C'était en marge de la grand-messe du Gitex que Safia Faraj a été nommée Directrice Générale d'Atos Afrique. Dans cette première interview exclusive accordée à Challenge.ma, elle met en perspective les grands défis du numérique à l'aune de la stratégie Maroc Digital 2030. Vous avez été nommée à la tête d'Atos Afrique à un moment où le continent, et tout particulièrement le Maroc, connaît un développement majeur en matière de transformation digitale. Comment comptez-vous accompagner cette dynamique ? Comme vous le savez, Atos est présent en Afrique depuis plus de 60 ans et au Maroc depuis 2003. Notre entreprise a accompagné les changements majeurs intervenus en matière d'économie numérique dans le pays et plus généralement sur notre continent. Tout d'abord, la stratégie d'Atos au Maroc consiste à continuer de mettre à disposition de ses clients, qu'ils soient des organisations publiques ou privées, le savoir-faire historique d'Atos et sa technologie de pointe pour moderniser et accélérer la digitalisation des organisations. En outre, j'attache un intérêt particulier à fédérer et à renforcer durablement un écosystème numérique au Maroc. C'est un axe important pour accompagner le dynamisme que connaît actuellement notre pays. Pour ce faire, nous avons choisi de privilégier la formation et le recrutement de talents marocains. Vous l'aurez donc compris, le recrutement, la formation et le développement des compétences locales seront au cœur de ma mission. La transformation digitale ne peut se réaliser sans talents qualifiés. Nous mettrons en place des programmes de formation intensifs en collaboration avec les universités et les institutions éducatives locales pour développer les compétences en technologies de l'information et en gestion des données. Je suis profondément convaincue du rôle crucial que joue la transformation digitale dans le développement économique et social de notre pays. La transformation numérique pourrait changer la donne pour le Maroc. Chez Atos, nous croyons fermement qu'elle représente une occasion de dynamiser la croissance économique et l'industrialisation, de réduire la pauvreté et d'améliorer la vie des populations. C'est la raison pour laquelle l'Agenda 2063 de l'Union africaine souligne l'importance du recours aux technologies et services numériques pour améliorer les indicateurs socio-économiques. Lire aussi | Secteur IT. Les développeurs, data scientists et ingénieurs en cybersécurité très demandés en 2024 Les experts du secteur de l'économie numérique convergent tous sur le fait que la formation est le catalyseur de toutes politiques de transition numérique. Quel regard portez-vous sur ce chantier ? Je partage pleinement l'avis des experts du secteur de l'économie numérique : la formation est effectivement le catalyseur essentiel pour réussir toute politique de transition numérique. Chez Atos, nous avons compris très tôt que la formation joue un rôle central dans le développement des compétences nécessaires pour naviguer et exceller dans un environnement numérique en constante évolution. Pour réussir la transition numérique en Afrique, il est impératif de développer des compétences locales grâce à des programmes de formation adaptés aux besoins spécifiques du marché africain. Chez Atos, nous investissons dans des partenariats avec des institutions éducatives locales et internationales pour offrir des formations couvrant les technologies émergentes, la cybersécurité, l'analyse de données, et bien d'autres domaines cruciaux. La formation doit être accessible à tous, y compris aux populations rurales et défavorisées. Dans ce contexte, la collaboration entre le secteur public et privé est essentielle. Nous encourageons les gouvernements à investir dans l'éducation numérique et à créer des cadres réglementaires favorables. De notre côté, nous mettons à disposition notre expertise et nos ressources pour soutenir ces initiatives. Les partenariats public-privé peuvent accélérer le développement des infrastructures nécessaires et assurer une formation de qualité. Chez Atos, près de 60 % de nos recrutements concernent des postes de premier échelon. Nous mettons l'accent sur la promotion des employés juniors et leur offrons une formation continue tout au long de leur carrière. En 2022, parmi les 290 collaborateurs recrutés en Afrique, plus de 80 % étaient des jeunes. Cela démontre notre engagement à investir dans la jeunesse africaine et à leur offrir des opportunités de développement professionnel. La transition numérique est une opportunité unique pour l'Afrique de se positionner comme un acteur majeur dans l'économie mondiale. Cependant, cela ne sera possible que si nous investissons massivement dans la formation et le développement des compétences. Chez Atos, nous nous engageons à jouer un rôle clé dans ce processus, en collaborant avec toutes les parties prenantes pour construire un avenir numérique inclusif et prospère pour le continent africain. Lire aussi | Au Maroc, le dilemme de la taxation des GAFAM Le gouvernement marocain a annoncé en novembre dernier la formation de 22 500 talents numériques par an d'ici 2027. Ce chantier est-il atteignable ? Je crois fermement que cet objectif est atteignable, mais il nécessite une approche concertée et une mobilisation de tous les acteurs concernés. Tout d'abord, le Maroc dispose déjà d'une base solide en termes d'infrastructures éducatives et de formation. Plusieurs universités et écoles d'ingénieurs ont réalisé des avancées significatives dans l'enseignement des compétences numériques. En parallèle, le secteur privé, y compris des entreprises comme Atos, est activement impliqué dans la formation continue et le perfectionnement des compétences en interne. Il est par ailleurs essentiel de renforcer les partenariats entre le secteur public, le secteur privé et les institutions académiques. Chez Atos, nous avons mis en place plusieurs initiatives de collaboration avec des universités marocaines pour adapter les programmes de formation aux besoins réels du marché du travail et pour offrir des stages et des opportunités de mentorat, c'est le cas par exemple avec l'Université Mohammed VI (UM6P). Aussi, pour atteindre cet objectif ambitieux, nous devons être attentifs à l'inclusion et à l'égalité des chances. Nous devons nous assurer que les formations sont accessibles à tous, y compris dans les régions les plus éloignées et pour les populations les plus vulnérables. Je suis convaincue qu'avec une stratégie bien définie et une collaboration étroite entre toutes les parties prenantes, le Maroc peut atteindre l'objectif de former 22 500 talents numériques à l'horizon 2027. Chez Atos, nous sommes prêts à jouer notre rôle dans cette dynamique en soutenant les initiatives de formation et en offrant des opportunités concrètes de développement des compétences numériques. Quels sont les atouts de l'Afrique sur lesquels Atos s'appuie ? Je suis souvent interrogée sur les atouts sur lesquels notre entreprise s'appuie pour se développer en Afrique. Sans aucun doute, le plus grand atout de l'Afrique pour son rayonnement économique et social reste sa population. Pour Atos, le continent représente un vivier de talents qu'il est crucial de former aux nouveaux métiers du numérique. L'Afrique est un continent jeune et continuera de l'être dans les années à venir. En 2050, plus de la moitié de la population africaine aura moins de 25 ans, ce qui constitue une opportunité unique pour développer une main-d'œuvre qualifiée et innovante. Toutefois, l'Afrique, comme le reste du monde, souffre d'un déficit d'ingénieurs. Le continent doit former des centaines de milliers de personnes chaque année pour combler ce manque. En 2019, le continent comptait près de 55 000 ingénieurs contre environ 4,3 millions demandés sur le marché du travail. Nous observons également que certains Etats en Afrique comme le Maroc se saisissent des enjeux du numérique et font preuve d'un volontarisme politique fort, ce qui est un signal extrêmement positif pour les entreprises comme la nôtre. Lire aussi | Avec 7 autres pays, l'APEBI lance la Fédération africaine des entreprises du numérique Quels sont les grands projets d'Atos au Maroc et plus largement sur le continent africain ? Atos mène plusieurs projets d'envergure au Maroc et plus largement sur le continent africain, visant à soutenir divers secteurs grâce à notre expertise en solutions numériques. Au Maroc, Atos accompagne depuis plusieurs années les opérateurs télécoms dans la maintenance et la modernisation de leurs systèmes de gestion commerciale ainsi que dans la digitalisation des parcours clients. Atos est également très présent dans le secteur bancaire sur des sujets de cloud hybride, de paiement, ou encore de gestion de la data. À titre d'exemple, Atos a travaillé l'an dernier avec le GSIMT au Maroc pour mettre en place les virements instantanés dans le pays. Nous travaillons aujourd'hui également avec les ministères sur des projets digitaux critiques pour le pays. Atos a la particularité de mener à partir du Maroc des projets également pour l'Europe ou l'Afrique : nous opérons pour La Poste en France des services informatiques cruciaux dans le cadre du programme DiversIT. Cela inclut la gestion de l'usine numérique ainsi que la maintenance des applications patrimoniales. Nous collaborons également avec de grandes compagnies d'assurance, en leur offrant des services de maintenance évolutive, le développement de projets informatiques dans divers domaines d'applications commerciales, et un support de niveau 3. En Afrique, Atos s'engage dans plusieurs initiatives stratégiques à travers le continent. Par exemple, nous avons collaboré avec l'Agence Togolaise d'Identification au Togo pour créer un système national d'identité biométrique. Ce projet repose sur des technologies de pointe telles que la reconnaissance de l'iris, du visage et des empreintes digitales. Il a permis d'attribuer à chaque citoyen une identité numérique unique, garantissant ainsi à tous l'accès à leurs droits grâce à cette identification sécurisée et fiable. Quelles stratégies spécifiques pensez-vous que le Maroc pourrait adopter pour renforcer sa souveraineté en matière d'innovation et de technologie ? Le Maroc a une grande ambition en matière d'innovation et de technologie, et les chiffres le prouvent. Nous voyons déjà un mouvement positif et une détermination claire du pays à devenir un leader régional dans ce domaine. Chez Atos, nous sommes prêts à accompagner cette dynamique impulsée par le gouvernement. Le Maroc a déjà fait des progrès remarquables en termes d'innovation. D'après le rapport 2023 de l'Indice mondial de l'innovation (GII) émis par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), le Maroc se place au 70e rang sur 132 économies évaluées en termes de capacité et de performance en innovation. Cela en fait le 8ème pays le plus innovant parmi les 37 économies à revenu intermédiaire inférieur et le 11ème sur les 18 économies d'Afrique du Nord et d'Asie occidentale. Le pays a développé des infrastructures technologiques de pointe, telles que l'incubateur Technopark à Casablanca. L'expansion de ce type d'infrastructures et la création de nouveaux hubs technologiques régionaux permettront d'attirer davantage de startups et d'entreprises technologiques internationales et favoriseront progressivement le positionnement du Maroc comme un carrefour technologique en Afrique. Nous constatons également que Les Universités Marocains ont démarré ces dernières années des programmes de recherche et de développement ambitieux en intelligence artificielle et en Cybersécurités par exemple, qui vont certainement donner leur fruit. Les toutes récentes annonces du GITEX 2024 relatives au développement de nouveaux services Cloud au Maroc sont positives pour le développement de l'innovation. Le soutien à l'entrepreneuriat est un autre pilier de la stratégie marocaine. Le programme Digital Morocco 2030, impulsé par Ghita Mezzour, ministre déléguée chargée de la transition numérique et de la réforme de l'administration, ambitionne d'accompagner la digitalisation des services publics et de dynamiser l'économie numérique via la création de 3000 000 emplois à l'horizon 2030. En simplifiant les démarches administratives des citoyens marocains, en augmentant les fonds dédiés aux startups technologiques et en facilitant l'accès au capital-risque, le Maroc poursuit les efforts nécessaires pour booster son écosystème entrepreneurial. Chez Atos, nous encourageons vivement ces initiatives en soutenant d'une part, les jeunes entrepreneurs à travers des incubateurs et des accélérateurs et, d'autre part, en accompagnant le gouvernement marocain dans sa digitalisation, comme nous l'avons fait pour le compte du ministère de l'Intérieur. En somme, nous sommes très fiers de contribuer au succès du Maroc de demain.