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Définir largement les droits et libertés garantis par la Constitution Mémorandum du CNDH relatif à l'exception d'inconstitutionnalité
Donner un droit nouveau au justiciable en lui permettant de faire valoir les droits qu'il tire de la Constitution
Le Conseil national des Droits de l'Homme (CNDH) a présenté à S. M. le Roi, dernièrement, trois mémorandum relatifs à la Cour constitutionnelle, l'exception de constitutionnalité et au Code de justice militaire. Nous avons présenté, dans notre édition de lundi, le premier de ces mémorandum. Le deuxième document, consacré également à la Cour constitutionnelle, introduit une importante innovation qui, comme il y est stipulé, donne au justiciable un droit nouveau en lui permettant de faire valoir les droits qu'il tire de la constitution. Ce mémorandum est le fruit d'une profonde recherche qui s'est basée sur les « différents référentiels normatifs et déclaratifs aux niveaux national et international. Une étude de textes juridiques comparés régissant les modalités d'accès à la justice constitutionnelle dans plusieurs pays démocratiques a été également effectuée, pour rapprocher les propositions présentées dans ce mémorandum des bonnes pratiques en vigueur dans ces pays. » Les propositions du CNDH portant sur la loi organique relative à l'exception d'inconstitutionnalité sont présentées comme suit par le document du CNDH. Propositions concernant la définition de certains concepts Afin d'élargir le champ d'application de l'exception d'inconstitutionnalité, le CNDH propose une définition large des « droits et libertés garantis par la constitution » en considérant la portée de ces droits et libertés à la lumière du concept de bloc de constitutionnalité (en cours de construction dans le contexte normatif national) . Cette définition large permet d'inclure les droits et les libertés universellement reconnus, y compris ceux garantis par les différents instruments des droits de l'Homme ratifiés par le Maroc et auxquels il a adhéré. En ce qui concerne la définition des « parties en litige », le CNDH, soucieux d'élargir l'accès à la justice constitutionnelle propose à ce que la définition de ce terme renvoie à la fois aux parties principales et aux parties jointes, ainsi que les parties intervenantes et les parties appelées. Propositions concernant les principes fondateurs de l'exception d'inconstitutionnalité Une lecture de l'article 133 de la constitution selon une approche basée sur les droits humains permet de conclure que le constituant a attribué à la Cour Constitutionnelle une mission qui dépasse la simple protection de l'ordre constitutionnel objectif et ce en introduisant des mécanismes permettant la protection des droits individuels fondamentaux par la dite cour. A ce titre, la cour est devenue compétente pour connaître d'une exception d'inconstitutionnalité soulevée au cours d'un procès, lorsqu'il est soutenu par l'une des parties que la loi dont dépend l'issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Ainsi, il est possible de définir, au moins trois objectifs à atteindre, à travers l'exception d'inconstitutionnalité : donner un droit nouveau au justiciable en lui permettant de faire valoir les droits qu'il tire de la Constitution, purger l'ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles et assurer la prééminence de la Constitution dans l'ordre normatif interne. Partant de cette vision, l'analyse de la formulation de l'article 133 permet de conclure les éléments suivants : - L'exception d'inconstitutionnalité est une modalité d'accès indirect à la justice constitutionnelle - L'exception d'inconstitutionnalité constitue un moyen qui vient au soutien d'une prétention dans le cadre d'un litige - Seules les parties à un litige ont le droit de soulever une exception d'inconstitutionnalité, le juge ne peut soulever d'office une exception d'inconstitutionnalité. - L'exception d'inconstitutionnalité peut être présentée à tous les stades d'un procès, dès la prise de connaissance par les parties, des textes applicables au litige. - L'exception d'inconstitutionnalité doit être soulevée par les parties avant toute exception ou moyen de défense au fond. Propositions concernant la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité Soucieux d'établir un juste équilibre entre l'accès des justiciables à la justice constitutionnelle et la garantie de l'efficacité des voies de recours, le CNDH propose deux procédures de l'exception d'inconstitutionnalité, et ce, sous la forme de deux scénarii : Le premier scénario propose une procédure de l'exception d'inconstitutionnalité avec un examen préalable de recevabilité au niveau de la Cour constitutionnelle. Le deuxième scénario propose une procédure de l'exception d'inconstitutionnalité avec un double examen de recevabilité Le premier scénario, qui requiert la préférence du CNDH, a l'avantage de faciliter l'accès des justiciables à la justice constitutionnelle. Sa facilité permet, en outre, aux justiciables, ainsi qu'aux professionnels de la justice, d'assimiler le cheminement procédural de l'exception d'inconstitutionnalité. Ce scénario constitue un des modes d'accès indirect le plus proche de la logique d'accès direct des justiciables à la justice constitutionnelle. Il garantit, dans le cadre d'un contentieux, leur droit à ce que leur cause, portant sur l'objet de l'article 133 de la constitution, soit entendue par un juge constitutionnel. Ce scénario présente toutefois un risque lié à l'utilisation abusive de la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité par les avocats des parties en litige. Ce risque peut entraîner une augmentation du nombre de procédures d'exception d'inconstitutionnalité soulevées devant les différentes juridictions et générer ensuite un encombrement au niveau du comité de recevabilité. Le deuxième scénario, a l'avantage de réguler les flux des exceptions d'inconstitutionnalité, à travers un cheminement procédural qui assure la répartition de ce flux sur les différents degrés de juridiction. L'examen de recevabilité, qui est une tâche basée sur l'utilisation d'un nombre limité de critères de recevabilité -qui n'interfèrent nullement avec le contrôle de constitutionnalité- permet à la cour constitutionnelle de se consacrer au noyau dur de son métier, à savoir le contrôle de constitutionnalité. Il est possible de prévoir, à moyen terme, avec ce scénario, des phénomènes d'ajustement et de rationalisation dans l'introduction des exceptions d'inconstitutionnalité, et de ce fait, d'espérer un accès de qualité à la justice constitutionnelle. Ce scénario présente, pourtant, plusieurs inconvénients. Sa procédure est lourde et risque de créer des étapes intermédiaires entre les justiciables et la justice constitutionnelle. Les délais de la procédure peuvent impacter les affaires en cours, et rendre l'accès du justiciable à la justice constitutionnelle difficile. Le CNDH estime qu'il appartient, en fin de compte, au législateur d'évaluer les avantages comparatifs et les inconvénients de chaque scénario. A) Prémier scénario: la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité avec un examen préalable de recevabilité au niveau de la Cour constitutionnelle. Le CNDH propose le cheminement procédural suivant : a) le moyen tiré de ce qu'une loi dont dépend l'issue du litige , porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être présenté dans un écrit distinct , motivé et signé par un avocat inscrit au tableau de l'un des barreaux du Maroc , sous peine d'irrecevabilité. Cet écrit doit contenir, en outre, les indications et les énonciations prévues par l'article 32 du Code de procédure civile. Il est proposé de dispenser cette requête du paiement de la taxe judiciaire. b) lorsque le ministère public n'agit pas comme partie principale ou n'intervient pas comme partie jointe, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis. c) La juridiction transmet le moyen soulevé à la Cour constitutionnelle dans un délai de 48 h d) Un comité de recevabilité (crée au sein de la Cour constitutionnelle et présidé par un membre désigné par le président de la Cour) procède à l'examen de la recevabilité de l'exception d'inconstitutionnalité, dans un délai de 10 jours à compter de la date de réception de la décision de transmission. e) Le comité déclare recevable l'exception d'inconstitutionnalité si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ou de la Cour constitutionnelle, sauf changement des circonstances ; 3° La question soulevée par l'exception est nouvelle et fondée. f) La Cour constitutionnelle procède ensuite à l'examen de l'exception d'inconstitutionnalité déclarée recevable, selon les mêmes modalités que celles de l'appréciation de la conformité à la constitution, et ce dans un délai de deux mois à compter de la date de déclaration de la recevabilité de l'exception d'inconstitutionnalité. g) La Cour Constitutionnelle avise immédiatement le chef du gouvernement, le président de la chambre des représentants et le président de la chambre des conseillers de l'exception d'inconstitutionnalité déclarée recevable. Ils peuvent adresser à la Cour constitutionnelle leurs observations sur l'exception d'inconstitutionnalité dont ils étaient avisés. h) Les parties peuvent présenter leurs observations et l'audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels à définir dans le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle. i) lorsque l'exception d'inconstitutionnalité est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour constitutionnelle. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. Il est toutefois proposé de prévoir des exceptions à cette règle lorsque la personne intéressée est privée de liberté à raison de l'instance et lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté. La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à l'exception d'inconstitutionnalité si la loi prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Une autre exception est à prévoir lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie. j) La décision de la Cour constitutionnelle est notifiée aux parties et communiquée à la Cour de cassation ainsi qu'à la juridiction devant laquelle l'exception d'inconstitutionnalité a été soulevée. B)deuxième scénario : la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité avec un double examen de recevabilité Le scénario de la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité avec un double examen préalable de recevabilité peut être décrit comme suit : Le soulèvement de l'exception d'inconstitutionnalité devant les juridictions du premier degré et les cours d'appel Le CNDH propose le cheminement procédural suivant : a) le moyen tiré de ce qu'une loi dont dépend l'issue du litige , porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être présenté dans un écrit distinct , motivé et signé par un avocat inscrit au tableau de l'un des barreaux du Maroc , sous peine d'irrecevabilité. Cet écrit doit contenir, en outre, les indications et les énonciations prévues par l'article 32 du Code de procédure civile. Il est proposé de dispenser cette requête du paiement de la taxe judiciaire. b) lorsque le ministère public n'agit pas comme partie principale ou n'intervient pas comme partie jointe, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis. c) La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission du moyen soulevé à la Cour de cassation. Il n'est procédé à cette transmission que si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ou de la Cour constitutionnelle, sauf changement des circonstances ; d) la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de l'exception d'inconstitutionnalité, se prononcer par priorité sur la transmission du moyen soulevé à la Cour de cassation. A cet effet, la décision de transmettre le moyen soulevé est adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre l'exception d'inconstitutionnalité ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. e) lorsque l'exception d'inconstitutionnalité est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, si elle a été saisie, de la Cour constitutionnelle. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. Il est toutefois proposé de prévoir des exceptions à cette règle lorsque la personne intéressée est privée de liberté à raison de l'instance et lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté. La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à l'exception d'inconstitutionnalité si la loi prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Une autre exception est à prévoir lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie f) Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision de la Cour de cassation ou, si elle a été saisie, celle de la Cour constitutionnelle, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la l'exception d'inconstitutionnalité. Une exception est à prévoir quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé Propositions concernant le soulèvement de l'exception d'inconstitutionnalité devant la Cour de cassation et la décision de transmission de l'exception d'inconstitutionnalité à la Cour constitutionnelle Le CNDH propose ce qui suit : a) La Cour de cassation se prononce dans un délai d'un mois à compter de la réception de la transmission, sur le renvoi de l'exception d'inconstitutionnalité à la Cour constitutionnelle. Il est procédé à ce renvoi lorsque les conditions proposées dans le point (c) du paragraphe précédent sont remplies et que la question soulevée par l'exception est nouvelle et fondée. b) Le moyen tiré de ce qu'une loi dont dépend l'issue du litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois devant la cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé et selon les mêmes modalités proposées dans le point (a) du paragraphe précédent. Ce moyen ne peut être relevé d'office. c) la Cour de cassation doit, lorsqu'elle est saisie de moyens précités, se prononcer par priorité sur le renvoi de l'exception d'inconstitutionnalité à la Cour constitutionnelle. d) la Cour de cassation dispose d'un délai d'un mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. La Cour constitutionnelle est saisie de l'exception d'inconstitutionnalité lorsque les conditions proposées dans le point (c) du paragraphe précédent sont remplies et que la question soulevée par l'exception est nouvelle et fondée. e) lorsque la Cour constitutionnelle a été saisie, la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu'à ce qu'elle se soit prononcée. Des exceptions sont à prévoir quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Si la Cour de cassation est tenue de se prononcer en urgence, il peut n'être pas sursis à statuer f) la décision motivée de la Cour de cassation de saisir la Cour constitutionnelle lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Il est proposé également à ce que la Cour constitutionnelle reçoit une copie de la décision motivée par laquelle la Cour de cassation décide de ne pas le saisir de l'exception d'inconstitutionnalité. Si la Cour de cassation ne s'est pas prononcée dans le délai proposé dans le point (d) de ce paragraphe, l'exception d'inconstitutionnalité est considérée recevable et est transmise d'office à la Cour constitutionnelle. g) La décision de la Cour de cassation est notifiée aux parties dans les huit jours de son prononcé. 13. Propositions concernant l'examen de l'exception d'inconstitutionnalité par la Cour Constitutionnelle Le CNDH propose ce qui suit : a) La Cour Constitutionnelle, saisie de l'exception d'inconstitutionnalité, avise immédiatement le chef du gouvernement, le président de la chambre des représentants et le président de la chambre des conseillers .Ils peuvent adresser à la Cour constitutionnelle leurs observations sur l'exception d'inconstitutionnalité dont ils étaient avisés. b) Le Cour constitutionnelle statue dans un délai d'un mois à compter de sa saisine. Les parties peuvent présenter leurs observations. L'audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels à définir dans le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle. c) La décision de la Cour constitutionnelle est notifiée aux parties et communiquée à la Cour de cassation ainsi qu'à la juridiction devant laquelle l'exception d'inconstitutionnalité a été soulevée selon le cas. Enfin, le CNDH rappelle que dans les deux scénarii, la loi organique sur l'exception d'inconstitutionnalité doit consacrer le contenu du premier paragraphe (2ème alinéa) de l'article 134 de la constitution, qui prévoit qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 133 de la constitution (c'est-à-dire, suite à une exception d'inconstitutionnalité) est abrogée à compter de la date fixée par la Cour constitutionnelle dans sa décision. La consécration de cette disposition, permettra de garantir la stabilité des statuts juridiques des parties. Toutefois, et pour favoriser l'émergence d'une ligne de conduite claire concernant les effets dans le temps des déclarations d'inconstitutionnalité prises sur le fondement de l'article 133, le CNDH recommande à ce que la future cour constitutionnelle, établisse, dès ses premières décisions rendues dans le cadre de l'exception d'inconstitutionnalité, une ligne jurisprudentielle claire en la matière.