Une Vision 2020 de plus ? Cette fois, c'est au tour du secteur des sports de se soumettre à ce procédé de planification dont les recommandations sont formulées (une fois encore ! ) par un bureau d'études étranger, rémunéré à coups de millions de DH. On se croirait dans l'enceinte d'un casino, lorsque les enjeux fixés se chiffrent en milliards de DH. Et, effectivement, ce ne sont pas moins de 12 milliards de DH qui devront être mobilisés pour espérer concrétiser cette stratégie. C'est proprement hallucinant lorsque l'on établit la comparaison avec le malheureux 1,75 milliard de DH alloué par le budget de l'Etat au département de Nawal El Moutawakil. Vu ces paramètres, l'équation paraît insoluble. Un secteur désolé, dont les dysfonctionnements ont fini par se traduire par des résultats négatifs, voire dramatiques, mais aussi par une certaine désaffection des investisseurs. Les faire revenir, c'est réussir à rassembler les 10 milliards de DH qui manquent au financement du secteur. Oui mais comment ? Vendredi 24 octobre. Personne dans cette salle archi-comble de l'Amphitrite de Skhirate, réunissant en cette après-midi pontes et simples moniteurs de l'éducation physique, ne s'attendait à ce que la lettre royale ouvrant les travaux des 2ème Assises du sport (les premières datent d'une quarantaine d'années !) arbore un ton si critique. Dès les premières lignes solennellement lues par Mohamed Moatissim, jouant ici le rôle de messager plutôt que de conseiller du roi, les chuchotements entre voisins de même rangée ont commencé à se faire discrètement entendre. «C'est une bombe», soulève l'un d'entre eux. C'est qu'à l'exception de celui prononcé au lendemain des attentats du 16 mai 2003, jamais discours de Mohamed VI n'a été aussi sévère, triant sur le volet les mots les plus explicites pour traiter de la situation actuelle du sport national. Le discours lui-même le reconnaît noir sur blanc et l'explique même. « Parce que la réalité est tenace, nous avons préféré vous tenir un langage de franchise à seule fin de parvenir à une évaluation objective des faiblesses et des carences de notre sport ». Tout y passe, prenant à juste titre la forme d'un diagnostic profond de l'état actuel. Renouvellement des instances dirigeantes, audit des comptes, mise en place des jalons d'une bonne gouvernance, professionnalisation des intervenants tous azimuts, révision de la législation… l'accent est mis sur chacun de ces aspects appelant les choses par leur nom et n'hésitant pas à affirmer que «le sport national est en train de s'enliser dans l'improvisation et le pourrissement et qu'il est soumis par des intrus à une exploitation honteuse pour des raisons bassement mercantiles ou égoïstes». Le sport sous la loupe du roi Intrus. Le mot est dit. Tel un verdict qui vient de tomber, il ne manque pas de donner froid dans le dos à une certaine élite présente sur place. Les paragraphes qui suivent ne sont pas plus élogieux : «ce qui est encore plus triste et plus fâcheux, c'est que dans la gestion des fédérations et des clubs, les responsabilités ne sont pas toujours claires, pas plus que ne sont satisfaits les impératifs de transparence, d'efficacité et de démocratie. A ces carences s'ajoutent évidemment l'immobilisme qui caractérise certaines organisations sportives et la fréquence faible ou quasi nulle du renouvellement de leurs instances dirigeantes». Dès le lendemain, l'événement fait la une de plusieurs journaux. Certains vont jusqu'à citer nominativement certains dirigeants de fédérations (le général Hosni Benslimane notamment) et à les appeler à démissionner de leurs postes, occupés inlassablement depuis plusieurs générations. En effet, en plus du poste présidentiel, c'est toute la politique relative au mode d'adhésion qui est pointée du doigt. Selon un ancien joueur de foot : «alors que la loi existante, malgré toutes ses failles, présente l'avantage d'énumérer clairement les conditions requises pour accepter la candidature d'adhésion d'un nouveau membre au sein d'un club donné, aucune de ces clauses n'est respectée dans la réalité. Depuis une quinzaine d'années, c'est la pagaille totale». Et de poursuivre. «Il suffit d'avoir un peu d'argent pour être le bienvenu. Chaque président peut ramener les siens pour être sûr qu'ils les soutiendront lors des rares assemblées générales qui sont tenues. Résultat : le sport a pendant longtemps été pris en otage dans l'impunité la plus totale». Les chefs d'accusation sont légion à l'égard des actuels patrons des fédérations. Trois d'entre elles ont déjà été officiellement approchées en vue d'un audit des comptes. Il s'agit des fédérations de volley-ball, de basket-ball et de natation. Décevant comme palmarès ! «Ce n'est qu'une question de temps. Toutes les fédérations y seront soumises. La Cour des comptes interviendra en même temps que la trésorerie générale du royaume sur ces missions en collaboration avec un cabinet privé», assure la ministre des Sports. Ce sont aussi ces 44 fédérations qui devront dire leur mot prochainement concernant la dernière mouture du projet de loi sur le sport et l'éducation physique. Un chantier qui a duré une dizaine de mois, selon M. Monabbih, monsieur juridique au ministère et qui doit permettre une révision de fond en comble de l'ancienne législation. En effet, que les remarques royales soient considérées comme des remontrances ou des constats édifiants, il n'en demeure pas moins que le socle de toute évolution future reste le cadre juridique. Le message de la haute instance du pays ne laisse place à aucune confusion. D'ailleurs, il y est précisé qu'il faut «également veiller à l'adaptation du cadre juridique aux développements observés dans le secteur». Et ce ne sont pas les intervenants du marché qui y trouveront à redire. Qui fait quoi ? Si le projet de loi est actuellement dans les tiroirs du secrétariat général du gouvernement, Nawal El Moutawakil a lancé lors de sa dernière sortie médiatique en aval des Assises qu'en séance gouvernementale, elle serait amenée à en faire un exposé devant ses homologues. Pour l'heure, le constat est simple et rapide : un cadre juridique dépassé dont l'actualisation est urgente. Quel type de réglementation sommes-nous en droit d'espérer et quelles sont surtout les questions à réglementer en priorité ? Les experts sur le sujet ne manquent pas de souligner une évidence, mais qui a le mérite de relever une des sources de malaise du secteur : toute réglementation suppose un certain nombre d'obligations et des droits inhérents à chaque acteur. L'impératif d'établir des statuts nets et précis s'avère donc indiscutable. Tout d'abord, le représentant de la finalité de toute action ou de toute politique relative au sport : le sportif. Il lui incombe autant de droits que d'obligations. Mais avant de le rendre comptable de ses résultats, dans quel climat baigne-t-il, juridiquement et administrativement parlant ? Déjà au niveau scolaire, le statut de sportif, quelle que soit son affectation, n'est pas déterminé. Aujourd'hui, les textes en vigueur ne dressent que des ébauches de statuts, que ce soit pour le sportif pratiquant ou le dirigeant dans une instance sportive. Le Souverain, en traitant du modèle de l'organisation du secteur, parle d'ailleurs d' «un modèle qui repose sur une multitude d'acteurs, souvent non coordonnés, fonctionnant sur un schéma de type associatif». En effet, les associations sportives, qui pourtant sont des personnes morales, continuent à être sous le coup du dahir de 1958 régissant les libertés publiques. Une loi spécifique préciserait le rôle et les objectifs de ces assemblées, qui évoluent actuellement dans l'anarchie la plus totale. Le même constat peut être adopté en ce qui concerne les ligues régionales, les fédérations… Ces dernières, se trouvant au sommet de cette organisation, doivent avoir la charge de répondre de la politique du secteur, de l'encadrement technique du sportif, de la programmation, voire même de la formation. «Nous nous réunirons incessamment avec les différentes fédérations afin de faire une lecture poussée de la lettre royale. L'occasion d'en tirer les enseignements qu'il faut et d'arrêter un planning de travail», confie Nawal El Moutawakil. L'occasion aussi de traiter du sujet des statuts des fédérations, notamment de l'épineuse question des élections, de la durée des mandats et de la possibilité de son renouvellement. Et le nerf de la guerre ? En dehors du coté purement organisationnel, la réglementation, aujourd'hui en cure de lifting, s'attaque aussi à des points qu'on peut qualifier de pratiques. Et pour cause. Ils traitent de l'aspect économique du secteur. Autrement dit : comment aiguiser les armes de séduction d'un secteur qui tombe en ruine ? La finalité étant de lui permettre de se doter des moyens de sa renaissance. Les sources de financement régulièrement mises à sa disposition sont très limitées. Le premier vivier étant le budget de l'Etat, d'une insignifiante contribution de 0,65% en 2008. Dans le projet de loi de finances 2009, ce ratio devrait augmenter de 17%, ce qui ne change pas grand-chose à la donne. Car la part du sport passerait à un peu plus de…1% seulement. Suffisamment édifiant pour témoigner de l'intérêt que porte le gouvernement au sport. Soit. Mais il se trouve que d'autres sources extra-budgétaires viennent alimenter le secteur. Il s'agit essentiellement du Fonds national du développement du sport créé en 1987. Ce dernier est abreuvé par l'argent généré par les activités de la Marocaine des jeux. En somme, cette ressource se présente comme le levier financier le plus important. «Le budget du fonds devrait passer à 200MDH à l'horizon 2012», se targue Nawal El Moutawakil. Le financement issu des collectivités locales vient en dernier lieu. Mais là, «aucune visibilité n'est possible», reconnaissent ceux qui se sont penchés sur la question. Les choses sont encore plus graves, puisque même en termes d'information, un seul mot d'ordre : la rétention. Personne ne connaît le montant exact des fonds accordés ni la périodicité de ces versements. D'ailleurs, les collectivités locales ne semblent être tenues par aucune obligation à ce niveau. Mais, les observateurs ne réfutent pas la thèse selon laquelle la procédure d'octroi des subventions locales répond à une logique autre que celle découlant d'impératifs purement sportifs. Il s'agit plus d'une approche destinée «à rallonger des fonds» en vue des échéances électorales, car un club, c'est également des membres et des adhérents, soit autant de droits de vote. Mais toutes ces recettes peuvent s'assimiler à du dérisoire comparées à ce que les droits télévisés de retransmission peuvent générer. De plus, les pouvoirs publics ont également la possibilité de prélever une quote-part des recettes émanant des bénéfices du PMU. «Ce sont des enjeux qui se chiffrent en milliards», confie une source proche du dossier. Si une telle démarche n'a pas encore été empruntée jusqu'à présent, les observateurs y voient un défaut de volonté et surtout de manque de courage politique. Elle constitue par ailleurs l'un des volets les plus importants dans la nouvelle mouture du texte de loi sur le sport et l'éducation physique. Elle permettra non seulement de renflouer les caisses d'une manière directe, mais aussi d'accrocher de nouveaux annonceurs, jadis hésitants à l'idée d'investir dans ce relais de communication. ◆ Article 22 : le niet de Nawal «Vous avez la chance d'avoir maintenant toute la latitude de réformer le secteur sans avoir peur de heurter certaines sensibilités. Le souverain a balisé le terrain. A vous d'assurer la suite ». Le message sort de la bouche d'un grand journaliste sportif, adressé directement à la ministre du Sport. Référence faite au fameux article 22 de la loi, qui donne le droit au département de tutelle d'intervenir au niveau de la nomination des présidents des fédérations, voire même au niveau de la dissolution d'une fédération en dysfonctionnement. «Le gouvernement accorde des subventions aux fédérations. Il peut donc avoir un droit de regard sur leurs comptes et leur mode de fonctionnement interne», ajoute-t-il, soulevant un débat houleux dans la salle. La réponse de Nawal El Moutakil est la même depuis qu'elle a été nommée ministre : «par respect pour le principe international de l'autonomie des sports, le ministère ne pourrait s'immiscer dans les affaires internes des fédérations. Souvenez-vous du cas du Koweït, du Kenya, de l'Algérie et de l'Ethiopie, qui ont été exposés à des blâmes de la part des instances sportives internationales». Une réponse qui ne manque pas de provoquer un tollé dans l'assistance, et qui laisse présager des actions plus agressives au lendemain des assises. «Je préfère d'abord sensibiliser. J'en aurai l'occasion très prochainement, puisque des réunions sont programmées avec l'ensemble des fédérations», répond-elle. Un ton doux qui ne sera pas pour déplaire aux vieux mammouths. Formation Pourquoi ça bloque... Mis à part l'Institut Mohammed VI, aucun autre centre de formation spécialisé dans le sport n'existe au Maroc. En Europe par exemple, on trouve des centres de ce genre dans chaque région du pays. En plus des simples étudiants qui les fréquentent, les joueurs y trouvent eux aussi leur compte. En effet, des formations continues sont dispensées hors saisons de compétitions. Le joueur peut donc profiter d'une formation de qualification alors qu'il pratique encore sa discipline. «Le jour où il prend sa retraite, il est déjà opérationnel ailleurs », explique Aziz Bouderbala. Qu'en est-il par ailleurs de l'opportunité pour des privés d'investir dans des centres? «Il faut savoir qu'un tel projet requiert un foncier de pas moins de 5 hectares», nous informe cet ex-joueur de l'équipe nationale. En dehors des charges d'équipement, le local à lui seul mobilise une enveloppe financière de 10 MDH. Un investissement relativement lourd qui exige pour être rentable de pouvoir abriter des terrains consacrés à plusieurs disciplines. «Et là encore, le problème des formateurs qualifiés réapparaît comme facteur de blocage. Une sorte de cercle vicieux », ajoute-t-il. La nouvelle stratégie qui met en avant les partenariats publics privés pourra-t-elle y remédier ? Cette même stratégie met d'ailleurs comme condition à la réalisation de bons résultats dans les compétitions continentales, régionales et internationales, de disposer d'une formation judicieuse et de bonnes compétences en termes d'encadrement technique et administratif.