Si aujourd'hui le secteur du micro-crédit est arrivé à maturité, avec 1,4 million de dossiers traités et 98% de taux de remboursement, il n'en reste pas moins que des risques d'effondrement du système existent. L'apparition de comportements qu'on appelle «les mauvais réflexes» se font de plus en plus fréquents chez certains bénéficiaires, notamment avec la pratique des crédits croisés. «J'ai donné l'instruction de calmer le jeu en termes d'octroi de crédits de façon à ne pas avoir de crise de croissance», déclare d'emblée Tarik Sijilmassi, président de la Fédération nationale des associations de micro-crédits, et par ailleurs président de la fondation Ardi. «Nous avons également la même démarche, aujourd'hui, nous refusons des clients», renchérit Noureddine Ayouch, président de la fondation Zakoura. Le ton est donc donné. Après plusieurs années de croissance à deux chiffres, le secteur du micro-crédit souhaite, fermement toutefois, reprendre son souffle et faire le point. Ces déclarations sont intervenues dans le cadre d'une conférence de presse donnée suite à la tenue du premier conseil d'administration de la FNAM (Fédération Nationale des Associations de Micro-Crédit) sous la présidence de Tarik Sijilmassi. Un point presse qui sera désormais institutionnalisé, puisqu'il se tiendra tous les six mois pour rendre compte de l'activité de la FNAM ou de certaines associations en fonction de leur actualité. «Le micro-crédit au Maroc est à un tournant de son existence. Nous vivons aujourd'hui une stagnation voulue, une stagnation des emplois et de la clientèle», affirme M. Sijilmassi. L'âge de la maturité C'est en somme l'âge de la maturité. Seulement, vu les ambitions du secteur, le potentiel de croissance étant de 3 millions, voire 5 millions de personnes, les risques de dérives du système existent. D'abord, le micro-crédit fonctionne sans véritables règles prudentielles, que ce soit en matière de gouvernance ou d'endettement des associations. Certaines d'entre elles peuvent tomber alors dans le surendettement ou encore avoir une grande exposition sur un type de clientèle à risque. Du coup, l'initiative de Bank Al Maghrib relative au projet de règles prudentielles est tombée à pic. «Il y a quelques mois, BAM est venu vers nous avec des propositions concrètes de règles prudentielles. Nous avons fait des contre-propositions sur la base d'une étude d'impact de ces règles sur les associations: nous avons effectué quelques modifications afin que les règles en matière de provisions ne conduisent certaines associations à la faillite», explique le président de la FNAM. Par exemple, les déclassements inférieurs à 30 jours, notamment à 7 jours, ont été supprimés car en général, les associations ne disposent pas de système d'information qui permettent de détecter les défauts de paiement à 7 jours. Aujourd'hui, le projet de règles prudentielles relatives à la classification et au provisionnement des créances en souffrance a été validé dans son ensemble par les membres du conseil d'administration de la FNAM. Devant toutefois encore faire l'objet d'une directive de BAM, ce projet prévoit le déclassement, dans des conditions bien définies, des créances dont le remboursement n'a pas eu lieu à l'échéance. Globalement, les créances à 30 jours devraient être provisionnées à 25%, celles de plus de 30 jours à 50%, celles de plus de 90 jours à 75% et celles allant au-delà de 180 jours à 100%. Objectif: débloquer les 200 millions de DH Mais l'adoption de règles prudentielles n'est pas le seul impératif pour le secteur du micro-crédit. Lors de ce conseil d'administration, l'accent a été mis sur la nécessité de doter l'ensemble des associations d'un système d'information performant. Sauf que si les «bancaires» (association de micro-crédit adossées à des banques) et les grandes ont les moyens de mettre en place des systèmes d'information coûteux, les associations de taille plus modeste ne peuvent pas se le permettre. «C'est la raison pour laquelle nous souhaitons créer les conditions optimales pour débloquer les 200 millions de DH promis par le gouvernement suite à la signature de l'Accord cadre de Partenariat en décembre 2005», insiste Sijilmassi. Or l'une des conditions majeures à l'octroi de ce financement était de présenter un plan d'action national consolidé, regroupant les stratégies de développement de toutes les associations. «Nous allons tout mettre en œuvre pour remettre d'ici la fin de l'année ce plan d'action national», poursuit le nouveau président. Ceci tout en sachant que le premier objectif assigné à la FNAM, à savoir toucher un million de bénéficiaires des mécanismes de micro-crédit à l'horizon 2010, est atteint. Débloquer les 200 millions de DH permettra également aux «petites associations» de faire face à leurs besoins en fonds propres, notamment à leur renforcement. Tarik Sijilmassi tient d'ailleurs à préciser que les 200 millions ne seront ni distribués au prorata de la part de marché, ni partagés de manière égale entre les 13 associations existantes. Sans compter que les «petites» peuvent aussi solliciter désormais le Centre Mohammed VI de Soutien à la Micro-Finance Solidaire. Même si le montant des aides peut paraître une goutte d'eau dans la mer, au regard des 5 milliards de DH d'encours distribués, aujourd'hui, le challenge est de taille pour le secteur du micro-crédit: la bascule vers la professionnalisation de tous les acteurs du secteur est incontournable.La mise à niveau des systèmes d'information et l'adoption de règles prudentielles vont permettre aux associations de drainer davantage de fonds non seulement auprès du système bancaire marocain, mais également auprès d'organismes internationaux. La FNAM met les bouchées doubles pour atteindre cet objectif. «Nous allons mettre en place une centrale des risques pour identifier les mauvais clients, et éviter tous types de dérives du système», conclut Sijilmassi. Car contrairement au système bancaire, le micro-crédit ne dispose pas de garanties, et l'ambition de FNAM n'est rien de moins que de passer des 5 milliards de dirhams d'encours actuels à 15 milliards de DH. En somme, un vrai petit système bancaire ! Repère La petite histoire du micro-crédit Les antécédents du micro-crédit se trouvent dans la pratique de prêts sur gage à taux faibles ou nuls des Monts de Piété, dans les mutuelles de crédit agricole créées en Europe à la fin du XIXe siècle. Mais c'est dans les années 70 et 80 que le système est développé par l'économiste Muhammed Yunus, fondateur de la Grameen Bank, qui propose des prêts aux plus pauvres du Bangladesh afin de les aider à sortir de la misère. L'expérience s'exporte ensuite à travers le monde et notamment en Amérique Latine, Asie et Afrique. Au Maroc, le microcrédit voit le jour en 1993 via une ONG marocaine (AMSED, créatrice d'INMAA) qui accorda le premier prêt à une femme. Les années 90 et 2000 ont vu un développement considérable et une professionnalisation du secteur. Aujourd'hui, ce sont plus de 1.350.000 clients dont près de 64% de femmes qui en bénéficient. Depuis leur création, les associations de microcrédit ont octroyé près de 20 milliards de dirhams de prêts. Il est à noter que 4 associations marocaines sont classées dans le «Top 100» des classements mondiaux. (Source : FNAM) ◆