A l'heure où le débat sur le nucléaire polarise l'opinion en Europe, le Maroc voit le nucléaire comme une alternative énergétique dans le chantier du dessalement. Depuis le 17e siècle avec la création de la machine à vapeur, l'énergie a toujours joué un rôle clé dans l'histoire de l'économie mondiale. L'historien français Braudel, dans son livre La dynamique du capitalisme, a démontré comment grâce à l'énergie, l'industrie a été transformée et même la mobilité des marchandises, notamment avec le commerce international. Aujourd'hui, dans ce siècle des économies-monde, des grands marchés internationaux et de la mondialisation heureuse, «l'énergie est indispensable à l'instauration d'une croissance économique durable et à l'amélioration du bien-être des populations», constate l'agence internationale de l'énergie atomique. «Le nucléaire ouvre la voie à une énergie propre, fiable et d'un coût abordable, qui contribue à l'atténuation des effets négatifs des changements climatiques. Il représente déjà une part considérable du bouquet énergétique mondial et son utilisation devrait augmenter dans les décennies à venir». Aujourd'hui face aux défis écologiques, l'énergie nucléaire se présente comme une alternative idoine. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Ghana, la Corée du Sud, les Emirats Arabes Unis... Vingt-deux pays se sont engagés à tripler les capacités de production nucléaire d'ici à 2050, samedi 2 décembre, dans le cadre de la COP 28. "Ces Etats jugent central le renouveau de ce type d'énergie pour atteindre la neutralité carbone. Ils estiment cette source propre, sûre et fiable, en complément du renouvelable." Lire aussi | Les détenteurs de chèques sans provision amnistiés Au Maroc, l'heure aussi est également à la réflexion sur cette question. La déclaration récente du patron de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) renforce cette idée. Selon ce dernier, « Une douzaine de pays devraient commencer à produire de l'électricité à partir de sources nucléaires dans les prochaines années», citant, outre le Maroc, le Ghana, le Kenya, le Nigeria, la Namibie, les Philippines, le Kazakhstan ou encore l'Ouzbékistan. Il faut d'ailleurs rappeler que les ambitions du Maroc dans le domaine du nucléaire civil ne sont pas nouvelles. «Le Maroc accorde une attention particulière aux petits réacteurs modulaires (PRM) du fait de leurs nombreux avantages, notamment leur adaptabilité, qui facilite l'intégration», avait déclaré en septembre Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, dans une déclaration adressée au forum scientifique de l'AIEA. Une solution pour l'eau ? L'eau devient de plus en plus rare dans de nombreuses parties du monde. Le problème de la pénurie d'eau, chronique dans certaines régions du monde, notamment celui du Maroc, se pose avec une acuité. Avec la rareté de la ressource hydrique, dans de nombreuses grandes villes, la seule solution pour éviter de transporter sur de longues distances l'eau provenant des sources naturelles est d'avoir recours au dessalement de l'eau de mer. A l'heure actuelle, le dessalement constitue le seul moyen rentable d'obtenir de l'eau en dehors des sources classiques, et c'est la seule technique qui puisse être appliquée à l'échelle industrielle. Selon l'AIEA, évidemment un apport marginal à l'approvisionnement par les moyens classiques. Pendant les dix dernières années, la capacité de dessalement a augmenté de 18% par an et il est presque certain que ce taux de croissance sera beaucoup plus élevé au cours des prochaines années. Alors même si la technologie du dessalement est une alternative au stress hydrique, la question du coût de l'énergie est un défi. Et aujourd'hui, la source d'énergie nucléaire semble être une alternative. Notons que L'Agence internationale de l'énergie atomique étudie les possibilités du dessalement nucléaire depuis les années 1960. Plusieurs Etats Membres de l'Agence se sont intéressés au dessalement nucléaire. C'est le cas aujourd'hui du Maroc qui semble voir dans ce procédé une piste intéressante pour le développement de son écosystème de station de dessalement. Le protocole d'accord entre l'entreprise marocaine Water and Energy Solutions et Rosatom dans le domaine du dessalement est un fait éloquent qui étaye les ambitions du Maroc dans ce chantier. Lire aussi | L'aventure marocaine du français Betom Ingénierie prend fin prématurément Contacté par Challenge, l'Expert en énergie Amine Bennouna, nous explique que «si le Maroc se dote d'une centrale nucléaire, chaque réacteur nucléaire conventionnel aura une puissance voisine de 1'000 MW qui, avec 6'600 GWh permettrait d'alimenter 8 stations comme celle de Casablanca, ce qui est trop pour le Maroc d'aujourd'hui quel que soit le prix du kWh, les «petits réacteurs modulaires» (SMR) qui permettraient d'assurer une puissance de 122 MW n'existent encore qu'au stade expérimental, ont des déboires (voir NuScale Power) et il n'y a encore aucune information fiable sur le coût de l'électricité qui serait produite». «Aujourd'hui, lorsqu'on écoute le discours de la France sur la solution du nucléaire, on voit juste la logique de vente et de construction de centrale nucléaire». De son côté, l'Expert en durabilité, Omar Benaicha, nous confirme que le «Maroc a des ambitions dans le domaine du nucléaire énergétique». Cependant, pour lui, cette technologie a des coûts énormes. «Ceci étant, il faut reconnaître que l'énergie nucléaire est un bon moyen pour réduire le coût du dessalement et avoir évidemment un dessalement propre. En termes de timing, je ne pense pas que cette ambition est pour aujourd'hui puisque la priorité qui est affichée au plus haut sommet de l'Etat c'est d'avoir une offre de l'hydrogène vert». Projet central : quelle approche ? Dans les projets de développement d'infrastructure nucléaire civile, l'AIEA préconise l'approche par étape. Il s'agit d'une méthode globale et progressive visant à aider les pays qui envisagent ou planifient d'acquérir leur première centrale nucléaire. L'expérience suggère qu'il s'écoule environ 10 à 15 ans entre l'examen initial de l'option nucléaire par un pays et l'exploitation de sa première centrale nucléaire. L'objectif est d'aider les Etats membres à comprendre les engagements et les obligations associés au développement d'un programme électronucléaire. Les pays qui disposent déjà de l'énergie nucléaire peuvent évaluer leur état de préparation à une expansion. L'approche par étapes divise les activités nécessaires à la mise en place de l'infrastructure d'un programme électronucléaire en trois phases progressives de développement, la durée de chacune dépendant du degré d'engagement et des ressources mises en œuvre dans le pays. L'achèvement de chaque phase est marqué par un «jalon» spécifique au cours duquel les progrès peuvent être évalués et une décision peut être prise quant à l'état de préparation pour passer à la phase suivante. Les trois phases du développement de l'infrastructure nécessaire au soutien d'un programme électronucléaire sont les suivantes : Phase 1 : Considérations avant de prendre la décision de lancer un programme électronucléaire ; une étude de préfaisabilité aidera un pays à établir une position nationale forte et à répondre à la question clé : pourquoi le nucléaire ? Ce processus commence au début de la phase 1, après que l'énergie nucléaire soit incluse comme option dans la stratégie énergétique. Phase 2 : Travaux préparatoires à la passation des marchés et à la construction d'une centrale nucléaire après prise d'une décision politique ; au cours de cette phase, les organisations clés ainsi que les cadres juridiques et réglementaires sont établis. Phase 3 : Les activités visant à contracter, autoriser et construire la première centrale nucléaire sont entreprises.