme de l'Administration, Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/ [3] Royaume du Maroc, Ministère de l'Economie, des Finances, et de la Réforme de l'Administration, Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), Notes de Conjoncture, https://www.finances.gov.ma/fr/Nos-metiers/Pages/notes-conjoncture.aspx [4] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique [5] Haut Commissariat au Plan, Annuaire Statistique du Maroc, Version électronique après 2013 https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/ [6] Amin BENNOUNA, « Quelque news 2022 sur le solaire marocain et une mise au point sur... le nucléaire« , Webmagazine EcoActu, 27 Avril 2022, https://www.ecoactu.ma/news-2022-solaire-marocain-nucleaire/ [8] Les masses ou volumes des produits énergétiques ont été préalablement convertis en tonnes d'équivalent pétrole (tep) par le biais de leur pouvoir calorifique inférieur (PCI). Un facteur de conversion de 0.26 tep par MWh d'électricité importée ou renouvelable. [9] Joe Anis, Président et CEO de General Electric Gas Power pour l'Europe et les Régions MENA et Afrique, Page LinkedIn, 24 Mai 2022, https://www.linkedin.com/posts/josephanis_morocco-africa-energytransition-activity-6935605207389085696-ydjI/?utm_source=linkedin_share&utm_medium=member_desktop_web [10] Les Stations de Transfert par Pompage (STEP) sont, très justement, classées dans l'hydraulique mais ne font que turbiner l'eau qui a été stockée par pompage par tout type d'électricité (pas nécessairement renouvelable). Incompétence ou mensonge de ceux qui l'ont consignée la première fois, cette « erreur » a imposé à leurs successeurs d'en hériter sans la corriger, puisqu'elle permet de gonfler indûment les chiffres des puissances renouvelables entraînant un dopage de leur part. [11] Amin BENNOUNA, « La majorité véhicules électriques du Maroc contribuent plus qu'ailleurs au réchauffement climatique« , EcoActu 04 Mars 2022, https://www.ecoactu.ma/vehicules-electriques-rechauffement-climatique/ [13] Amin BENNOUNA, « Energie au Maroc : la croissance ralentit« , EcoActu, 8 Octobre 2018, https://www.ecoactu.ma/energie-au-maroc-la-croissance-ralentit/ [14] Amin BENNOUNA, « Energie : Pourquoi le Maroc, qui a mérité la reconnaissance internationale, doit-il redoubler d'efforts« , EcoActu 19 janvier 2022, [15] Amin BENNOUNA, « Les 'pertes non-techniques' dans le réseau électrique de l'ONEE engloutissent plus que l'électricité solaire produite à Ouarzazate« , EcoActu 28 février 2020, https://www.ecoactu.ma/les-pertes-non-techniques-dans-le-reseau-electrique-de-lonee/ [16] Amin BENNOUNA, « Trois décennies d'énergie solaire photovoltaïque au Maroc« , Webmagazine EcoActu, 03 Décembre 2019, https://www.ecoactu.ma/trois-decennies-denergie-solaire-photovoltaique-au-maroc/ [17] Amin BENNOUNA, « L'inapplicable Projet de Loi marocain relatif à l'autoproduction d'électricité« , Webmagazine EcoActu, 15 Novembre 2021, https://www.ecoactu.ma/linapplicable-projet-de-loi-82-21-relatif-a-lautoproduction-delectricite/#:~:text=R%C3%A9uni%20le%20jeudi%2011%20novembre,du%20mardi%2002%20Novembre%202021