"Echauffements électoraux" pour les uns, occasion pour "consacrer l'égalité totale dans la société" pour les autres, la proposition du président tunisien Beji Caid Essebssi pour un amendement progressif de la loi sur l'héritage est diversement appréciée au sein de la classe politique, de même que le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans. Du côté des conservateurs, qui la qualifient d'improvisée et ne prend pas en considération la volonté du peuple et la religion, la réaction ne s'est pas fait attendre. Le parti Forces du 14 janvier a opposé un refus catégorique aux propos avancés par le président tunisien, exprimant le rejet de toute loi qui soit incohérente avec les préceptes de l'Islam. Même son de cloche chez le vice-président de l'Assemblée des représentants du peuple, Abdelfattah Mourou qui a affirmé que cette proposition implique le lancement d'un débat plus large. Selon lui, la question de l'héritage doit être appréhendée selon une approche alliant les volets légal et religieux. "Toute décision doit prendre en considération ces deux aspects", a-t-il insisté. De son côté, "Tayar Al Mahaba" (courant de l'amour) a qualifié cette initiative de "violation flagrante" du 1er article de la Loi Fondamentale stipulant que l'islam est la religion de l'Etat tunisien. Cette proposition "vise à semer la zizanie dans le pays à des fins électoralistes en perspective des prochaines échéances municipales, législatives et présidentielle", explique le secrétaire général de ce courant, Hachemi Hamdi dans un communiqué, parvenu à la MAP. Le mouvement "Ennahdha", a quant à lui, émis des réserves, relevant qu'il n'a pas d'objection à soulever la question de l'égalité successorale tant qu'elle ne s'oppose pas aux constantes de la Constitution et aux principes de l'Islam. D'après Noureddine Arbaoui, président du bureau politique du parti, le mouvement attend de voir les résultats des travaux de la commission chargée de mise en place par le président tunisien pour étudier ces questions. "Ennahdha" n'a pas été sollicité pour participer aux travaux de la commission, a-t-il toutefois déploré, relevant que l'égalité dans l'héritage se pose d'un point de vue religieux et sociétal et toutes les parties politiques et civiles ont le droit de prendre part aux discussions autour de cette problématique. L'ancien mufti de la république Hamada Said s'est, de son côté, prononcé contre cette initiative, étant donné que les "textes coraniques à ce propos sont clairs et ne se prêtent à aucune interprétation". Un avis non partagé par l'actuel mufti, Othman Battikh, qui a souligné que ces propositions viennent "consolider les acquis de la femme et renforcer les principes de l'égalité entre les sexes". D'autres formations ont applaudi cette initiative, ainsi que les mesures annoncées par le président en les qualifiant de "révolutionnaires". Dans ce sens, la députée du parti libéral social "Afek Tounes", Rym Mahjoub a estimé que les propos du président tunisien étaient "modernistes, émancipateurs, révolutionnaires". Ce discours "ouvrira un débat au sein de la société et entre forces politiques et société civile" a-t-elle affirmé. Abondant dans le même sens, la voie démocratique et sociale (Al Massar) a appelé à la sensibilisation à la culture de l'égalité hommes-femmes, précisant que la consécration de ce concept dans les différents aspects de la vie publique et privée, conformément aux dispositions de la Constitution, aidera à changer les mentalités et à protéger les droits individuels. Le parti "Nidaa Tounes" au pouvoir a, pour sa part, relevé que ces propositions ont pour but de mettre fin à toute forme de discrimination envers la femme. Le parti a exprimé la volonté d'œuvrer pour traduire ces "idées réformistes en une législation efficace". Le pôle démocratique moderniste (Al Qotb), coalition de plusieurs partis a, lui aussi, exprimé son appui à "toute initiative qui a pour objectif de garantir l'égalité totale entre les Tunisiens indépendamment de leur sexe, croyance, origine ou orientation sexuelle". Le président tunisien avait affirmé, dimanche à l'occasion de la "Fête de la femme" en Tunisie, qui célèbre le 13 août de chaque année la promulgation en 1956 du Code du statut personnel, qu'il est aujourd'hui "possible et préconisé d'amender progressivement" la loi relative à l'héritage jusqu'à réaliser l'égalité parfaite entre l'homme et la femme. Le chef de l'Etat a relevé que les juristes tunisiens poursuivront l'élan réformateur et sauront trouver les formules adéquates qui ne s'opposent pas aux préceptes religieux ni aux principes constitutionnels, pour permettre l'instauration de l'égalité successorale. Caid Essebssi s'est dit également "favorable" à une réforme de plusieurs dispositions du code du statut personnel en vue de consacrer l'égalité entre les citoyennes et les citoyens conformément aux préceptes de l'Islam et aux dispositions de la loi fondamentale. Dans ce sens, il a fait observer qu'un grand nombre de familles tunisiennes procèdent au partage de l'héritage à égalité en recourant à la donation du vivant des parents, appelant à l'encouragement de cette approche et de l'effort de la jurisprudence. Il a de même recommandé la révision de la loi régissant le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans et qui constitue, selon lui, "une entrave à la liberté de choisir son conjoint". "Même si elle occupe des postes de responsabilité dans divers domaines et qu'elle a prouvé sa capacité à accomplir parfaitement toutes les missions, la femme tunisienne fait encore face à une réalité difficile marquée par la discrimination, l'injustice et l'oppression", a-t-il déploré.