Les récentes élections au sein des instances de l'Union africaine (UA) ont des relents de déjà-vu et rappellent les batailles homériques que le Maroc et l'Algérie se sont livrées à plusieurs reprises au sein de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Ces scrutins, qui concernaient la vice-présidence de la Commission de l'UA (CUA) et le Conseil de paix et de sécurité (CPS), ont mis en lumière, une fois de plus, les tensions persistantes entre les deux pays. L'explosion de joie de la délégation algérienne à l'annonce des résultats de l'élection de la vice-présidente de la CUA est révélatrice de l'importance de l'enjeu pour le régime algérien. Des slogans patriotiques, plus adaptés à l'ambiance bruyante des stades de football qu'à l'enceinte feutrée d'une organisation internationale, ont même été criés à tue-tête par des membres de cette délégation, apparemment soulagés et heureux d'avoir gagné le «match». À se demander si ces «diplomates» surexcités et à bout de nerfs célébraient l'élection de leur candidate ou se réjouissaient de la «défaite» de sa rivale... Les élections pour le renouvellement partiel du Conseil de paix et de sécurité (CPS) ont été reportées, faute de majorité qualifiée pour l'Algérie, qui a plafonné à 32 voix sur les 33 requises. L'Algérie décrochera probablement le siège au prochain scrutin, marquant une succession symbolique au Maroc au sein de cet organe. L'élection de la candidate algérienne au poste de vice-présidente de la CUA peut être considérée comme un point marqué par Alger. Mais la présidence de la CUA a été attribuée à Djibouti, pays proche du Maroc. Ce choix tempère l'avantage algérien et crée un équilibre des forces au sein de l'organisation africaine. D'autre part, et sans vouloir offenser qui que ce soit, qui connaît le nom et la nationalité de la vice-présidente sortante ? Les deux élections confortent certes la diplomatie algérienne, qui cherche désespérément à redorer son blason après avoir accumulé partout les déconvenues, notamment en Afrique. Un «succès» à l'UA, même relatif, est accueilli comme une réalisation majeure par une diplomatie en manque d'affection. Sur sa lancée, Alger pourrait essayer de raviver le rôle qui a longtemps été le sien dans l'organisation africaine et retrouver le rayonnement d'autrefois. Mais peut-on, pour autant, conclure à un renforcement de l'influence algérienne au sein de l'organisation africaine ? L'apparent regain d'influence algérien doit être relativisé. Avant 2017, date du retour du Maroc dans l'UA, l'Algérie disposait depuis 1984, date du retrait du Maroc de l'OUA, d'une marge de manœuvre considérable, imposant sa lecture des crises africaines, notamment sur la question du Sahara marocain. Depuis, le Maroc a su contenir l'activisme algérien, voire le désactiver, notamment au sein du CPS, autrefois chasse gardée d'Alger. L'Algérie en a monopolisé la présidence pendant 13 ans, de 2008 à 2021, d'abord avec Lamamra puis Chergui, avant que le Nigérian Bankole Adeoye ne soit désigné à la tête du conseil. Le CPS a été dessaisi du dossier du Sahara marocain au niveau des représentants permanents et des ministres. La question, depuis la conférence au sommet de Nouakchott en 2018, est désormais traitée au niveau des chefs d'Etat et relève d'une troïka. Alger pourrait vouloir utiliser la vice-présidence algérienne comme un levier potentiel pour relancer la question du Sahara dans les débats de l'UA, mais l'exercice a peu de chances d'aboutir. En tout état de cause, si l'Algérie n'a pas été capable de faire prévaloir ses vues depuis 50 ans qu'elle se démène, alors qu'elle agissait à sa guise, elle ne pourra rien imposer aujourd'hui que sa marge de manœuvre est limitée et son prestige fortement ébranlé. La solution ne pourra pas émerger au sein de l'UA, qui est juge et partie, mais relève du Conseil de sécurité des Nations unies, seule instance en capacité de promouvoir une solution politique de compromis, qui ne peut être que celle préconisée par le Maroc, à savoir l'autonomie sous souveraineté marocaine. Fracture Les scrutins à l'UA reflètent une dynamique de reconfiguration des rapports de force au sein de l'organisation, sur fond de compétition exacerbée. Ils révèlent la persistance d'une polarisation comparable à celle qui prévalait autrefois à l'OUA sur la question du Sahara marocain, ce qui augure d'un «clivage» au sein de l'UA qui risque de préfigurer de nouveaux blocages et de nouveaux affrontements. Lors de l'élection de la vice-présidente, le bloc marocain a plafonné à 22 voix de manière constante sur trois tours, tandis que l'Algérie a peiné à consolider sa majorité, ne passant de 24 à 26 voix que grâce au retrait de l'Egypte. Le temps des majorités algériennes automatiques est révolu et le Maroc a su démontrer sa capacité à mobiliser la minorité de blocage. L'absence des cinq Etats proches du Maroc suspendus pour cause de coups d'Etat (Mali, Niger, Burkina Faso, Guinée, Gabon) a indéniablement joué en faveur d'Alger. Le retour à terme de ces pays pourrait redistribuer les cartes. Les alliés du Maroc, en particulier les 20 pays ayant établi des représentations consulaires dans les provinces du sud et ne faisant pas l'objet de sanctions, ont fait bloc avec notre pays. Ce bloc doit être consolidé en prévision de batailles futures, autrement plus importantes, en tenant compte des enseignements qui peuvent être tirés des récents épisodes : Le positionnement de certains pays réputés proches ou neutres pose le problème de la volatilité de certaines alliances et mériterait une réévaluation ; Le fait que plusieurs pays amis, temporairement privés de leur droit de vote, n'ont pu prendre part au scrutin a mécaniquement réduit le potentiel de soutien dont le Maroc aurait pu bénéficier. Cet élément, qui était de notoriété publique, a rendu l'issue défavorable difficile à éviter ; La candidate algérienne, ambassadrice de son pays auprès de l'Ethiopie et de l'UA, a pu s'appuyer sur une présence effective au sein des cercles diplomatiques à Addis-Abeba, lui permettant d'engager un travail de fond et de mener une campagne de proximité auprès de ses collègues représentants permanents. Cette situation a sans doute constitué un atout déterminant dans la dynamique du scrutin.