Le plus important conglomérat sud-coréen a bien du mal à se sortir de la série de crises qui le frappe depuis peu. Le commencement de la nouvelle année lunaire cette semaine est généralement la période où les employés des chaebols, grands groupes familiaux sud-coréens, s'autorisent quelques jours de congé pour célébrer cet événement. Mais les cadres chez Samsung, le plus grand et le plus célèbre des chaebols, n'ont pas vraiment le cœur à la fête cette année, car leur entreprise a été récemment assaillie par des accusations de corruption, de déversement accidentel de pétrole et par une décision de justice défavorable dans l'affaire d'une filiale en faillite. Pour Samsung, les problèmes ont commencé en novembre, lorsque Kim Yong-Chul, ancien haut responsable des affaires juridiques, a avancé que le groupe détenait une caisse noire destinée à soudoyer des responsables du gouvernement, des magistrats et la presse et qu'il s'était rendu coupable de fraude comptable afin de s'assurer de rester entre les mains de son président, Lee Kun-Hee, et de sa famille. Samsung insiste sur le fait que les accusations de M. Kim sont sans fondement. Un investigateur officiel, Cho Joon-Woong, a entamé son enquête sur ces allégations en janvier dernier. Selon l'opinion générale, Samsung, dont les ventes représentent près de 20 % du PIB de la Corée du Sud, a tout simplement trop d'influence pour être touchée de quelque manière que ce soit par l'enquête de M. Cho. De nombreux Sud-coréens restaient cyniques face aux perquisitions annoncées à grand renfort de presse au domicile de M. Lee et dans les bureaux des autres dirigeants, car celles-ci ont eu lieu plusieurs semaines après les premières accusations. Mais les sceptiques qui avaient prédit que, pour le chaebol, les affaires allaient continuer malgré tout, ne s'attendaient pas à ce qu'en décembre dernier, une barge de la filiale Samsung Heavy Industries parte à la dérive après rupture de ses câbles de remorque par temps de tempête et entre en collision avec un pétrolier. Plus de 78.000 barils de pétrole se sont déversés dans la mer, provoquant la pire marée noire qu'ait connue la Corée du Sud. Jour après jour apparaissaient à la télévision les images des oiseaux morts ensevelis sous le pétrole, des lieux de pêche dévastés et des habitants désespérés dont l'océan était l'unique source de revenus. En janvier, des milliers de personnes originaires de la zone sinistrée ont convergé vers le siège de Samsung à Séoul et ont jeté sur le bâtiment des poissons et des huîtres recouverts de pétrole. Par ailleurs, dans un geste désespéré de protestation, le propriétaire d'un restaurant de poisson cru s'est donné la mort en avalant des engrais chimiques et en se mettant le feu. Dans une culture où la reconnaissance rapide de ses fautes est attendue, Samsung a préféré traîner des pieds. La compagnie a attendu un mois et demi pour présenter des excuses pour sa responsabilité dans la marée noire. Samsung explique avoir retardé ce geste parce que les causes de l'accident n'étaient pas claires et que le groupe ne devait pas être considéré comme le seul responsable, bien que le propriétaire et l'exploitant du pétrolier aient entièrement nié avoir commis une quelconque méprise. Le 21 janvier, la justice a mis en examen Samsung Heavy Industries et le propriétaire du pétrolier pour des accusations liées à la marée noire. Dix jours plus tard, un tribunal a statué contre Samsung et M. Lee lors du plus grand procès civil qui ait eu lieu en Corée du Sud. La cour les a condamnés à indemniser à hauteur de 3,15 trillions de wons (soit 2,7 milliards de dollars) les créanciers de Samsung Motors, filiale qui a fait faillite en 1999. M. Lee a promis à ces créanciers des actions dans Samsung Life Insurance, ainsi qu'un dédommagement une fois l'introduction en Bourse de la filiale, ce qu'ils attendent toujours. Face ces problèmes successifs, chacun est en droit d'attendre une certaine contrition de la part des dirigeants de Samsung. Mais lorsque M. Cho a convoqué plusieurs cadres du groupe à son bureau, ces derniers ont rétorqué qu'ils n'avaient pas le temps, ce qui a une fois de plus scandalisé l'opinion publique. Samsung reconnaît aujourd'hui avoir un problème avec son image. « Nous sommes inquiets de l'impact négatif sur la marque Samsung », a déclaré un porte-parole. Mais déjà, aux yeux des Sud-coréens, le chaebol dont le nom signifie « trois étoiles » a perdu son éclat.