Sur le chemin des législatives du 7 septembre 2007, Les partis politiques sont subitement devenus des champions de la croissance économique. Plus optimiste que les concepteurs des programmes économiques des partis politiques, tu meurs. En effet, tous les arguments sont bons pour flatter leur programme économique. Ils prévoient pratiquement tous des taux de croissance compris entre 6 et 8 %. Et pourtant, c'est sûrement l'une des données macroéconomiques les plus insaisissables. «Le débat sur la croissance économique s'est déplacé. Les partis politiques ne cherchent plus à comprendre ce qui s'est passé mais ce qui permettrait d'atteindre le potentiel de croissance», ironise un économiste. La prudence du PPS Dans cet exercice délicat, seul le PPS (Parti du progrès et du socialisme) semble éviter volontairement d'avancer un quelconque chiffre dans ce sens. «Il faut d'abord dominer tous les paramètres pour y arriver. Ce qui est loin d'être le cas pour tous ceux qui se sont aventurés dans cet exercice. C'est plutôt un abus de confiance», souligne Moulay Ismaïl Alaoui, Secrétaire général du PPS. USFP : un argumentaire d'homme de terrain Pourtant, du côté de l'USFP, on crie sur tous les toits que son programme est fondé sur la connaissance du terrain. «Si vous comparez l'ossature de nos derniers programmes, ceux de 1993, 1997 et 2002, vous allez remarquer que progressivement, leur contenu a gagné en précisions conceptuelles et en indications chiffrées. Cette année, tout le monde a remarqué l'effort de chiffrage effectué par l'USFP mais aussi par les autres partis de la Koutla. Ce n'est pas une innovation de façade, c'est la conséquence de la participation à la gestion de la chose publique», souligne Fathallah Oualalou, membre du bureau politique de l'USFP et ministre des Finances et de la Privatisation. Quoi qu'il en soit, l'USFP, qui s'engage à doubler le PIB par habitant sur les dix prochaines années, prévoit une croissance de 7 % entre 2008 et 2012. «Il faut tenir compte des progrès réalisés ces dix dernières années. En effet, le rythme moyen de croissance du PIB se situe désormais à un niveau supérieur à 5 %. Plus important encore, le PIB non agricole a franchi un palier plus important, plus soutenu et régulier de croissance de quelque 5,4 %. C'est autour de cette base que l'on a nourri l'ambition d'améliorer notre PIB, dans les cinq années à venir, en passant d'une façon graduelle à 6 puis à 7 % de taux de croissance moyen», dit-il. La nouveauté dans le programme de l'USFP est qu'il a mis pour la première fois l'économie et la création de richesses au cœur de son programme. Ce qui a dû susciter un débat au sein du parti. D'aucuns taxent déjà les socialistes de basculer vers le libéralisme. «Nous n'avons pas le choix. Il faut relancer le pouvoir d'achat. Nous prévoyons de diminuer la part de l'agriculture dans l'économie générale et de créer les conditions pour pousser les populations rurales à consommer davantage. Nombreux sont les secteurs non agricoles comme le tourisme, l'offshoring, la sous-traitance industrielle, l'agroalimentaire… qui connaissent une croissance à deux chiffres. Autrement dit, nous comptons diversifier notre économie et en même temps, performer dans la maîtrise des secteurs d'accompagnement», estime Ahmed Chami, membre du bureau politique de l'USFP. Il faut dire que dans leur vision, les partis tracent leur programme dans la continuité des grandes orientations macro-économiques. Ils savent l'élan irréversible de libéralisation pris par le pays et semblent tous décidés à faire avec. De la sorte, dans leurs projections, les grands chantiers d'infrastructures lancés par le Maroc sont considérés comme porteurs, autant que les choix stratégiques inscrits dans le cadre du Plan Emergence. Lequel inspire désormais la littérature partisane. Il n'y a pas donc de rupture en vue ni pour la majorité actuelle, ni pour les partis de l'opposition. Istiqlal : une croissance soutenue par les grands travaux C'est naturellement que l'Istiqlal, qui détient actuellement les portefeuilles de l'Equipement, de l'Habitat et également du Tourisme, mise sur l'apport des grands chantiers d'infrastructures portuaires et autoroutiers. Le parti projette de soutenir la croissance du Maroc via une politique de grands travaux, en lançant, dès la période 2007-2012, une série de projets à long terme (2030) pour un investissement global de 232 milliards de dirhams en grands chantiers, dont la construction de 3.000 km d'autoroutes, 1500 km de lignes ferroviaires à grande vitesse et un réseau routier de désenclavement desservant au moins 80 % de la population rurale à l'horizon 2012. Globalement, le Parti d'Allal El Fassi prévoit 6 % de croissance soutenable non céréalière. «Cet objectif est réalisable. Il tient compte d'un soubassement, celui des acquis en termes de taux de croissance et dont la moyenne a doublé ces dernières années. En effet, le taux de croissance, qui était de 2,6 % au début des années 1990, s'améliore depuis pour atteindre aujourd'hui un taux moyen de 5 à 5,5% » , avertit d'emblée Abdelhamid Aouad, Président du groupe Istiqlalien à la Chambre des représentants. MP : la croissance via les secteurs à forte valeur ajoutée Dans cette guerre des chiffres, le MP (Mouvement Populaire), qui a fait de l'emploi, de l'enseignement et de la santé, son cheval de bataille pour les prochaines élections, n'a pas pour autant omis de faire un clin d'œil aux opérateurs économiques. Le parti prévoit aussi une croissance de 7,5 % (agriculture comprise). «Nous projetons de soutenir cette croissance grâce aux secteurs à forte valeur ajoutée comme ceux du plan Emergence. C'est ainsi que par exemple, nous nous engageons à faire la part belle à l'agroalimentaire. Partant, nous comptons réduire les surfaces dédiées à la culture céréalière au profit par exemple de l'olivier et soutenir la politique d'exportation», explique Said Oulbacha, membre du bureau politique du MP et Secrétaire d'Etat chargé de la formation professionnelle. Mais, précision de taille : le MP a piloté le ministère de l'Agriculture sans y avoir porté une touche productive. Pis, le plan Emergence pour l'agroalimentaire a bloqué surtout sur l'amont agricole. Si le MP en fait actuellement une priorité, c'est qu'il a compris l'erreur commise par le passé. PJD : la croisée de l'économie et du social Parent pauvre du programme du Parti de la Justice et du Développement (PJD) au cours des législatives de 2002, le volet économique est, cette année, au centre des intérêts de cette formation politique. Le parti de Sâad Eddine El Othmani table sur une croissance moyenne de 7 %. Pour y arriver, le PJD a inscrit son programme économique dans une «logique de bonne gouvernance, de chantiers structurants et de mise à niveau de l'environnement des affaires. Le tout dans un équilibre entre la justice sociale et le développement humain». A en croire Abdelaziz Rebbah, Secrétaire général de la jeunesse du PJD, qui a participé à l'élaboration de la feuille de route, le parti islamiste a choisi une large plate-forme orientée économie et social. Plus d'initiative privée, une économie solidaire basée sur la redistribution des richesses, et qui consacre l'ouverture avec une entreprise à visage humain. L'agriculture devra beaucoup contribuer selon les concepteurs du programme. C'est ainsi qu'ils promettent de doubler la production nationale et de renforcer sa compétitivité. Parallèlement à l'investissement dans les nouvelles technologies, le parti veut également augmenter la rentabilité d'autres secteurs productifs : pêche maritime, transport, énergie, industrie, artisanat… Si le taux annoncé par le PJD rejoint celui avancé par l'USFP, en revanche, le RNI, lui, table sur un taux de croissance de 6,5 %. Une ambition à mi-chemin entre celle de l'USFP (7 %) et celle de l'Istiqlal (6 %). Pour Salaheddine Mezouar, il s'agit d'un taux réalisable si l'on tient compte de la performance déjà réalisée par le gouvernement sortant, qui a gagné 1,7 point en moyenne sur une éternelle croissance de l'ordre de 3,3 %. RNI : la dette interne dans des proportions tolérables A l'instar de certains partis de la majorité sortante, le RNI n'accorde pas trop d'importance à l'équilibre budgétaire. L'essentiel, selon Mezouar, est de maintenir la dette interne dans des proportions tolérables autour de 60 % du PIB pour assurer les bonnes conditions d'une croissance soutenue. Globalement, le RNI s'engage d'abord à poursuivre les efforts de renforcement d'un cadre macroéconomique favorisant une croissance économique soutenue et génératrice d'emplois. Ensuite, mettre en œuvre une approche sectorielle focalisée sur les moteurs de croissance et aussi le développement d'une autre approche, transversale celle-là, ciblée sur l'intégration de l'informel dans le secteur formel. Avis d'expert BAhmed Azirar, Economiste «C'est possible, mais...» C'est une bonne chose que les partis politiques affichent leur volonté de réaliser des taux de croissance élevés. Mais il y a deux défis majeurs à relever pour y arriver. Le premier est de gagner deux points de croissance chaque année. Il me semble qu'il n'y a pas de mystère à ce niveau, car le problème essentiel reste la productivité des facteurs de production, aujourd'hui volatile et faible. C'est dire que l'élément humain est au centre de la problématique à travers sa formation et la Recherche-développement dans laquelle la faiblesse de l'investissement est manifeste. L'autre défi est de stabiliser ce taux de croissance à un haut niveau dans le long terme. Sur ce plan, l'action majeure à mener se trouve au niveau de l'agriculture qui est , en plus, dans une situation impérative de mise à niveau eu égard aux différents accords de libre-échange que le Maroc a signés. Il faudra également agir sur la compétitivité des produits et services (tourisme) marocains pour gagner des parts de marché et stabiliser la demande étrangère. Il y a lieu, aussi, de faire jouer aux secteurs industriels et des services à haute valeur ajoutée, leur rôle régulateur dans la constitution du PIB. D'un autre côté, jusqu'à présent, le moteur de la croissance économique a été la consommation des ménages et des administrations publiques. Il s'agit de centrer l'effort sur la contribution de l'investissement dans la croissance économique. Sur ce chapitre, les IDE (hors privatisation) sont à régulariser. Par ailleurs, il faudra également rendre positive la contribution du commerce extérieur par le biais des exportations. Encore faudrait-il que les partis disposent d'hommes et de femmes capables d'appliquer convenablement les stratégies et selon une gouvernance irréprochable.