Les troubles au Moyen-Orient risquent de replonger l'économie mondiale dans une impasse. Après le Covid et la guerre en Ukraine, un nouveau coup de frein est-il à redouter ? Décryptage. C'était lors de la grand-messe financière tenue à Marrakech devant le gotha de l'élite mondiale, que la Directrice du FMI Kristina Georgevia a exprimé à demi- mot le fait que les différentes économies mondiales risquent d'être exposées à des ondes de choc découlant du conflit au Moyen Orient. « Un nouveau nuage dans un horizon déjà peu ensoleillé pour l'économie mondiale », laissait entendre la Patronne du FMI. En clair, l'embrasement de la région où est concentrée 40 % de la production du pétrole pourrait très vite faire flamber le cours du brut et ainsi anéantir le recul encore fragile de l'inflation. Ces deux grands chocs pour l'économie mondiale qu'ont été la pandémie puis la crise énergétique engendrée par la guerre de la Russie contre l'Ukraine, ont réveillé l'inflation à des niveaux jamais atteints auparavant. Une flambée des prix que les anciennes générations n'ont jamais connue, et pour cause, le dernier épisode de très forte inflation qu'a connu le monde a été déclenché il y a tout juste cinquante ans. Les 16 et 17 octobre 1973, les pays arabes producteurs de pétrole décrètent une hausse des prix du pétrole, pour des raisons géopolitiques. Ce fut la guerre du Kippour qui entraîna donc ces externalités économiques des pays membres de l'Opep. Le prix du pétrole atteint rapidement un niveau stratosphérique. Il quintuple en l'espace de trois mois. Lire aussi | Chômage : le HCP présente des indicateurs alarmants, voici les 10 points clés Même si un pays comme l'Iran a appelé à cette mesure, les pays de l'Opep demeurent cependant inaudibles à cet appel. Dans une note, les économistes de Bloomberg préviennent sur les risques d'une forte récession. «Un choc pétrolier de cette ampleur ferait échouer les efforts déployés pour maîtriser [la hausse des prix». Les économistes imaginent ainsi l'inflation mondiale remonter à 6,7 % l'année prochaine. Bloomberg Economics estime que les prix du pétrole pourraient grimper jusqu'à 150 dollars le baril et que la croissance mondiale chuterait à 1,7 %, une récession qui enlèverait environ 1 000 milliards de dollars à la production mondiale. « La guerre au Proche-Orient est une tragédie humaine, qui affecte les populations civiles et plus largement la stabilité et le développement économique du Moyen-Orient. À ce jour, le bilan des morts ne cesse de s'alourdir et l'impact économique de la guerre commence à se faire ressentir. L'état d'urgence nationale instauré en Israël d'une part et le siège de la bande de Gaza dans le cadre de l'Opération « Déluge d'Al-Aqsa », se traduisent dans le champ macro et microéconomique par un arrêt net des activités de production à l'échelle locale (pénuries de main-d'œuvre, fermetures des entreprises, des écoles, des commerces) », nous confie Yasmina Asrarguis, Chercheure-spécialiste des Accords d'Abraham. Et d'ajouter : « Côté Israélien, le shekel, monnaie nationale, est à son niveau le plus bas depuis près de sept ans puisque celui-ci a perdu 2% depuis le 7 octobre. Le Gouverneur de la Banque d'Israël a du reste annoncé un plan de vente de 30 milliards de devises afin de contrôler le taux de change et fournir suffisamment de liquidités aux marchés. Cette mesure est loin de ralentir la montée en flèche des coûts de l'assurance contre un éventuel défaut de paiement d'Israël (credit default swap ou CDS). Lire aussi | Guerre Hamas/Israël. Risques de remise en question des Accords d'Abraham Côté Palestinien, les 2.23 millions d'habitants de la Bande de Gaza connaissent depuis le COVID une détérioration structurelle sans précédent de leur économie et l'un des taux de chômage les plus élevés au monde. Selon la Banque Mondiale, le taux de pauvreté dépasserait 35,6% et la situation humanitaire actuelle devrait accentuer la détresse des populations (restrictions d'eau, de gaz et d'électricité). La destruction des infrastructures et le coût matériel de la guerre renforceront la dépendance de Gaza à l'aide humanitaire internationale ; à noter qu'avant la guerre Israël-Hamas d'octobre 2023, celle-ci concernait déjà 80% de la population. Dans le cadre d'un scénario du pire, à savoir une escalade sans précédent et un affrontement direct entre l'Iran et Israël, Bloomberg prévoit une augmentation des prix du pétrole à 150 dollars le baril et une récession qui verrait le PIB mondial décroitre de 1,7%. » Quel Impact au-delà des lignes ? «Il est important de rappeler la temporalité dans laquelle nous nous trouvons actuellement et le caractère sensible du sujet. Nous sommes à ce jour dans un temps de guerre et d'escalade, le deuxième temps devra absolument être celui du retour au calme que chacun appelle de ses vœux. Le troisième temps sera celui du bilan et de la reconduite des négociations de paix. Dans le contexte actuel, les partenaires économiques israéliens du Maroc ont été appelés à restreindre leur déplacement dans les pays arabes, les Chambres de commerce bilatérales annulent leurs visites et les grandes conférences économiques sectorielles sont également ajournées. Les entrepreneurs et chefs d'entreprise marocains qui commençaient tout juste à bénéficier des savoir-faire et des capacités technologiques israéliens sont aujourd'hui précautionneux, sans pour autant mettre un terme à leurs ambitions de partenariat à long terme », nous confie l'expert du Moyen Orient. Abordant la question des accords d'Abraham, Asarguis déclare : « Nous assistons au plus grand défi que les Accords d'Abraham ont à relever depuis leur signature. L'action du Hamas avait principalement pour but d'empêcher la signature de la paix entre l'Arabie Saoudite et Israël et l'avancée des négociations israélo-palestiennes dans le cadre du Forum du Neguev pour lequel le Maroc venait tout juste d'obtenir l'intégration d'une délégation officielle palestinienne. Il n'empêche qu'à ce jour, l'Arabie Saoudite par la voix du Prince Faisal Al Turki a condamné les attaques terroristes du Hamas et appelle à la libération des otages israéliens ». Et de poursuivre : «À ce stade, la sortie des accords d'Abraham pour l'ensemble des signataires ne me paraît ni envisageable ni hypothétique pour une raison claire: la reconnaissance d'exister de l'Etat d'Israël a déjà été accordée par l'OLP en 1993 lors des Accords d'Oslo et les pays des Accords d'Abraham n'ont rien fait de plus qu'emboiter le pas de Yasser Arafat. En revanche, la véritable question est celle de la coopération continue et visible dans les domaines industriels, militaires, technologiques et économiques. En la matière, au Maroc nous passons en ce moment d'une paix dite « chaude » à une paix « froide ». À savoir, la coopération commerciale dans le cadre des Accords d'Abraham décélère sans qu'il y ait une véritable rupture des Accords. On peut ainsi considérer que les pays signataires des Accords d'Abraham s'alignent sur la position historique qui fut celle de l'Egypte et de la Jordanie, autrement dit reconnaître Israël sur le plan du droit, mais condamner toute escalade du gouvernement israélien en temps de guerre.» De son côté, l'expert en géopolitique Anas Abdoun, revient sur la question de la diplomatie économique marocaine. « La diplomatie économique du Maroc s'articule principalement autour de trois régions clés, à savoir l'Afrique, l'Europe et l'Asie. Son objectif est de soutenir les entreprises marocaines dans leur expansion en Afrique, de promouvoir les opportunités de relocalisation pour les industries européennes au Maroc, et de favoriser l'augmentation des investissements directs en provenance de la Chine. Lire aussi | Extraction de combustibles fossiles. 21 « bombes carbones » font tâche d'huile sur le continent Bien que les intérêts économiques du Maroc au Moyen-Orient demeurent modestes, l'accent est principalement mis sur les investisseurs des pays du Golfe, qui jouent un rôle essentiel dans le développement économique du royaume. En ce qui concerne Israël, bien que le pays ait représenté moins de 1 % des investissements directs étrangers au Maroc au cours des trois dernières années, le volume des échanges entre le Maroc et Israël reste relativement modeste, se chiffrant à environ 150 millions de dollars, ce qui est insignifiant dans le contexte global. Un risque majeur réside dans une possible escalade du conflit, en particulier avec le Hezbollah dans le sud du Liban, ce qui pourrait entraîner une hausse considérable des prix du pétrole et, par conséquent, exercer une pression négative sur notre balance commerciale». Et d'ajouter : «Quant à l'impact de ce conflit sur les accords d'Abraham, la question cruciale est de savoir s'il est nécessaire de choisir entre les intérêts économiques et la confrontation. Il devient de plus en plus difficile de mettre en évidence les retombées positives des accords d'Abraham, surtout au vu de la situation actuelle à Gaza, qui s'apparente à un véritable génocide selon la définition même du droit international. Les pays signataires doivent maintenant évaluer la pertinence de maintenir ces accords, comme en témoigne le récent recul de l'Arabie saoudite sur une possible normalisation. Quelle que soit la décision concernant la poursuite ou l'arrêt de la normalisation, il est crucial d'examiner toutes les options possibles, de déployer des instruments juridiques, diplomatiques et politiques pour exercer une pression sans nécessairement aboutir à une confrontation directe. Il est primordial de reconnaître que les pertes de vies humaines, notamment civiles, ne peuvent rester sans conséquences».