La Cour suprême russe a ordonné mardi 28 décembre la dissolution de l'ONG Mémorial, pilier de la défense des libertés dans la Russie contemporaine et gardien de la mémoire du Goulag. Cette décision intervient en conclusion d'une année marquée par la répression croissante des personnes, ONG et médias perçus comme des critiques du président Vladimir Poutine, au pouvoir depuis bientôt 22 ans. «La décision est de liquider Mémorial International et ses antennes régionales», a annoncé l'ONG sur son compte Telegram. Quelques secondes plus tôt, la juge Alla Nazarova avait dit «accéder à la demande du Parquet» de dissoudre cette ONG. En cause, le non-respect d'obligations découlant de son statut d'«agent de l'étranger». Ce label, qui rappelle celui d'«ennemi du peuple» pendant l'URSS, désigne des organisations considérées comme agissant contre les intérêts russes en recevant des fonds étrangers. «C'est une décision malfaisante, injuste», a réagi l'avocate de la défense, Maria Eïsmont. Mémorial enquête depuis plus de trente ans sur les purges soviétiques et recense les répressions contemporaines, notamment celles du régime de Poutine. L'organisation avait affirmé avant le verdict qu'elle allait s'efforcer de continuer son travail, même en cas d'interdiction. «Liquider Mémorial International renvoie la Russie à son passé, et accroît le danger de (nouvelles) répressions», avait estimé devant la cour l'avocate Maria Eïsmont. Accusée de «salir la mémoire» de la Seconde Guerre mondiale Début novembre, le Parquet avait demandé la dissolution de Mémorial, l'accusant d'avoir enfreint «systématiquement» les obligations de son statut d'«agent de l'étranger». Devant la cour mardi, le procureur Alexeï Jafiarov s'est fendu d'une attaque en règle visant l'ONG, l'accusant de «créer une image mensongère de l'URSS en tant qu'Etat terroriste», de «salir la mémoire» de la Seconde Guerre mondiale et de chercher à «réhabiliter des criminels nazis». Les problèmes judiciaires de Mémorial ne s'arrêtent pas là. Dans un autre dossier, le Parquet exige la dissolution de son Centre de défense des droits humains, accusé d'apologie «du terrorisme et de l'extrémisme», en plus de violations de la loi sur les «agents de l'étranger». Dans cette affaire, une audience est prévue mercredi devant un tribunal de Moscou. Les avocats de l'ONG ont dénoncé des persécutions infondées, disproportionnées et politiques. Mémorial est l'une des dernières victimes de la longue liste d'ONG, d'opposants et de médias tombés sous le coup de poursuites ces derniers mois. En début d'année, les autorités ont incarcéré pour deux ans et demi l'opposant numéro un du Kremlin, Alexeï Navalny, puis interdit en juin son organisation pour «extrémisme». Plusieurs de ses partisans ont encore été arrêtés mardi. Des dizaines de personnes, des ONG défendant les droits humains ou des minorités sexuelles et des médias indépendants ont été reconnus «agents de l'étranger» ou accusés d'extrémisme. Affrontement entre deux visions de l'histoire russe Moscou est aussi passé à l'offensive sur le front numérique, multipliant les blocages de sites internet jugés dissidents et les amendes contre les géants de l'Internet qui ne suppriment pas des contenus liés à l'opposition. Les ennuis de Mémorial illustrent l'affrontement entre deux visions de l'histoire russe, 30 ans après la dislocation de l'Union soviétique, qualifiée par Vladimir Poutine de «plus grande catastrophe géopolitique» du XXe siècle. Fondée au crépuscule de l'URSS par des dissidents, dont le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, Mémorial avait pour mission de mettre en lumière les millions de victimes des crimes soviétiques. Pour ses défenseurs, elle subit désormais la promotion de plus en plus accentuée par le Kremlin d'une vision de l'Histoire glorifiant la puissance de l'URSS et minimisant les dérives du stalinisme. Le Centre de défense des droits humains est, lui, spécialisé dans les violations commises à ses yeux par l'Etat russe contemporain. Pour ses activités, Mémorial subit de longue date des pressions et a déjà payé un lourd tribut. En 2009, sa responsable en Tchétchénie, Natalia Estemirova, avait été kidnappée puis exécutée. L'un de ses historiens, Iouri Dmitriev, a été condamné lundi à 15 ans de prison pour une affaire «d'agression sexuelle» dénoncée comme un coup monté destiné à le punir pour ses recherches sur la terreur soviétique.