La coalition bat de l'aile, les critiques ont laissé place aux graves accusations, des scénarii alternatifs circulent. Hamid Chabat avait annoncé la couleur dès son élection à la tête de l'Istiqlal. Il n'est pas content du fonctionnement du gouvernement et réclame un remaniement. Cette fois, il a envoyé un document à Abdelilah Benkirane où il réclame un remaniement très large, donnant 20 % aux femmes et surtout une direction collégiale de la majorité pour diriger... l'exécutif. Cette mise sous tutelle du Chef du gouvernement est l'exigence la plus inacceptable aux yeux de Benkirane. Si les choses s'arrêtaient là, elles resteraient dans le cadre d'un débat entre alliés, peut-être nerveux, mais acceptable en démocratie. Sauf que Chabat a fait des sorties pour préciser sa pensée. Il a qualifié Benkirane de « Morsi marocain », qui veut contrôler tout l'appareil d'Etat et donner à son parti tous les leviers. « L'Istiqlal est prêt à combattre la vague Islamiste » a-t-il martelé. Devant les syndicalistes de l'UGTM, il a choisi des adjectifs très sévères pour son allié du PJD « c'est un éradicateur et un clown », « s'il procède à une seule augmentation, ce ne sont pas les marocains qui sortiront dans la rue, mais lui qui prendra la porte ». Abdelilah Benkirane, pourtant impulsif d'habitude, n'a pas réagi pour le moment. Ce sont les Istiqlaliens opposant à Chabat, qui sont sortis du bois pour défendre la coalition. Le PPS et le Mouvement populaire, après avoir tenté de jouer les intermédiaires ont jeté l'éponge et préfèrent le mutisme. Mais ce silence est assourdissant, il cache mal le malaise d'une coalition prise en otage par le changement intervenu à la tête de l'Istiqlal. Le respect des urnes L'on sait que la composition du gouvernement a joué un rôle important dans les bouleversements au sein de l'Istiqlal. Les mécontents ont trouvé en Hamid Chabat, un leader charismatique pour défendre leurs ambitions. Ses demandes répétées de remaniement ont certes cette dimension, mais pas uniquement. Ce qu'il veut c'est une véritable redistribution des cartes, renforçant la présence de son parti aux départements les plus sensibles, en particulier l'Equipement. Si les formes étaient respectées, si les noms d'oiseaux n'étaient pas publics, la situation serait gérable. Là, elle ne l'est plus. L'une des tâches historiques de ce gouvernement est la crédibilisation des institutions. Il ne peut y arriver alors que la coalition qui le compose se déchire de manière peu élégante. Cela met une pression énorme sur Benkirane. Le changement d'alliances est une voie pleine d'embûches. Les relations du PJD avec le PAM sont exécrables et annihilent toute possibilité d'alliance, du moins à court terme. Restent donc l'USFP et le RNI. Numériquement, l'un de ces deux partis remplaçant l'Istiqlal, le PJD pourra toujours aligner une majorité. Politiquement, c'est une autre paire de manches. L'USFP exclut toute participation, ainsi en a décidé son congrès. Il a refusé la participation alors que les deux autres membres de la Koutla y accouraient, on le voit mal remplacer l'Istiqlal. Le RNI pourrait faire l'affaire numériquement. Sauf qu'après ce que l'on a appelé l'affaire Mezouar, une alliance avec le PJD serait incohérente. D'autant plus que le RNI avait pris la tête du G8, mort-né qui devait barrer la route aux Islamistes. C'est sans doute parce que tout changement d'alliances pour sauver la majorité est un casse-tête que Benkirane encaisse en silence, se montre patient et préfère calmer le jeu. Les négociations seront très dures parce que le nouveau « Zaïm » place la barre très haut. Mais pour Benkirane, assurer la continuité de la coalition est vital, toute autre solution l'affaiblissant politiquement. Certains se mettent à rêver d'un renversement des alliances. Numériquement, il est possible de concocter une majorité hybride sans rivages et de renvoyer le PJD dans l'opposition. Laensar avait évoqué cette possibilité lors d'une interview, comme « simple possibilité du jeu démocratique ». Cela constituerait un déni de démocratie et aboutirait à un exécutif très faible, totalement discrédité auprès des populations. Politiquement, cela ne pourrait qui nuire à la construction démocratique. La démarche apparaîtrait comme une tentative de retour à l'avant 9 mars. Les Islamistes, radicaux, auront un boulevard devant eux. Parce qu'il y a des hommes d'Etat dans ce pays, il est clair qu'ils écartent cette hypothèse. L'USFP, par exemple, a déjà annoncé qu'il ne soutiendrait « aucune tentative de déstabilisation » du gouvernement. Chabat, en fin politique, mesure la difficulté du contexte pour son allié–adversaire. C'est ce qui explique la violence de sa charge. Benkirane se doit de proposer un compromis, mais lequel ?