Un nouveau projet de loi organise (mieux) les rapports entre bailleurs et locataires. Les intérêts des uns et des autres sont renforcés. Mais le problème de l'exécution des jugements reste posé. La pratique de la location doit reprendre. Durant ces deux dernières décennies, le taux de familles locataires a baissé de 43% en 1982 à 35% en 1994 puis 29% en 2004. Par contre, le taux des propriétaires s'est quant à lui amélioré, passant de 41% à 56% aujourd'hui. Au vu de cette configuration et des pressions sur les prix qui flambent, les pouvoirs publics se fixent un nouveau challenge, celui de pousser les familles vers la location plutôt que de se focaliser sur l'acquisition seulement. La tension ne peut que baisser. Mais encore faut-il que là encore, les intéressés trouvent des loyers qui leur conviennent tant sur le plan des prix que sur celui des caractéristiques mêmes du logement. Selon Samir Benmakhlouf, directeur général de Century 21 Maroc, près de 18% des biens à Casablanca sont vides, ce qui représente environ 123.000 logements. Les propriétaires préfèrent les garder fermés plutôt que de les louer pour justement ne pas avoir à se tracasser avec des problèmes «d'expulsion». Pour les encourager donc, le ministère de l'Habitat a concocté un nouveau projet de loi qui fixe des engagements clairs que doivent honorer propriétaires et locataires. La nouveauté? L'avant-projet de loi oblige l'établissement d'un contrat de bail entre les deux parties. Dès lors où ce texte sera entré en vigueur, soit 3 mois à compter de sa date de publication au bulletin officiel, ses dispositions seront alors applicables aux nouveaux locataires. Le texte est cependant plus «clément » envers les anciens. Les baux antérieurs à cette loi demeureront en vigueur sauf si, à l'évidence, les deux parties conviennent de se mettre à jour et de se conformer aux nouvelles dispositions. La loi n'est donc pas obligatoirement rétroactive. S'il tel était le cas, certains bailleurs, qui louaient leurs biens sans contrat, se seraient trouvés contraints de payer des impôts, alors qu'auparavant, ils pouvaient y échapper. Ils auraient aussi pu avancer cet argument «fiscal» pour augmenter leurs loyers. D'autres en auraient profité pour spéculer. Que prévoit donc ce projet de loi ? Tout d'abord, ce projet de texte abroge les textes de loi devenus obsolètes, relatifs, entre autres, à la déclaration auprès de l'administration des locaux vacants, à la répression du refus de location, à la répression de la spéculation illicite sur les loyers. Il annule aussi des dispositions comme la réduction de la révision du loyer 3 mois après la conclusion du bail ou la révision de la procédure prévue dans le contentieux relatif au loyer. Les incitations ne sont pas suffisantes Il rassemble aussi un certain nombre de lois organisant les rapports entre bailleurs et locataires. Le projet de texte prévoit un certain nombre de dispositions. En voici quelques-unes. - Droits et obligations du bailleur et du locataire. Le bailleur doit établir avec le locataire un inventaire joint au contrat. «Les mentions du type bon état ou état moyen doivent être proscrites». Si le propriétaire ne réalise pas les réparations à sa charge dans un délai d'un mois, le locataire peut se faire autoriser par le tribunal d'effectuer lesdites réparations et de les retenir sur les loyers. Le locataire qui ne restitue pas les locaux selon les termes convenus doit une indemnité d'occupation au bailleur. Sur le plan du dépôt de garantie (en d'autres termes, la caution), le bailleur ne pourra demander plus de 2 mois de loyer. - Sous-location et cession de bail. Bien qu'elle soit interdite, la sous-location peut être autorisée dans le seul cas où elle est clairement stipulée dans le contrat. Des règles doivent cependant être respectées. Par exemple, si le prix de la sous-location ou de la cession est supérieur à celui de la location initiale, le bailleur a droit à une augmentation correspondante au loyer principal. Une brèche est aussi ouverte dans le projet de texte qui considère comme cession ou sous-location l'occupation des lieux par un tiers lorsqu'elle se poursuit plus de trois mois consécutifs. Cela insinuerait-il alors qu'en deçà de cette période, la sous-location est permise ? - Le congé. Dans le projet de texte, amené à être rectifié, le contrat de location parvenu à son terme est reconduit tacitement si le bailleur ne donne pas congé dans les conditions de forme et de délai prévus. - Recouvrement des loyers. Un bailleur peut demander au président du tribunal de première instance l'autorisation d'adresser une mise en demeure de paiement au locataire. Elle fixe au locataire un délai minimum de 15 jours pour s'acquitter des montants impayés. Il peut aussi demander au président du tribunal de première instance d'homologuer cette mise en demeure et d'ordonner le paiement. Le juge peut alors ordonner le paiement dans un délai de 48 heures à compter de la date d'enregistrement de la demande. L'ordonnance est exécutoire sur minute et n'est susceptible d'aucune voie de recours ordinaire ou extraordinaire. Si par contre, le juge refuse la demande, le bailleur pourra alors recouvrer ses loyers en procédant aux règles de droit commun. - Procédure. Le projet de loi précise que les décisions prises par le tribunal ne peuvent être assorties de l'exécution provisoire à l'exception de celles relatives à la mise en application des dispositions relatives à l'homologation de la mise en demeure et de l'ordre de paiement. «Elles ne sont pas susceptibles d'opposition, mais peuvent faire l'objet des autres voies de recours ordinaires ou extraordinaires dans les conditions de droit commun». Toutes ces mesures, et d'autres encore puisqu'elles ne sont pas exhaustives, ont été saluées par les opérateurs. Les dispositions prévues devront pousser les propriétaires à être moins réticents quant à la location de leurs biens. Elles cernent les relations entre bailleurs et locataires. Seul hic : l'exécution des procédures. Les professionnels craignent encore qu'elles continuent à être retardées. Un texte de loi seul ne suffit pas C'est un réel problème dans le segment «des résidentiels» mais surtout dans celui «des professionnels». «Sur ce plan, une grande partie des commerces sont loués. En refusant de les quitter, beaucoup de problèmes se créent. Cela engendre une flambée des prix qui deviennent prohibitifs. Sur l'avenue Massira Al-Khadra à Casablanca par exemple, les prix des commerces au m2 peuvent monter jusqu'à 50.000 voire 70.000 DH. C'est énorme», fait remarquer Benmakhlouf. De leur côté, des promoteurs immobiliers, qui viennent de recevoir une copie du projet de loi, estiment que la location ne pourra pas être boostée du seul fait qu'un texte de loi organise les relations entre bailleurs et locataires. «Toutes les incitations que l'on peut instaurer ne sauraient être suffisantes pour dynamiser ce marché», soutient l'un d'eux. Il est vrai que les pouvoirs publics ont déjà, il y a quelques années, instauré de nouvelles règles en matière d'accélération des procédures judiciaires par exemple. Mais le problème reste toujours soulevé sur le plan de l'exécution des jugements. «Les autorités locales doivent prendre leurs responsabilités», ajoute le promoteur, qui ne comprend pas pourquoi dans le cas précis d'expulsion des locataires, les procédures sont plus compliquées à mettre en place. «Lorsqu'une banque saisit un bien meuble parce que son client n'a pas réglé un nombre de traites, lorsqu'une société de crédit à la consommation saisit un véhicule parce que le client n'a pas payé ses traites, la procédure passe comme une lettre à la poste. Pourquoi n'est-ce pas le cas dans la location ?», s'interroge le promoteur. Ce volet est plus délicat à traiter. Les préoccupations sociales sont mises en avant. C'est dans ce cadre que la Fédération des promoteurs immobiliers avait suggéré de réfléchir au lancement sur le marché de deux types de contrats : l'un classique et l'autre prévoyant une clause d'exécution automatique de jugement. En d'autres termes, les opérateurs proposent que, dès le départ, bailleur et locataire s'accordent pour faire exécuter les jugements s'ils doivent avoir lieu. Même s'il tel est le cas, rien ne dit que les exécutions pourront se faire rapidement. Faudra-t-il alors user de la «force» pour réussir à faire expulser un locataire récalcitrant? La mission n'est pas de tout repos. ◆