Les opérateurs de téléphonie mobile, secteur en plein essor en Inde, se battent pour se faire une place sur les ondes. Les trains de Bombay sont célèbres pour la cohue grouillante de passagers (ou « super-dense crush load», nommée officiellement ainsi par les autorités) qu'ils transportent aux heures de pointe. À en juger par les plaintes de certains opérateurs de téléphonie mobile en Inde, les ondes du pays sont aussi surpeuplées que ses trains. En octobre dernier, plus de 8 millions d'Indiens sont venus s'ajouter aux 217 millions d'utilisateurs de téléphone portable que compte le pays. L'Inde a donc atteint l'objectif ambitieux qu'elle s'était fixée il y a deux ans, soit 250 millions de connexions au téléphone fixe et mobile. Mais le gouvernement ne s'y est malheureusement pas préparé. Il n'a pas prévu suffisamment de place sur le spectre radio pour que les opérateurs de téléphonie mobile permettent à leurs clients de passer des appels clairs et fiables. L'Inde fait donc face à une «pénurie de fréquences», se plaignent les opérateurs. En novembre dernier, Sunil Mittal, président de Bharti Airtel, a écrit au ministre des Télécommunications indien pour décrire l'«intense anxiété» causée par la quantité «pitoyable» de fréquences octroyées aux opérateurs de technologie GSM, pourtant utilisée par trois-quarts des abonnés indiens. Le gouvernement promet de fournir des ondes supplémentaires aux sociétés qui auront réuni suffisamment d'abonnés. Airtel, par exemple, aurait dû se voir attribuer un espace supplémentaire à Delhi une fois le seuil des 1,6 million d'utilisateurs franchi. Elle en compte aujourd'hui 3,6 millions et elle attend toujours. La rapidité de l'essor de la technologie mobile a pris l'organisme de régulation des télécoms par surprise. Ses ingénieurs ont proposé de rehausser, parfois jusqu'à 15 fois, le seuil du nombre d'abonnés à partir duquel les opérateurs de GSM peuvent obtenir de nouvelles fréquences. Les opérateurs sont excédés. Tous les efforts désormais se concentrent sur la recherche d'un compromis. Reliance Communications (RCOM), un des opérateurs, enclin à accepter les conditions du régulateur, compte 39,4 millions d'abonnés et utilise principalement une technologie rivale appelée AMRC (Accès Multiple à Répartition par Code). Son président, Anil Ambani, souhaite désormais commencer à proposer des services GSM dans tout le pays. En octobre, RCOM a dû débourser la somme de 16,5 milliards de roupies (soit 418 millions de dollars) pour l'achat d'une nouvelle licence GSM, dont le prix n'a pas changé depuis 2001. M. Ambani, qui a rejoint la file des titulaires de licence dans l'attente de fréquences de lancement, estime que les titulaires actuels disposent déjà de plus d'ondes qu'il ne leur en faut. Le fait qu'ils en réclament plus ne fait que priver les nouveaux arrivés (comme lui) des fréquences dont ils ont besoin pour pouvoir rivaliser, soutient-il. Dans une analyse récente, les conseillers techniques de l'organisme de régulation des télécoms ont comparé les «sombres prévisions» concernant la pénurie de fréquences, aux pronostics sinistres énoncés par Thomas Malthus en 1798 à propos de la pénurie de nourriture. Tout comme les malthusiens ont eu tort de supposer que la production agricole était fixe, les pessimistes ont tort de supposer que le nombre de communications par fréquence est immuable. Puisque le spectre est surexploité, les opérateurs trouveront bien d'autres moyens ingénieux d'en soutirer encore des possibilités, estiment les ingénieurs, en utilisant de nouvelles technologies, telles que des antennes plus intelligentes. À l'instar des usagers des trains de Bombay, qui pendent par les portes et les fenêtres des wagons bondés, les opérateurs de GSM devraient apprendre à se serrer et à faire meilleur usage de l'espace disponible. Cet argument exaspère M. Mittal de la compagnie Airtel. Les sociétés de téléphonie portable dépensent déjà des fortunes pour remédier à l'encombrement de leurs réseaux, en construisant des tours proches les unes des autres par exemple. S'il est aussi facile d'économiser de l'espace, affirme M. Mittal, alors peut-être que les compagnies téléphoniques du gouvernement, BSNL et MTNL, consentiraient à céder un peu des fréquences qu'elles ont en trop et à montrer au reste du secteur comment fonctionner avec si peu.Une des méthodes existantes pour augmenter le nombre d'appels dans un espace limité consiste à réduire la qualité du service. Les ondes indiennes surexploitées commencent déjà à montrer des signes d'échecs d'appels et de mauvaise réception. Dans les deux plus grandes villes d'Inde, Delhi et Bombay, la qualité du service est «plus que lamentable», selon M. Bajaj. Les appels sont souvent coupés, en particulier si le propriétaire d'un téléphone «mobile» est présomptueux au point de marcher pendant qu'il parle ! S'il n'existe pas de combine technique facilement applicable pour résoudre les prises de bec entre opérateurs indiens, il en existe cependant peut-être une d'ordre militaire. Les forces armées indiennes, tout comme ses chemins de fer et son programme spatial, monopolisent une quantité de fréquences excessivement importante, qu'elles détiennent depuis le temps où les ondes radio étaient aussi peu peuplées que les sommets de l'Himalaya. L'armée, comme on pouvait s'y attendre, est quelque peu réticente à lâcher sa mainmise sur ses ondes. Mais le gouvernement espère lui en soutirer avant la fin de l'année. Le gouvernement a également réservé un espace sur le spectre aux réseaux de «troisième génération» (3G). Le gouvernement n'a pas encore décidé quand commencer sa distribution au compte-gouttes d'espace de bande, mais il a l'intention de vendre aux enchères des licences 3G à tous, ignorant les recommandations du régulateur selon lesquelles seules les compagnies téléphoniques existantes sont autorisées à participer aux ventes. Pourtant, les offres les plus alléchantes ont de fortes chances de provenir de visages familiers, qui seront à même de faire passer leurs clients les plus exigeants et les plus aisés à la téléphonie 3G, ce qui laissera un peu plus de place à leurs compatriotes moins bien lotis.