Restructuration des unités de production, spécialisation des magasins, recherche de partenaires pour maîtriser l'amont de l'industrie, ouverture de nouveaux points de vente… Au Derby se donne les moyens de réussir ses paris. Il y a quelques années, plusieurs personnes pensaient l'aventure Au Derby terminée. Le groupe était au bord du gouffre. Certains prédisaient même la fermeture des magasins. Aujourd'hui, le groupe se restructure, se repositionne. Il est en train de remonter la pente. Que s'est-il passé entre temps ? «Si nous avons connu des difficultés, nous n'avons jamais été au bord du gouffre», tient d'abord à préciser Nabil Jettou, président du groupe Au Derby. En fait, comme l'ensemble du secteur du textile et du cuir, le groupe a souffert du démantèlement de l'accord multifibre et de la suppression des quotas. La concurrence asiatique n'a pas été tendre avec les industriels marocains. Les produits, particulièrement chinois, ont inondé les marchés européens, traditionnellement tournés vers le Maroc. Il n'y avait que deux solutions envisageables : soit s'en sortir en révisant la politique et la stratégie de chacun, soit mourir. Le groupe Jettou a choisi la première option. Un programme de restructuration a été lancé pour diversifier le portefeuille client, orienter les produits vers le haut de gamme en concluant des partenariats avec des entreprises prestigieuses italiennes et espagnoles, redoubler d'effort pour assurer la formation (reconversion) du personnel et améliorer la production pour augmenter la compétitivité des entreprises du groupe. Une enveloppe de 10 millions de DH est allouée au programme de restructuration. Pendant une durée de cinq ans, la famille Jettou compte investir 2 millions de DH annuellement pour les besoins du groupe : nouvel équipement de pointe, formation du personnel… Parmi les premières mesures qui ont été prises dans le cadre de la restructuration, celle d'optimiser les ressources. Ainsi, il a été décidé de réduire le nombre des usines de fabrication, passé de six à quatre. L'une d'entre elles sera absorbée alors qu'une deuxième arrêtera son activité. Les quatre unités se spécialiseront chacune dans une activité donnée. Trémolède se chargera de la fabrication des chaussures haut de gamme pour hommes et femmes, Moroccan Shoe Company (Morosco) pour les chaussures sport et loisirs, BSA et Compagnie Générale de la Chaussure (CGC) toutes deux spécialisées dans les chaussures pour enfants. A elles quatre, ses unités de production totalisent alors une capacité de production qui avoisine les 12.000 paires par jour, soit plus de 2,5 millions de paires de chaussures fabriquées annuellement. 90% de cette production est exportée principalement vers des pays de l'Union Européenne. Quant au marché local, où le groupe réalise 5% de son chiffre d'affaires, il faut savoir que seuls les articles sous licence sont vendus à travers une trentaine de magasins. Mais il faut y ajouter les articles importés. Au Derby, qui revendique 25% du marché local, importe 30.000 voire 40.000 paires de chaussures de pays comme la France, l'Italie, l'Espagne et même le Brésil, la Chine ou le Vietnam. Concernant les articles provenant de ces pays asiatiques, les responsables du groupe affirment que ce sont des articles (globalement) moyenne gamme, qui ne peuvent être fabriqués localement parce qu'ils ne seraient pas vraiment rentables, les droits de douane sur les intrants grevant le coût de production. Ainsi donc, il ressort des performances du pôle Chaussures du groupe Jettou qu'en 2007, le chiffre d'affaires a atteint 400 millions de DH, 45% provenant des ventes de chaussures pour enfants, 30% des chaussures pour femmes et 25% des chaussures pour hommes. La croissance des ventes a été soutenue aux alentours de 5 à 6% l'an. Et avec la restructuration du groupe, elle devrait s'accélérer encore dans les années à venir. Voici donc ce que représente la chaussure pour la famille Jettou. Le groupe, qui travaille depuis des décennies avec des grandes enseignes, aurait pu créer sa propre marque et commencer à la commercialiser. Eh non. Il préfère, encore aujourd'hui, rester attaché à sa stratégie, celle de fabriquer seulement pour les autres. Les responsables de la firme ont trouvé un argument pour conforter leur décision. Ils ne voulaient pas perdre leurs clients traditionnels. En fait, depuis une trentaine d'années, le groupe, qui est orienté sur les marchés étrangers et notamment français, a produit des chaussures pour des enseignes comme Kickers, Callagan, Pierre Cardin… A un moment donné, il a négocié avec elles la possibilité de vendre, sous licence, leurs chaussures dans des magasins au Maroc sous l'enseigne Au Derby. «Nous exploitons certaines licences depuis plus de 30 ans à travers des contrats qui nous assurent non seulement l'exclusivité de la distribution des marques sur le marché local, mais nous ouvrent de vraies opportunités à l'export sur des marchés exigeants (européens en particulier)», confie Nabil Jettou. Avec tant d'expérience et de savoir faire, pourquoi le groupe Jettou n'a-t-il pas franchi le pas pour lancer lui-même sa propre marque ? Selon un proche du groupe Au Derby, ses responsables ont été frileux quant à la concrétisation de cette idée. «Les Jettou ne voulaient pas perdre leurs clients traditionnels. S'ils avaient du créer leur propre marque, ils auraient pu prendre le risque de voir leurs clients bloquer les licences qu'ils avaient obtenues pour vendre leurs chaussures sous prétexte qu'ils pourraient les copier». Pour éviter tout amalgame, la famille Jettou a donc préféré garder ses acquis. Spécialisation des points de vente Au vu de tous ces changements, au Derby s'est alors fixé des objectifs pour mieux se positionner sur les marchés à l'export mais aussi sur le marché local. A cet effet, le groupe a prévu d'ouvrir deux points de vente au Morocco Mall, ce méga complexe commercial qui ouvrira en 2010-2011 ses portes à Casablanca. «Le premier sera exploité sous l'enseigne Au Derby, le deuxième sera consacré à la commercialisation de deux marques italiennes prestigieuses», souligne Nabil Jettou. Le groupe compte également compléter son réseau de distribution en ouvrant des magasins pour chaque marque vendue sous licence (un magasin Kickers…). «Nous comptons spécialiser nos points de vente. Les ouvertures de magasins se feront en fonction des opportunités qui s'offriront en termes de nouvelles acquisitions», assure le président du pôle chaussures. Au Derby est déterminé à continuer l'aventure en se perfectionnant. Durant les deux prochaines années, le groupe poursuivra sa restructuration, la modernisation de ses usines, l'optimisation de sa production, l'amélioration de la qualité de ses articles, et à développer sa chaîne de magasins. Au Derby veut défendre sa position de leader (qu'il revendique) depuis plus de 50 ans.