La réaction du gouvernement algérien à la résolution 2602 onusienne, qui s'est illustrée par le refus du mécanisme des tables rondes ainsi que de menaces de guerre à l'encontre du Maroc, pose la question des civils, premières victimes de tout blocage et de toute escalade. Pour nous éclairer sur la question des populations civiles des camps de Tindouf, Aicha Duihi, militante des droits humains et présidente de l'Observatoire du Sahara pour la paix, la démocratie et les droits humains, à Laayoune, répond droit au but, forte de son expérience dans la défense des droits humains et de sa connaissance du terrain. Quelle est votre appréciation de la situation actuelle dans les camps de Tindouf ? Je suis optimiste sur le plan politique car la résolution 2602 constitue un grand pas réalisé dans la prise de conscience au niveau international et onusien du caractère régional du conflit et du fait que le différend autour du Sahara menace la sécurité et la paix internationales. L'autre grande prise de conscience actée dans la résolution 2602 est celle du rôle du Maroc sur le plan de la sécurité et de son respect continu du droit international et des résolutions onusiennes. Dans ce sens, le Maroc a pris la place dans le concert des nations qu'il mérite. Je suis néanmoins pessimiste sur la question des droits de l'Homme car elle nous porte à nous interroger sur la situation actuelle de la population des camps de Tindoufet sur son évolution dans les jours, mois, et l'année à venir. Des violations et exactions dirigées contre ces populations sont commises fréquemment par le Polisario. D'autres sont commises par les autorités sécuritaires de l'Algérie : on a tous vu, via réseaux sociaux, qu'ils ont brûlé des jeunes des camps de Tindouf, en octobre dernier. Ce ne sont pas des cas isolés. Jusqu'à maintenant on a recensé neuf de ces exécutions sommaires, de personnes qui ne présentaient aucun danger pour la sécurité ni pour l'ordre public. Le problème avec la complication des événements que sont les menaces de guerre de l'Algérie, et la rupture par le polisario du cessez-le-feu depuis les événements de Guergarat, c'est le retour de bâton dans les camps de Tindouf. Les habitants vont comprendre qu'ils ont perdu beaucoup de leurs acquis d'avant l'opération de Guergarat. Ils vont logiquement reprendre le chemin de la contestation qu'ils avaient abandonné avec les promesses irréalistes du Polisario. Notre ONG s'attend à une confrontation plus accrue dans les camps de Tindouf. En cela l'avenir dans les camps de Tindouf est bien sombre. J'espère qu'il n'y aura pas plus de morts et que la population de Tindouf ne perdra pas sa dignité, elle qui a tellement perdu déjà. Vous parlez de la population des camps de Tindouf et des événements qu'elle vit. Dans l'impossibilité d'accéder aux camps comment votre ONG collecte-t-elle l'information liée à la situation qui y prévaut ? Nous disposons de deux méthodes : Sur le plan personnel, les gens lambda, dont moi, avons des groupes WhatsApp avec nos familles qui y sont et qui nous informent plus ou moins clairement de leur situation. La TV de la RASD bien qu'elle détourne l'information et est plutôt un outil de propagande, ainsi que des sites du Polisario et les réseaux sociaux, sont également nos moyens de contacts en tant que famille, voisins, tribus avec la population des camps de Tindouf. En tant que professionnels le monitoring est très difficileà réaliser. L'Algérie, étant totalement fermée au contrôle des Nations unies et notamment les mécanismes de protection des droits de l'Homme, n'a reçu qu'un petit nombre de procédures spéciales. Alger impose des conditions drastiques et interdit les visites de plusieurs ONG, des commissions de recherche, des commissions de contrôle y compris le réseau euro-méditerranéen. En tant qu'ONG sise au Sud du Maroc, l'Observatoire du Sahara pour la paix, la démocratie et les droits humainsest considéré comme le premier ennemi auquel les autorités algériennes interdisent l'accès des camps. Malgré la difficulté, nous avons opté pour la plus pertinente des solutions : L'installation d'une plate-forme électronique qui nous permet de collecter et télécharger les informations. Tout d'abord à travers les ralliés, témoins vivants directs de leurs conditions à Tindouf (les personnes qui fuient les camps et viennent s'installer ici, au Maroc). Ensuite, nous recueillons des témoignages à travers les réseaux sociaux, les journaux et ce, par un suivi quotidien de ce qui se passe dans les camps de Tindouf La plupart sont des victimes. Soit, elles ont réussi à fuir ou quand ellesont des passeports, elles rallient le Maroc à travers un autre pays étranger. Beaucoup, parmi ces dernières, ont pu bénéficier d'un passeport européen, notamment espagnol, français ou mauritanien, grâce auquel, ellesont pu venir au Maroc. On estime ces ralliés installés définitivement au Maroc entre 10 et 15% la totalité de la population qui vit dans les camps de Tindouf. Quelques mois auparavant, des éléments de l'armée du Polisario ont eux aussi rallié le Maroc. Mais cette année,vu les événements de Guergarat, les points frontaliers sont désormais strictement contrôlés. Par ailleurs, le Maroc a achevé la construction du mur de défense fermant le passage qui existait et par lequel certains arrivaient à fuir les camps. Le Maroc a dû terminer ce chantier pour que les membres du Polisario ne puissent plus s'introduire dans la brèche, bloquer le passage et commettre des actes hostiles comme ils l'ont fait à Guergarat en Octobre 2020. Hors cette forme de collecte d'information continue àtravers les victimes, nous collectons également les témoignages des membres de familles de ces victimes,directement envoyés à notre ONG. Nous préservons laconfidentialité de ces personnes pour ne pas les mettreen danger. Et ce, puisque nous avons une grande expérience dans les mécanismes onusiens des droits de l'homme, à travers également le CNDH des nations unies, l'Examen périodique universel (EPU) et les comités des droits de l'Homme. Ainsi nous disposons de la méthode adéquate pour préserver l'identité de ces personnes et leurs familles tout en évoquant leur vie à Tindouf dans notre plaidoyer, rapports annuels, rapports thématiques, articles de recherche, et dans toutes sources d'information partagées avec les organisations régionales et internationales y compris l'ONU. Quelle est la teneur des plaidoyers à l'ONU ? Nos rapports qui se basent sur les mécanismes onusiens de protection des Droits de l'Homme sont vérifiés par les experts de l'ONU dans le domaine. La collecte de l'information doit être cohérente et appuyer les informations rédigées par les autres rapports thématiques et sur les pays élaborés également suivant les mécanismes onusiens. Nos rapports sont donc crédibles et sont source d'informations pour les experts des Nations unies qui envoient ces informations une fois vérifiées, au Secrétaire Général de l'ONU. Notre crédibilité et le sérieux de notre travail se ressentent depuis trois ans. Nous voyons le résultat de tous nos travaux à travers les rapports d'Antonio Guterres. Ce sont des paragraphes entiers que nous avons élaborés et qui sont vérifiés sur la base des mécanismes onusiens qui sont inclus dans les rapports de l'ONU. Il y a trois ans, dans le rapport S/2019/787 en date du 2 octobre 2019 ont été mentionnées pour la première fois depuis très longtemps, les violations des droits de l'Homme commises dans les camps de Tindouf. Ce même rapport parle précisément des manifestations continues dans les camps de Tindouf. Non seulement avant la population avait peur de manifester et de contrarier les opinions des leaders du Polisario, mais en plus la communauté internationale a changé de conviction concernant la régionalisation du conflit humain. C'est un conflit injuste qui menace l'intégrité du royaume du Maroc, dont se sert l'Algérie pour contrecarrer le développement du Maroc et pour lui disputer le leadership de l'Afrique du Nord. Comment protéger cette population ? Le côté humain constitue le cœur de notre travail dans notre ONG afin d'arrêter massacres et violations systématiques. Le travail est dur d'abord parce que pendant longtemps nous n'étions pas écoutés. Et ce, car l'opinion internationale penchait vers la fausse thèse selon laquelle le Maroc est l'agresseur et le Polisario, la victime. Pourtant nous, les plus nombreux, qui sommes restés au Maroc, nous avons longtemps défendu notre cause, celle de la souveraineté du Maroc sur le Sahara, mais personne ne nous écoutait. Nous avons choisi notre destin, bien avant 1975, depuis des siècles. Nous faisons partie de ces terres. L'histoire en est témoin. Il y a quelques familles qui sont parties à Tindouf par conviction mais la plupart ont été manipulées par la propagande, par des rumeurs et messages faux lors de la marche verte, otage et enlevement. Résultat : aujourd'hui, la plupart est séquestrée. A l'Observatoire du Sahara pour la paix, la démocratie et les droits de l'homme on se consacre à ce dossier qui est resté hors tout monitoring régional et international. On a dévoilé peu à peu la réalité des camps de Tindouf. Aujourd'hui la vérité éclate, et la communauté internationale est consciente du détournement de l'aide humanitaire. C'est la population elle-même sur place qui le lui a prouvé en essayant de manifester contre toute forme de corruption et violations, contre l'injustice, contre tout acte qui ôte la dignité à la population. Aujourd'hui la population des camps de Tindouf n'aplus peur de la punition psychologique et d'autresformes de punitions non matérielles qui frappent ceux qui s'élèvent contre les exactions et violations. La population ose s'exprimer. Elle est loin de jouir de ses droits essentiels, mais commencer à s'exprimer est un début vers le chemin de la liberté. Comment la population peut-elle être sauvée des viols, de l'endoctrinement extrémiste daéchien, de l'enrôlement militaire des enfants en tant que soldats ? Vous dites bien que l'Onu le sait depuis au moins trois ans mais qu'est–ce qui est fait pour sauver la population de ces crimes ? Le travail est quasi bloqué car le HCR ne peut assurer un travail ordinaire, comme des autres camps à cause des restrictions et blocages causés par le Polisario. Il ne peut non plus entretenir directement avec la population sans la présence d'un agent de Polisario ni contrôlerdirectement la chaine de distribution de l'aide humanitaire. Le HCR bénéficie, certes, de la générosité de l'UE et de subventions de quelques pays. Mais malheureusement il ne peut travailler comme il le fait dans les autres camps des réfugiés car la gestion dans les camps de Tindouf est exceptionnelle. C'est une « sous-traitance » de la gestion de la part de l'Algérie au profit des dirigeants du polisario, ce qui est contraire aux règles du droit international. Selon la loi internationale, le pays hôte, est celui qui doit gérer les affaires des réfugiés et non pas une autre entité : et ceci est le cas des camps de Tindouf. C'est le point noir de la situation actuelle. L'ONU a demandé à l'Algérie d'arrêter ce type de gestion qui est illégale. Ainsi si une personne a commis une faute, elle doit être jugée devant les tribunaux de l'Algérie et non pas devant ce que le Polisario/rasd a créé sur leur territoire, qui n'a aucune assise légale. Il en est de même en cas de besoin d'un papier administratif : c'est à l'Algérie de le fournir au demandeur. Car l'administration du polisario n'est tout simplement pas légale ni reconnue au plan international. Il y a les institutions des pays d'hôte et il y a les points d'assistance pour gérer la situation des réfugiés à travers le HCR. Alors que, contrairement à la légalité internationale, le polisario/rasd est une entité que l'Algérie veut élever au rang de pays sur son propre territoire, en toute illégalité. L'Onu doit demander à l'Algérie, pays hôte d'assumer sa responsabilité en tant que tel. En bref, le HCR doit pouvoir exercer ses pleins droits pour gérer les camps de Tindouf, et l'Algérie doit obéir aux demandes annuelles des résolutions onusiennes pour faire le recensement. Ceci pour pouvoir bénéficier d'une assistance technique pour la redistribution de l'aide humanitaire avant tout. Et pouvoir donner une carte de réfugiés à même d'assurer le droit fondamental de mouvement aux personnes. Il faut également pouvoir éditer des rapports de protection. Les camps doivent s'ouvrir à la communauté internationale, et particulièrement aux commissions de requête, commissions de contrôle et ONG. Ainsi les rapports de protections que le HCR élabore sont des données non crédibles car il s'agit de données fournies par le Polisario lui-même. La population n'est pas recensée alors que le recensement est une technique essentielle pour élaborer des plans d'assistance et de distribution de l'aide humanitaire. Ceci ouvre une grande marge au détournement de l'aide humanitaire. Et le plus important est l'absence de la carte de réfugiés qui pose le problème du droit du mouvement. Car une fois assurée une carte de réfugié pour chaque membre de la population des camps de Tindouf, chacun peutchoisir librement son destin et son pays de résidence. En ce sens, je crois que le jour où ces cartes seront fournies, personne ne restera là-bas. L'Union européenne, elle aussi, a édité des rapports concernant droits de l'Homme en Algérie et dans les camps de Tindouf. Sans pouvoir y accéder certes, mais en se basant sur les événements transmis par les « mass media » des camps de Tindouf, par la population elle-même et par les requêtes déposées au niveau de l'ONU ou de l'UE, par le biais des victimes et de leurs familles. Ainsi ils s'appuient sur des cas connus et crédibles de violations de Droits de l'Homme dans les camps de Tindouf. Comment faire pression dans les plaidoyers pour changer la donne ? La direction du polisario a réussi, pendant plus de quatre décennies, à resserrer son emprise sur l'espace public en empêchant toute manifestation de contestation de la rasd. Elle a également confisqué le droit à la liberté d'expression des voix opposées aux orientations de la direction ; En plus le statut des droits civiques et politiques continue de se dégrader en raison de l'imposition de l'état d'urgence et d'alerte sécuritaire dans les camps et leurs abords, et le renforcement de la surveillance sous prétexte de lutter contre le terrorisme. La direction de l'organisation a empêché les manifestations, les sit-in et toutes les formes de manifestation. Quand elles ont lieu, le Polisario recourt aux arrestations arbitraires des participants et à la torture et aux campagnes d'intimidation et de distorsion contre les manifestants et aux procès inéquitables. Les conditions de Tindouf se résument à une situation de non droit : l'absence de protection, l'absence de carte d'identité, l'absence de droit de mouvement et donc l'absence de plusieurs conditions stipulées dans la convention de Genève des réfugiés de 1951. Cette dernière insiste sur la présence de ces conditions pour parler de « camps de réfugiés ». Puisque ces conditions ne sont pas respectées dans le cas des camps de Tindouf, peut-on vraiment parler de réfugiés ? pour moi non, car ils n'en ont pas le statut qui requiert le droit de mouvement et de s'exprimer librement. De plus, ils habitent dans des camps militaires alors que la convention de Genève insiste sur le caractère civil des camps de réfugiés. Ainsi, puisque ces conditions inhérentes à la convention de Genève ne sont pas remplies pour y adjoindre la qualité de « réfugiés », ce sont donc des camps de séquestrés, de personnes emprisonnées. Malheureusement la victime ici est la partie de la population, majoritaire, non impliquée dans la propagande de l'Algérie et du polisario ; celle qui ne gère pas, qui n'a pas d'avantages, qui est délaissée et qui est sous-estimée et discriminée. Leurs enfants ne peuvent jouir des conditions normales des autres enfants de privilégiés du polisario. Ils ne peuvent pas continuer leurs études car la plupart ont été victimes de la suspension de leurs études pour être impliquésmilitairement. Les privilégiés du polisario, la minorité qui a des passeports et des nationalités étrangères ne sont pas concernés par les conditions de vie déplorables des camps. Après les manifestations massives dans les camps de l'année 2019, le polisario a joué sur la propagande d'une victoire très proche afin de rassembler autour des événements de Guergarat. Mais la résolution 2602 de l'Onu démontre qu'il n'existe aucune mention d'agression du Maroc ni de Guergarat et que bien au contraire, le Maroc est soutenu dans ses efforts et ses avancées et réalisations dans les provinces du Sud. A contrario, côté de Tindouf la MINURSO a été bloquée par le polisario, l'Algérie s'est mise en confrontation directe avec l'ONU, qui ne s'est pas laissé intimider par ses communiqués irresponsables envers la communauté internationale et ses efforts diplomatiques hostiles au Maroc. La résolution 2602 lui rappelle sa responsabilité comme élément essentiel du conflit. Un mot de la fin ? Malgré le fait que le pays d'accueil promeut le discours des « réfugiés sahraouis » au niveau international, l'Etat algérien refuse de reconnaître la population des camps de Tindouf en tant que réfugiés, et de mettre en œuvre les droits qui en découlent, en exécution de ses obligations découlant de sa ratification de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et du Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967. Le statut de ceux qui se sont installés dans des camps depuis plus de quatre décennies relève plutôt d'une privation directe de leurs droits civils et politiques, ainsi que des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux.