Un lointain prédécesseur de Staffan de Mistura, Christopher Ross (2009-2017) voulait engager «des consultations avec un groupe de représentants respectés du Maghreb sur la question du Sahara occidental.» L'actuel envoyé personnel, quant à lui, a préconisé d'élargir les consultations à d'autres pays. Il n'y a pas eu, ni alors, ni maintenant, le moindre résultat notable ni un impact quelconque de ces soi-disant consultations élargies sur le processus onusien. Mais voilà que l'envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara se rend à Pretoria. Cette visite intrigue parce qu'elle n'entre dans aucune case diplomatiqueclairement identifiée. Qu'est donc allé de Mistura faire à Pretoria ? La ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Naledi Pandor, qui l'a invité et reçu le 31 janvier 2024, a qualifié l'entretien d'«utile». Mais elle a aussi fait état d'«approches» et de «propositions» qui ont été présentées par de Mistura sur la question du Sahara marocain, précisant que Pretoria aura «besoin de temps» pour donner sa réponse. Quelles «approches» et quelles «propositions» a bien pu faire l'envoyé personnel et pourquoi les a-t-il faites précisément à un pays, l'Afrique du Sud, qui, vu du Maroc, est le dernier à devoir être sollicité sur la question ? À quel titre Pretoria est-il mêlé ? L'Afrique du Sud n'est pas une partie concernée ou intéressée et ne figure pas dans le groupe des pays amis du Sahara à l'ONU. Au contraire, ce pays reconnaît la «rasd», affiche ouvertement son hostilité au Maroc et milite activement contre les intérêts du Royaume. On imagine mal que de Mistura, diplomate aguerri, se soit rendu à Pretoria sans avoir, au minimum, informé Rabat. L'absence de réaction officielle au Maroc peut être interprétée soit comme l'expression d'un embarras, soit comme une attitude de «wait and see». À moins que la rencontre Pandor-de Mistura ne soit qu'une partie visible d'un processus plus large dont Rabat est non seulement au courant, mais dans lequel la diplomatie marocaine est une partie prenante. Le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Stéphane Dujarric, a déclaré à propos de de Mistura : «Son mandat consiste également à parler à qui il pense devoir s'adresser, aux Etats membres et à d'autres, afin de faire avancer le processus.» Il a ajouté des propos sibyllins : «Bien sûr, certaines choses [...] doivent être engagées dans une diplomatie discrète.» Entre une ministre sud-africaine qui veut prendre son temps pour répondre aux propositions de l'ONU et Stéphane Dujarric qui évoque la nécessité d'une «diplomatie discrète», tout donne à penser que de grandes manœuvres ont lieu dans les coulisses. Il faut garder à l'esprit la double tournée qu'a effectuée dans la région un responsable au Département d'Etat américain. Joshua Harris s'est rendu à deux reprises à Rabat et à Alger, successivement en septembre et en décembre 2023. Rien, ou presque, n'avait filtré sur les entretiens de Harris dans les deux capitales. Il n'est pas interdit de penser que la démarche de l'envoyé personnel et sa visite à Pretoria s'insèrent dans le sillage de la démarche américaine. À ce stade, trois possibilités peuvent être envisagées : – L'hypothèse d'une médiation sud-africaine est exclue dès lors que Pretoria est disqualifié par son soutien inconditionnel au polisario. – Il est fort improbable, d'autre part, que l'Afrique du sud soit mise à contribution pour convaincre le polisario, si tant est qu'il faille convaincre ce groupe de quoi que ce soit, cette tâche revenant légitimement et en toute logique au pays qui héberge et arme les milices. – Seule alors reste envisageable l'hypothèse d'une démarche onusienne visant à obtenir de l'Afrique du sud une neutralité bienveillante ou, mieux encore, à s'assurer de son soutien à une solution politique. Cela suppose que cette solution a été agréée par les parties directement concernées, y compris l'Algérie. Cela signifie, aussi, que Pretoria a réussi à s'immiscer dans le différend. S'adresser à l'Afrique du sud, plutôt qu'à un autre Etat, a du sens étant donné que ce pays est, après l'Algérie, le deuxième adversaire le plus acharné de l'intégrité territoriale du Maroc et le plus actif dans les enceintes internationales. Cela étant, l'ONU n'est-elle pas en train de donner à l'Afrique du sud plus d'importance qu'elle n'en a réellement ? La diplomatie sud-africaine, certes, a montré qu'elle a unecertaine capacité de nuisance mais la réalité a aussi montré les limites de l'activisme de Pretoria, qui n'a jamais réussi à mettre le Maroc en difficultés ni à New York, ni à Genève, ni à Addis-Abeba. La sagesse commande, chaque fois que c'est possible, de neutraliser les contestations possibles, de rechercher le consensus et de ménager la susceptibilité de toutes les parties. C'est, apparemment, la méthode de de Mistura et grand bien lui fasse pour autant que les paramètres qui ont été fixés par le Conseil de sécurité soient scrupuleusement respectés. La même sagesse commande aussi la plus grande méfiance vis-à-vis de l'entrée en lice d'un pays éminemment hostile, dont le Maroc ne peut attendre aucun cadeau. (*) ancien ambassadeur