Le plan Emergence n'attire pas que les entreprises étrangères de l'offshoring, les grandes écoles d'ingénieurs françaises sont en train de s'implanter pour saisir les opportunités. Même celles qui se sont installées au cours de ces dernières années fourbissent leurs armes. Jusqu'à une date récente, les grandes écoles d'ingénieurs françaises s'installaient en partenariat avec d'autres établissements marocains. Aujourd'hui, ces institutions s'implantent en propre. Dans l'Hexagone, ce nouveau phénomène n'est pas passé inaperçu. En témoigne l'intérêt accordé à la question par nos confrères français, le quotidien économique «Les Echos» et le mensuel «L'Usine nouvelle» qui, en ce mardi 13 février 2008, réalisaient un reportage sur l'Ecole d'Ingénieurs en Génie des Systèmes Industriels (EIGSICA). À l'origine de cette ruée des grandes écoles d'ingénieurs françaises, le déficit de cadres marocains pour prendre le train de l'offshoring. Le Maroc devra diplômer 10.000 ingénieurs par an, contre 4.300 aujourd'hui. Lancé fin décembre 2006, ce plan implique 28 établissements universitaires appartenant à 13 universités dont 10 écoles d'ingénieurs (EMI, Ensem, Ensias, Ensam, Ensa) à Agadir, Fès, Marrakech, Oujda, Safi et Tanger, mais aussi une poignée d'institutions privées. Investissement : l'exemple de Supinfo Mais le compte n'y est pas tout à fait. Ce qui ouvre des opportunités aux universités et écoles étrangères. De plus, pour de nombreux investisseurs étrangers, même avec des quotas de 10.000 ingénieurs/an, la demande dépassera de loin l'offre avec la réalisation des autres plates-formes, notamment de Rabat Technopolis, qui devrait être opérationnelle dès 2008, Tanger Shore, Marrakech Shore sans compter Fès Shore et Oujda Shore, qui viennent d'être rajoutés à la liste. «L'implantation de nos écoles au Maroc s'inscrit dans l'objectif de contribuer à la formation de 10.000 ingénieurs», confie Alick Mouriesse, président du groupe Supinfo International, qui a décidé d'investir près de 200 millions de DH dans les cinq prochaines années. Le prestigieux groupe envisage pendant cette période de créer 8 campus ou écoles dans les principales villes du Royaume comme Rabat, Tanger et Agadir. «La formation dispensée au sein de nos établissements n'est pas limitée uniquement au cycle d'ingénieurs de 5 ans avec deux années de prépa intégrée, mais touche d'autres cursus», explique Mouriesse. Ainsi, des masters, formations continues ciblées et des certificats spécialisés figurent au menu. Pour le cycle d'ingénieurs, l'accès se fait à travers un concours ouvert aux bacheliers scientifiques. Selon le responsable de Supinfo, les frais de scolarité seront identiques à ceux pratiqués par les autres écoles du groupe implantées à l'étranger : 4.900 euros par an, soit près de 50.000 DH. Le groupe a déjà entamé des discussions avec une banque de la place pour l'octroi de crédits à des conditions préférentielles. Rien que pour l'école Supinfo de Casablanca, sise au quartier des Hôpitaux, et qui ouvrira à la prochaine rentrée universitaire (septembre 2008), le coût d'investissement s'élève à 35 millions de DH. Les initiatives des écoles françaises en direction du Maroc se multiplient. Les liens historiques entre la France et le Maroc, et la proximité culturelle des deux pays, comptent parmi les moteurs de ces initiatives. De plus, les écoles d'informatique françaises accueillent déjà de jeunes Marocains dans leurs cursus. L'Esiea (Ecole Supérieure d'Informatique et Electronique Automatique) en compte une cinquantaine; l'Epitech, une centaine, sans compter que les candidatures prolifèrent. «Nous avons déjà noué plusieurs partenariats avec des sociétés françaises déjà installées ou en cours d'installation au Maroc. Leurs besoins en recrutement sont exprimés en centaines d'ingénieurs dans les années à venir. Nos partenariats vont de l'offre de stages, de formations continues de courtes durées ou de masters délocalisés pour leur personnel en place, en passant par le conseil et l'ingénierie de formation ou l'utilisation de nos locaux pour certains événements privés ou grand public», souligne El Kafi, directeur général de l'antenne marocaine de l'Esiea (Ecole Supérieure d'Informatique Automatique et Électronique et Automatique). De grosses pointures françaises se sont installées pour exploiter la nouvelle niche de l'offshoring. Il s'agit entre autres des institutions financières françaises BNP Paribas, Axa, Cap Gemini, GFI Informatique, Renault, Bull, SQLI, Sofrecom, Ubisoft, Akka Technologies. «Nous avons déjà des partenariats avec Maroc Aviation, Matis et Valeo, des groupes avec lesquels nous travaillons en France. Notre alliance se traduit par des stages et embauches de nos lauréats ou encore la gestion des contrats industriels », confie Youssef Ben El Mostafa, directeur de l'Eigsi de Casablanca. Et le professeur marocain et ex-chef de département à l'Eigsi d'ajouter : «au Maroc, nous reproduisons la même formation qu'en France. D'ailleurs, les sujets d'examen qui se déroulent les mêmes jours et aux mêmes horaires avec un même jury sont identiques». Une belle carte à jouer ! Il faut dire que les grandes écoles d'ingénieurs françaises ont là une belle carte à jouer. Non seulement elles peuvent mettre en place des formations orientées vers les métiers de l'offshoring pour les bacheliers (formation initiale), mais lancer surtout des formations de reconversion et des formations continues. Concrètement, un jeune titulaire d'un DEUG en physique, par exemple, peut n'avoir besoin que d'une formation complémentaire pour être converti à un des métiers de l'Offshoring. Côté diplômes, les textes marocains leurs ont balisé la voie. La loi marocaine «01-00» fixe le cadre de l'enseignement supérieur, avec notamment la création d'une entité d'habilitation des titres d'ingénieur, similaire à celle qui existe en France. Aujourd'hui, les établissements français déjà implantés sur place, comme l'Eigsi ou l'Esiea à Casablanca, fourbissent leurs armes. Cette dernière est l'une des premières écoles informatiques à bénéficier de cette dynamique. L'école a monté un master spécialisé sur la sécurité, identique à celui de Paris. Les titulaires de ce master, dont la formation est en grande majorité payée par leur entreprise, décrochent aisément des postes de directeur informatique ou de responsable en sécurité. Une année scolaire revient à 4.100 euros au Maroc, contre 6.750 euros en France. Au-delà, c'est un consortium d'établissements français autour de l'Université de Nantes, de Polytech'Nantes et de Sciences Po Grenoble, en partenariat avec l'Université de Rabat-Souissi, qui cherche également à se positionner sur le créneau. Il s'agit de créer la première université marocaine privée, l'Université Internationale de Rabat (UIR). C'est un projet d'envergure qui est en cohérence avec la volonté gouvernementale de voir le secteur privé couvrir, à terme, 20% de l'offre de formation. La question pendante est d'ordre administratif : un texte sur les universités privées sortira au mieux au courant du premier semestre 2008. Il faudra ensuite l'accréditation du ministère de l'Enseignement supérieur. Selon une source proche du projet, l'UIR devrait voir le jour à la prochaine rentrée. Vivendi, Steria et Capgemini ont apporté leur soutien à ce projet de 80 millions d'euros. L'opération «10.000 ingénieurs» devrait permettre de soutenir l'économie du pays. En croissance de 3% par an, elle pourrait, selon la Banque Mondiale, atteindre les 6%. À condition de ne pas manquer le train de l'offshoring (sous-traitance à bas coût), très consommateur de matière grise.