La fin d'un temps. Dans un rapport publié il y a deux ans, le Forum de Davos annonçait la démondialisation. Avant Trump, ce phénomène était en marche. Sauf qu'aujourd'hui, les signes sont plus patents. Ce nouveau contexte questionne les fondements de "l'économie au loin". Car, comme disait Braudel : « plus un pays est développé, plus son économie se prolonge en dehors de son marché ». Il y a dans l'air un parfum de fin de cycle. Pendant près de trois décennies, le grand projet économique de la mondialisation a été pensé, vendu et défendu comme le moteur naturel de la croissance, l'architecture d'un monde plus intégré, plus efficace, plus prospère. Pourtant, aujourd'hui, les lignes bougent. Ce qui était hier un consensus est devenu sujet à débat, et ce qu'on appelait « ouverture » est désormais analysé avec prudence. Pour la petite histoire, c'est vers les années 2010 que certains signaux faibles annonçaient déjà la fatigue d'un système à bout de souffle. La crise financière mondiale de 2008 avait sonné le glas de ce nouveau contexte économique. Mais ce sont les crises récentes – pandémie, guerre en Ukraine, tensions sino-américaines – qui ont accéléré le retournement. Dans un rapport publié il y a deux ans, le Forum de Davos osait enfin parler de « démondialisation ». Un mot tabou, désormais sur toutes les lèvres. Le capitalisme mondialisé a perdu sa boussole, et les certitudes de l'ancien monde s'effacent une à une. Lire aussi | Trump annonce des discussions « directes » avec l'Iran sur le nucléaire Dans ce contexte, l'ombre du protectionnisme devient de plus en plus réalité. Le nouveau protectionnisme, sous une forme plus aboutie, est juridique, maquillé en normes techniques, voire en doctrine. Il prend la forme d'un dumping dénoncé à grand bruit, ou d'un mécanisme carbone aux frontières mis en place au nom du climat. Pourtant, derrière ces outils se cachent souvent des stratégies de défense économique pures et dures. Car, lorsque les pays accusent leurs rivaux de dumping, ils brandissent en réalité un bouclier géopolitique autant qu'économique. « Je ne parlerais pas tant de "fin" de la mondialisation que de reconfiguration profonde. Ce que nous vivons, c'est une recomposition des interdépendances, marquée par une tension entre relocalisation stratégique, régionalisation des chaînes de valeur, et maintien d'une logique globale sur certains fronts, notamment le numérique, l'énergie et le climat », nous confie Loïc JAEGERT HUBER, Directeur Régional ENGIE North Africa. Et d'ajouter : « Dans le secteur de l'énergie, on le voit très concrètement : la souveraineté devient un mot-clé, mais elle ne peut s'envisager sans coopérations structurantes à l'échelle régionale et internationale. La transition énergétique n'a pas de frontières : la sécurité énergétique de l'Europe passe aussi par des partenariats solides avec l'Afrique. C'est ce que nous faisons, par exemple, avec l'OCP ou d'autres acteurs industriels marocains — des projets "conceived and made with Morocco", ancrés localement mais pensés globalement. » Protectionnisme, quelle logique économique ? Selon la « théorie économique néoclassique », le protectionnisme, en empêchant la libre circulation des biens, introduit des distorsions sur le marché. Les droits de douane, augmentant le prix des produits étrangers, la consommation se reporte sur des produits domestiques, qui sont ainsi protégés alors que leur production est moins efficace. De ce fait, les politiques commerciales protectionnistes sont considérées comme ayant un impact potentiellement négatif sur la croissance économique, le niveau de vie et le bien-être des ménages. Après cette mise en contexte, on peut se demander pourquoi les pays ont recours à cette pratique ? Dans les détails, les pays ont cependant recours à ce type de politique économique pour plusieurs raisons, la première étant la protection de l'économie domestique, notamment des industries naissantes. De plus, parce qu'elle permet soi-disant de protéger les industries nationales et donc l'emploi national. Il faut par ailleurs noter que la pensée des économistes reste catégorique sur ces externalités négatives sur l'économie. Lire aussi | Droits de douane: panique sur les marchés, Trump inflexible Dans une note, les économistes Amiti, Redding et Weinstein (2020) ont montré que la plupart du coût des droits de douane imposés par Donald Trump lors de la guerre commerciale US-Chine sur les importations de produits chinois a été reportée sur les entreprises et les ménages américains. Par ce biais, le recours à une politique commerciale protectionniste a bien plus d'impact sur l'économie que sur la seule réduction des importations des produits taxés. Alors, vers quoi allons-nous ? Vers un monde en blocs, en clubs fermés ? La démondialisation n'est peut-être pas brutale, mais elle est bien là. Le jeu commercial se complexifie, les règles changent. « Braudel avait sûrement raison : les économies matures ont toujours projeté leur puissance au-delà de leurs frontières. Le défi aujourd'hui, c'est de le faire dans un cadre plus juste, plus durable, et plus équilibré, en intégrant les enjeux de souveraineté, de résilience et d'inclusion », espère le patron d'ENGIE North Africa.