La première boussole des réformes fiscales devraient être l'article 39 de la Constitution. La loi organique portant réforme du système fiscal, adoptée en 2021, tout en s'inspirant des recommandations des 3èmes assises nationales sur la fiscalité, s'inscrit dans l'esprit et la lettre de cet article de la loi fondamentale du Royaume, qui consacre les principes d'équité fiscale et de légalité de l'impôt. Certes, ces principes, fondateurs des expériences démocratiques dans le monde, ne représentent pas des valeurs absolues. Leur mise en œuvre s'effectue dans une réalité constamment dynamique où les intérêts sont divergents, voire contradictoires, et donc conflictuels. Cependant, les lois de finances devraient exprimer une tendance permanente de déclinaison de ces deux principes qui, en fait, forment la substance première du contrat social. Lire aussi | Exportation des produits d'artisanat. Elimination imminente des formalités administratives physiques Les mesures fiscales contenues dans les lois de finances (LF) adoptées depuis 2022 s'inscrivent-elles dans cette optique ? Difficile de trancher. La LF-2023 a été dédiée principalement à l'IS, donc à l'entreprise/au capital. Elle a prévu une réduction progressive des taux d'imposition sur les bénéfices, pour, en principe, contribuer à l'émergence d'un environnement plus favorable à l'investissement. Néanmoins, les marocains, en général, connaissent bien « le caroubier de leur pays » et sont conscients des vrais obstacles à l'investissement qui sont de nature structurelle, avec, en premier lieu, l'économie de rente. Le PLF-2024 consacre la plupart des mesures fiscales à la TVA. L'objectif officiellement affiché est de renforcer la « neutralité économique » de la TVA, en réduisant au maximum les situations de butoir, pour que cette taxe soit supportée uniquement par le consommateur final et ne grève plus les capacités financières des entreprises. Ce n'est pas uniquement une question technique. Comment concilier l'efficacité de cet impôt indirect sur la consommation finale, première source de financement de l'Etat et des collectivités territoriales (CT), avec le principe d'équité fiscale ? Le défi de l' « Etat social » se résume là. Il ne peut y avoir d'« Etat social » sans équité fiscale, laquelle est inséparable du principe de légalité de l'impôt, c'est-à-dire du consentement à l'impôt. Cela veut dire que l'acteur principal, qui devrait avoir le dernier mot, est l'institution parlementaire lorsqu'elle représente réellement la volonté des citoyens. Le PLF-2024 prévoit, en matière de TVA, la suppression graduelle des taux réduits de 7% et de 14%, et leur remplacement, respectivement par le taux de 10% et de 20%. Cette hausse concerne particulièrement des produits et services de base de large consommation inélastique. Cela doit forcément se traduire par une hausse des prix, s'ajoutant ainsi à la tendance inflationniste qui dure depuis 2 ans, et qui a déjà profondément érodé le pouvoir d'achat des citoyens. Lire aussi | Aide directe au logement. Le « OK » du gouvernement au projet de décret qui verrouille l'octroi des aides Les « grands oubliés » de cette réforme fiscale sont, bien sûr, les salariés, dont l'IR est prélevé à la source, sur la base d'un barème vieux de 14 ans. Et pour ne pas rester dans les mots, tentons une comparaison du principe constitutionnel d'équité avec des chiffres : les recettes fiscales prévues pour l'année 2024 s'élèvent globalement à 280,39 MMDH. Dans ce montant, les impôts indirects (y compris les droits de douane et les droits d'enregistrement et de timbre, définis universellement comme impôts indirects), dont le montant global est de 163,31 MMDH, représentent 58,24%. D'après ces chiffres, le PLF-2024 n'est conforme ni à la lettre ni à l'esprit de la Constitution. Le principal défi à relever est d'assurer une croissance durable des ressources propres de l'Etat et des CT, pour pouvoir assurer la continuité de la mise en œuvre des grands chantiers stratégiques et éviter le recours excessif à l'endettement, tout en s'inscrivant dans l'objectif de l'équité fiscale, noyau dur du contrat social et de l'Etat social.