Le 14 septembre, à Alger, l'ambassadrice américaine Elizabeth Moore Aubin a eu un long entretien avec le chef d'état-major algérien, qui a eu droit à quelques interrogations difficiles, surtout celle relative à la grande commande de 7,5 milliards de dollars d'armes à la Russie, conclue en 2021. Quelques heures plus tard, le sénateur républicain Marco Rubio a exhorté Washington à sanctionner l'Algérie, accusée d'injecter du cash dans l'industrie armée russe. L'été 2021 est chaud, l'Algérie va mal, le régime, contesté, cherche à respirer. Saïd Chengriha s'apprête à participer à la conférence de Moscou sur la sécurité internationale organisée fin juin, concomitamment à la dixième édition de l'International Maritime Defence Show (IMDS), tenue à Saint-Pétersbourg, deux événements majeurs centrés sur l'armement. Les sept milliards de dollars d'armement qui fâchent En Russie, on déroule le tapis rouge au chef d'état-major algérien Saïd Chengriha. Quelques jours avant le déplacement de ce dernier, Maria Zakharova, directrice de l'information au ministère russe des Affaires étrangères, a tenu à lui offrir une déclaration comme cadeau de bienvenue : «Nous avons considéré la décision de l'administration américaine comme portant atteinte au cadre juridique international généralement reconnu pour le règlement du dossier du Sahara (occidental), qui prévoit la détermination du statut final de ce territoire par le biais d'un référendum sous les auspices de l'ONU. » En Russie, Saïd Chengriha prononce un discours (contenant des extraits hostiles au Maroc) avant de signer avec Moscou un contrat d'équipement militaire portant sur l'acquisition, pour plus de sept milliards de dollars, d'avions de chasse et de systèmes de défense aérienne. L'annonce de ce contrat a provoqué une source colère de Washington. Selon nos informations, l'ambassadrice Elizabeth Moore Aubin, lors de sa rencontre, le 14 septembre, avec le chef d'état-major algérien Saïd Chengriha, a évoqué ce contrat qui constitue une grave entorse aux sanctions internationales décidées contre l'industrie russe de l'armement, ainsi que les ambivalences algériennes relatives à plusieurs sujets. Moscou, pour rappel, est le premier fournisseur d'armement à l'Algérie, laquelle a augmenté ses importations d'armes de 64 % entre 2016 et 2020 d'après le rapport du Sipri (Stockholm International Peace Research Institute). Pour Washington, les achats algériens apaisent la rigueur des sanctions prononcées contre des dizaines d'entités russes, dont le conglomérat militaro-industriel Rostec, décrit par Washington comme «la pierre angulaire» de l'industrie de défense et technologique russe. Le gaz, autre motif de discorde Une autre raison du mécontentement algérien, la visite, en mai, du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov en Algérie pour renforcer le «partenariat» avec le régime algérien. Alors que l'Europe cherche à réduire sa dépendance du gaz russe, l'Algérie, exportateur gazier de plus en plus sollicité par l'Europe, ne veut pas agacer son fidèle allié. L'Algérie, qui fournit environ 11% du gaz consommé en Europe, indique sans cesse ses capacités supplémentaires d'exportation ne sauraient se substituer au gaz russe, ce que plusieurs observateurs remettent en cause. C'est aussi «la position pondérée, objective et équilibrée de l'Algérie sur la question ukrainienne», selon les mots de la diplomatie russe, qui irrite Washington, laquelle cherche une condamnation unanime de la guerre contre l'Ukraine. Coopération militaire et autres liaisons (dangereuses) Le chef de la diplomatie russe a indiqué avoir évoqué avec ses interlocuteurs algériens le «renforcement de la coopération militaire et technique qui a des racines solides et de bonnes perspectives». D'après nos informations, « le nouveau document stratégique interétatique» que les deux pays comptent préparer comme ossature à leurs futures relations ne réjouit guère les Etats-Unis, déterminée à cibler l'armement russe. «Prendre pour cible l'industrie de défense russe va dégrader les capacités de Poutine et entraver davantage sa guerre contre l'Ukraine, déjà minée par un moral affaibli, des chaînes d'approvisionnement rompues, et des défaillances logistiques», a affirmé récemment la secrétaire au Trésor Janet Yellen dans un communiqué. Il reste à savoir que le «Bouclier du désert», un exercice militaire tactique entre l'Algérie et la Russie, aura lieu en novembre dans la troisième région militaire, à Hammaguir, dans la commune de Béchar, située à 850 km au nord-est de Tindouf et à environ 80 km à l'est de la frontière marocaine. Un événement que Washington surveille de près.