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Roman d'espionnage espagnol : il y a Tindouf et Tindouf (1/2)
Publié dans Barlamane le 10 - 08 - 2024

Son titre est Operación Falsa Bandera-Del Kremlin a Tinduf (Opérations sous faux drapeau1– du Kremlin à Tindouf). C'est un roman d'espionnage. Pourquoi s'intéresser à ce genre de littérature ? Parce que le Maroc y est visé par une opération de déstabilisation. Les services russes, avec la bénédiction du Kremlin, cherchent à créer un conflit entre le Maroc et l'Algérie pour détourner l'attention de la guerre en Ukraine. Les services de renseignement espagnols découvrent le complot et entrent en action.
L'intérêt du roman réside aussi dans le fait que son auteur n'est pas n'importe qui et n'est pas un inconnu au Maroc. Un ancien chef des services de renseignements qui publie une œuvre de fiction, ce n'est pas courant. Quand, en plus, c'est l'ex directeur des services de renseignements espagnols, on devient attentif. Lorsqu'on sait, enfin, que ce même directeur était un diplomate et qu'il a servi au Maroc comme ambassadeur de son pays, l'histoire devient franchement captivante.
Jorge Dezcallar de Mazarredo, c'est de lui qu'il s'agit, a été ambassadeur d'Espagne au Maroc de 1997 à 2001. En 2002, il a été nommé directeur du Centre supérieur d'information de la Défense (CESID), rebaptisé Centre national de renseignements (Centro Nacional de Inteligencia, CNI), le service espagnol de renseignement et de contre-espionnage. En 2004, les socialistes ayant remporté les élections législatives, Dezcallar est nommé ambassadeur auprès du Vatican, où il restera jusqu'en 2006. En 2008, il obtiendra l'ambassade à Washington, son dernier poste diplomatique, qu'il quitte en 2012.
Quand on écrit, on révèle immanquablement quelque chose de soi-même. Dezcallar, malgré les précautions qu'il a certainement prises, donne des informations intéressantes sur lui-même et sur les méthodes de travail du CNI. Politiquement, il se situe à droite. On peut supposer qu'il est membre du Parti populaire, à tout le moins sympathisant, sachant que c'est le président du gouvernement de droite, José María Aznar qui l'a nommé à la tête du CNI.
Dans son roman, Dezcallar règle des comptes politiques. Il saisit l'occasion pour dire tout le mal qu'il pense du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez : le « gouvernement de coalition est faible , son président ne cesse de faire des exercices sur la corde raide pour plaire aux Tyriens et aux Troyens qui l'aident à rester au pouvoir. Il ne semble pas non plus être un homme aux principes et aux convictions solides, puisqu'il les change au gré des besoins de chaque instant ». L'ancien directeur du CNI n'a toujours pas avalé la décision (« sans anesthésie » à son goût) du président du gouvernement espagnol de soutenir le plan marocain d'autonomie au Sahara. Il évoque « l'irritation d'un Parlement ignoré et d'une opinion publique désorientée par un changement que la Moncloa ne pouvait expliquer ».
Sur sa lancée, il donne une leçon de droit constitutionnel : « la politique étrangère relève de la responsabilité du gouvernement, conformément à la Constitution, et non de son président qui, en outre, l'est devenu avec un programme électoral prônant un référendum d'autodétermination. Et, apparemment, même le gouvernement, ni les partis qui avaient soutenu l'investiture, et encore moins ceux de l'opposition, n'étaient au courant, alors que le bon sens exige que la politique étrangère soit un consensus pour garantir qu'elle ne changera pas avec le locataire du palais de la Moncloa. Parce qu'il répond à des intérêts de l'Etat qui ne changent pas facilement ».
Il tient à faire savoir que lorsque le « Secrétaire d'Etat-directeur » (il tient apparemment à ce titre) du CNI appelle le président du gouvernement, ce dernier le reçoit immédiatement. Et les ministres répondent immédiatement à ses appels, car, dit-il « tout le monde, sans exception, a quelque chose à cacher ».
Dans le roman, ce n'est pas l'intrigue en elle-même qui nous intéresse le plus, c'est l'histoire dans l'histoire qui a retenu notre attention. Mais, disons-le tout de suite, on est loin de Le Carré. Plutôt Gérard de Villiers (SAS), – les parties olé-olé en moins.
Relevons de prime abord un procédé inédit dans une œuvre de fiction: Dezcallar a mis dans son roman des personnages réels et toujours vivants, y compris des chefs d'Etat. Il prend certes soin d'insérer un avertissement pour « s'excuser » de faire dire ou faire à ces hauts responsables ce qu'ils n'ont pas dit ni fait, mais la méthode est pour le moins singulière.
L'auteur n'est pas doué pour le choix des noms, surtout marocains, qu'il semble avoir glanés dans les cercles diplomatiques qu'il a fréquentés, au Maroc ou en Espagne. On a ainsi un « Belkader » (!) Ziani, ministre de son état, un colonel Abderrahim « Baddou », nom supposément rifain, en réalité aussi rifain que Dezcallar pourrait être basque, un lieutenant « Guessouss ». Dezcallar n'a pas non plus été très inspiré dans le choix des noms polisariens, comme celui de leur délégué à Madrid, appelé Brahim « Benbouchta ». L'auteur n'a pas cherché loin en donnant au numéro 2 du polisario à Madrid le nom d'Ahmed Hach, qui est le nom authentique d'un ancien responsable de ce groupe. Quant à l'agent du CNI à Marrakech, un Français, Dezcallar, très original, l'a baptisé simplement « de Coubertin ».
Dezcallar ne connait pas les usages russes. Jamais Poutine ne s'adresserait à un de ses subordonnés, y compris le patron du GRU, en l'appelant par son prénom et son patronyme (Youri Vladimirovich). En Russie, l'usage du prénom et du patronyme n'est pas une forme familière d'adresse entre collègues ou « copains ». C'est une marque de respect (Youri étant le prénom, Vladimirovich le patronyme (fils de Vladimir).
L'auteur se pique de bon goût, alors que celui des autres, qu'ils soient marocains, libanais ou panaméens, est, cela va sans dire, déplorable. Il est fier de son ile : « ici c'est Majorque, pas le Liban ou la Syrie ! ». La distance entre Majorque et Taroudant, pas seulement physiquement, mais surtout mentalement, est « énorme ». Il raille les désignationsofficielles des services russes, qui portent « tous des noms très peu attrayants, choisis par des soldats grossiers ou par des bureaucrates sombres du parti, agents en costumes marron et chaussettes blanches, sans imagination ni poésie ». CESID ou CNI, sont, évidemment, de beaux acronymes choisis par des intellectuels élégants, poètes et pétillants d'imagination.
A propos du MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest), Dezcallar cite les noms de Mokhtar Belmokhtar, qui n'a jamais fait partie de ce mouvement, et d'un certain Ahmed Al-Sahrawi (qui pourrait être Adnane Abou Walid al-Sahraoui, mort en 2021), sans préciser que le premier était algérien et le second milicien du polisario. Pas plus qu'il ne dit, par ailleurs, en quoi l'Algérie est concernée par le sort du Sahara occidental.
Tout au long des 488 pages du roman, Dezcallar est dans la stigmatisation, il émet des jugements de valeur et se place en donneur de leçons du haut de son piédestal d'Espagnol/Européen « civilisé ». Et c'est au Maroc et aux Marocains qu'il réserve ses piques les plus acérées.
Coups de griffe au Maroc et aux Marocains
L'auteur écrit que le Maroc est un pays avec une histoire riche et une culture remarquable. C'est l'une des rares remarques positives, auxquelles Dezcallar a sacrifié pour, apparemment, mieux s'en prendre à un pays et un peuple qu'il semble tenir en piètre estime. D'ailleurs, il tempère immédiatement son éloge en ajoutant « .. mais qui est resté un peu coincé dans le passé ».
C'est ainsi qu'il fait dire par un de ses personnages qu'au Maroc, il ne faut jamais faire confiance. Les Marocains sont des voleurs et des conducteurs imprudents dans un pays où il n'est jamais conseillé de rouler la nuit. La corruption est endémique et touche tous les milieux et tous les niveaux, chacun voulant sa part du gâteau, sa «mordida», que le consulat d'Espagne à Marrakech distribue généreusement. Les Marocains sont sans foi ni loi et n'hésitent pas à confisquer les boites de sardines que des entreprises espagnoles à Agadir envoient à une œuvre de bienfaisance ! Dezcallar le fait dire par une bonne sœur : « Dès qu'ils sentent qu'il y a de l'argent, ils exigent que je le leur donne. Ils me colleront des amendes fictives, des impôts, etc., mais ils finiront par me le prendre. C'est comme ça que les choses se passent ici ».
Les Marocains sont dépeints avec mépris, comme dans les films américains, où les Latinos, surtout les Mexicains, sont des paresseux, qui parlent à voix haute et avec leurs mains, tandis que les Arabes sont des filous menteurs et lâches, les Indiens sont cruels et parlent en mauvais anglais, etc. Evidemment, les Marocains n'ont pas la notion du temps (« notion très élastique sous ces latitudes »), contrairement aux Espagnols, qui sont très précis avec l'heure (sic!). De l'amertume jaillit un cri du cœur, révélateur d'un grand désespoir : « Personne ne dirait que ces gens nous ont dominés pendant huit cents ans ».
« Disgrâce publique »
Marrakech, pour Dezcallar, est une ville crasseuse, un endroit plein de m..... Là-bas, des jeunes hommes se prostituent avec des étrangers qui les appellent élégamment des « secrétaires ». Ces gens volent des livres à leurs amants, pour les vendre (évidemment), parce que, bien entendu, ils ne savent pas lire. Et toujours le mépris : « Non, on ne peut pas dire que c'est un gars sociable, et encore moins qu'il connaît cette phrase de Shakespeare. Bien sûr, à bien y penser, je ne suis même pas sûr qu'il sache très bien qui est Shakespeare ». Ou encore : « ...même s'il n'a bien sûr jamais lu Rilke et n'a pas la moindre idée de qui il est...».
A propos de l'homosexualité, assez présente dans le roman, Dezcallar affirme qu'elle n'est pas tolérée au Maroc, qui, « en bon pays musulman », punit les contrevenants de peines de prison et de … « disgrâce publique » ( ?).
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1 Les opérations sous fausse bannière ou sous faux pavillon ou encore sous faux drapeau sont des ruses de guerre courantes. Elles consistent en l'utilisation momentanée des marques de reconnaissance d'un tiers, souvent d'un ennemi.
Operación Falsa Bandera: Del Kremlin a Tinduf, Jorge Dezcallar, La Esfera de los libros, Madrid, 2023, 488 páginas, 21,90€.


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