Adopté par le Parlement le 6 Février 2018, le projet de loi relatif à l'exception d'inconstitutionnalité d'une loi a été jugé par la Cour constitutionnelle, le 6 mars 2018, non conforme à certaines dispositions de la Constitution. En effet, la Cour constitutionnelle a annulé 11 articles sur les 27 contenus dans cette loi. De ce fait, le parlement a dû les amender sur la base de ses observations, dont celle très importante, relative au mécanisme de filtrage. Le 12 avril 2022, le projet de loi organique N° 15-86 a été adopté à majorité par le Parlement. Rappelons que ce projet de loi, une première au Maroc, donne la possibilité aux citoyens d'introduire des recours concernant l'inconstitutionnalité d'une loi devant les tribunaux, en application des dispositions de l'article 133 de la Constitution de 2011. Le 31 mai 2022, la Chambre des conseillers a consacré une journée d'étude sur les conditions et procédures de l'exception d'inconstitutionnalité d'une loi. La nouvelle loi organique 15-86 entrera en vigueur dans une année à partir de la date de sa publication au Bulletin officiel, selon le communiqué de la Chambre des représentants. Meriem Chouki, Professeure d'enseignement supérieur assistante à la faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales-Souissi à Rabat, nous éclaire sur toutes les questions relatives à ce sujet depuis son adoption par le Parlement en 2018 à son vote définitif en avril dernier. 1-Quelle est l'étendue de cette loi telle que discutée et débattue au Parlement sur le plan du renforcement du chantier des droits et des libertés au Maroc ? Meriem Chouki : On peut analyser l'étendue de cette loi, d'abord sur le plan théorique, autrement dit, dans la majorité des constitutions modernes, y compris la nouvelle constitution marocaine de 2011, c'est le texte constitutionnel lui-même qui définit les droits et les libertés, et qui organise le contrôle de constitutionnalité, et qui énonce les dispositions d'un droit positif interne capable de motiver les décisions juridictionnelles censurant des violations éventuelles, ce qui justifie l'objet essentiel de la justice constitutionnelle à savoir la protection des droits de l'Homme et des libertés. Le contrôle de l'exception d'inconstitutionnalité des lois désigne le droit des individus et non seulement des organes constitutionnels, à déclencher une action devant la Cour constitutionnelle conformément à l'article 133 de la Constitution marocaine de 2011. Cet accès individuel à la justice constitutionnelle va permettre d'abord aux citoyens de saisir la juridiction constitutionnelle dans les cas où il y'a une atteinte aux droits et libertés protégés par la constitution, et par conséquent de faire du citoyen un acteur de l'Etat de droit. 2-Dans quelle mesure cette loi organique 15-86 peut-elle apporter une valeur ajoutée en matière de protection des droits et des libertés au Maroc, notamment en matière d'harmonisation de la législation nationale conformément aux normes internationales en la matière ? M.C : Grâce à cette nouvelle loi organique, le juge constitutionnel va devenir un juge aussi des citoyens, notamment à travers la constitutionnalité de la question préjudicielle d'inconstitutionnalité, en confirmant la doctrine en la matière qui dit que la réclamation de la démocratie et de l'Etat de droit, exige une protection constitutionnelle des droits et libertés, en mettant la classe politique en cause au nom de la souveraineté du parlement législateur. A ce titre, tous les actes normatifs doivent être susceptibles de faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, et cela devrait concerner aussi les actes du gouvernement. Selon l'article 133 de la Constitution de 2011 : « La Cour constitutionnelle est compétente pour connaître d'une exception d'inconstitutionnalité soulevée au cours d'un procès, lorsqu'il est soutenu par l'une des parties que la loi dont dépend l'issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution ». Autrement dit, cette exception d'inconstitutionnalité permet d'élargir la saisine de la Cour constitutionnelle aux individus, en la soulevant, au cours d'un procès devant une juridiction ordinaire pour démontrer l'inconformité d'une loi à la constitution, et c'est dans ce sens qu'on peut confirmer que cette loi organique va apporter une vraie valeur ajoutée dans la mesure où la justice constitutionnelle va fonctionner à la faveur des droits fondamentaux, placés au centre d'intérêt de tout Etat de droit. Sur le plan pratique, cette exception d'inconstitutionnalité, va être une occasion supplémentaire pour renforcer le dialogue entre le juge constitutionnel et le juge ordinaire, celui-ci qui doit avoir un pouvoir pour examiner lui-même la constitutionnalité des lois ordinaires avant leur exposition devant le juge constitutionnel. A cet égard, il faut noter que l'introduction de cette nouvelle compétence confiée à la Cour constitutionnelle, ne doit pas être lue comme un abandon du contrôle à priori, mais juste une norme complémentaire afin de perfectionner l'arsenal juridique marocain et enrichir la jurisprudence en la matière. Sur le plan doctrinal, la problématique de l'inconstitutionnalité des lois est une équation très particulière à triple connus : le législateur, le pouvoir judiciaire pluriel et les droits et les libertés individuelles et collectives. Mais sa finalité est de vérifier dans les pratiques, les recherches des consensus entre Autorité et Libertés. 3- Comment peut-on analyser les difficultés majeures qui ont entravé la promulgation de cette loi organique depuis 2018 ? M.C : Dans ce sens, il faut mentionner qu'après son adoption par le parlement le 6 Février 2018, le projet de loi relatif à cette exception d'inconstitutionnalité a été transmis à la Cour constitutionnelle qui a rendu son jugement n°70-18 le 6 mars 2018, jugeant ce texte non conforme à certaines dispositions de la Constitution. La Cour constitutionnelle a annulé 11 articles sur 27 contenues au total dans cette loi, ce qui va obliger le parlement à les modifier en tenant compte de ses observations. L'une de ces observations était relative au mécanisme de filtrage, une question très importante qui a déclenché un débat acharné. Selon la Cour constitutionnelle les articles 6,10,11 de cette loi avait disposé que les juges, qu'ils soient de première instance, d'appel ou de cassation, sont compétents pour étudier les recours des justiciables et décider de leurs différents devant la Cour constitutionnelle, alors que cette prérogative doit rester du ressort exclusif de la justice constitutionnelle sans l'intervention d'aucune autre institution judiciaire. Aujourd'hui cette loi a été définitivement adoptée à la majorité par le Parlement, le 12 avril 2022 par la commission de la justice, de la législation et des droits de l'Homme à la Chambre des représentants. Alors comment cette nouvelle loi a pris en considération cette observation qui est jugée comme une lacune par la Cour constitutionnelle ? Dans cette nouvelle version, on trouve que le législateur a procédé à la création d'une instance au sein de la Cour constitutionnelle, composée de pas moins de trois magistrats et chargée de filtrer les recours en la matière, devant les différentes juridictions ou devant la cour de cassation, afin de traiter et limiter les actions non sérieuses. Il faut noter que la création de cette instance était prévue dans l'ancien projet au niveau de la Cour de cassation, une procédure qui a été qualifiée par la Cour constitutionnelle contradictoire avec les dispositions de la Constitution qui confie l'exclusivité de ce contrôle au juge constitutionnel. Toutefois, dans cette optique, on doit s'interroger sur la légalité de cette instance surtout que ni la Constitution de 2011, ni la loi organique n°066-13 relative à la Cour constitutionnelle, ne prévoient la création de ce genre d'instance. Finalement, il faut noter que dans la majorité d'expériences des pays occidentaux en la matière comme la France, l'Espagne et l'Italie, le juge ordinaire est compétent de filtrer les actions susceptibles d'être frappées d'inconstitutionnalité, les traiter et les transmettre à la cour ou bien au conseil constitutionnel, à condition d'être motivées par une décision de transmission dans laquelle le juge constitutionnel doit trouver l'existence de conditions de fond et de forme nécessaires pour être susceptibles d'un examen d'exception d'inconstitutionnalité. En définitive, il faut expliquer que la notion d'inconstitutionnalité des lois est une procédure exceptionnelle et novatrice qui nécessite une ouverture, dans la légalité, vers les droits et les libertés des citoyens. Alors que la création législative d'une instance au sein de la Cour constitutionnelle pose la question de sa nature juridique, notamment par rapport à la première proposition de filtrage par des tribunaux ordinaires et la Cour de cassation.