De Cambrai (Nord) à Marseille, les manifestants ont commencé à défiler jeudi pour la 11e fois contre la réforme des retraites alors que les discussions entre syndicats et gouvernement sont dans l'impasse à une semaine de la décision du Conseil constitutionnel. Les opposants vont de nouveau se compter dans les rues. Seront-ils plus nombreux que la semaine dernière ? Le 28 mars, la mobilisation avait marqué le pas, avec selon le ministère de l'Intérieur 740.000 manifestants en France, « plus de deux millions » selon la CGT. Cette fois-ci, les autorités attendent de source policière entre 600 et 800.000 personnes, dont 60 à 90.000 à Paris où le défilé ira d'Invalides à Place d'Italie. 11.500 policiers et gendarmes seront mobilisés, alors que les derniers cortèges ont été émaillés de tensions. Des chiffres qui montrent tout de même « qu'il y a une grosse contestation » contre cette réforme qui « ne passe toujours pas », a souligné le patron de la CFDT, Laurent Berger, jeudi sur RTL. Après bientôt trois mois de bras de fer, les manifestants affichent une détermination à toute épreuve, à l'image de Davy Chrétien, qui défilait à Marseille: « Nous n'avons toujours pas lâché et nous n'allons pas le faire », prévient ce fonctionnaire territorial de 50 ans. Les grèves étaient cependant moins marquées, notamment à la SNCF, avec trois TGV sur quatre et un TER sur deux, en nette amélioration par rapport aux journées précédentes. A Paris, la RATP annonce un trafic « quasi normal » pour le métro et le RER. Des actions de blocages aux portes de grandes villes ont par ailleurs provoqué des embouteillages, notamment à Lyon et Rennes mais aussi autour de Brest et Caen. Du côté des raffineries, après l'annonce du redémarrage de la production du site Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime), sa voisine TotalEnergies à Gonfreville-L'Orcher reste la seule dont la production est encore arrêtée en raison de la grève. Le mouvement s'essouffle aussi dans l'éducation, où le ministère a recensé moins de 8% d'enseignants grévistes. Quelques lycées et universités ont fait l'objet de blocages, par exemple à Paris les sites de la Sorbonne et Assas. A Rennes, la faculté de droit a été fermée, de même que les trois campus de Lyon-2. – « Sur un ring » – Mais comme depuis le 10 janvier et la présentation de la réforme, le plus gros blocage est surtout à rechercher entre l'exécutif et les syndicats, dont les relations virent à l'aigre. Mercredi, les leaders des huit principaux syndicats se sont rendus à Matignon, l'occasion pour eux de demander à Elisabeth Borne de « retirer » sa réforme, et d'affirmer haut et fort qu'ils refusent en attendant de « tourner la page » et « d'ouvrir, comme le propose le gouvernement, d'autres séquences de concertation ». La cheffe du gouvernement a répondu en affirmant qu'elle n'envisageait « pas d'avancer sans les partenaires sociaux ». « Elle ne peut pas imaginer être Première ministre de ce pays si elle ne retire pas sa réforme », a répliqué jeudi la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, depuis Gournay-sur-Aronde (Oise) où elle était venue soutenir les grévistes du stockage de gaz Storengy. De son côté, l'entourage du président de la République, en déplacement en Chine jusqu'à samedi, a assumé un projet « porté démocratiquement » et rejeté la responsabilité de l'échec du dialogue sur les syndicats, et notamment la CFDT qui n'a pas « voulu entrer dans un compromis ». « Stop à la provocation, on n'est pas sur un ring », a réagi Laurent Berger. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, lui a répondu sur BFMTV et RMC: « On est en désaccord, pas en guerre ». D'autres batailles sont pourtant à prévoir, au moins jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel, qui rendra son verdict le 14 avril. L'intersyndicale prévue dans la soirée au siège de Force ouvrière devrait déboucher sur l'annonce d'une nouvelle journée de mobilisation avant cette date. M. Berger espère que les Sages censurent « l'ensemble de la loi ». A défaut, un feu vert à la procédure de référendum d'initiative partagée (RIP) sur les retraites pourrait aussi « être l'occasion de ne pas promulguer cette loi et de repartir sur de bonnes bases », a-t-il estimé.